L’hôpital

Médiapart - Fermeture de lits, suppression de postes : ce que contient le « contrat d’avenir » des Hôpitaux de Strasbourg

Avril 2022, par Info santé sécu social

Document confidentiel obtenu par notre partenaire Rue89 Strasbourg, le « contrat d’avenir » signé avec l’agence régionale de santé oblige les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à augmenter leur activité tout en fermant des lits et en réduisant le nombre de postes.

Guillaume Krempp (Rue89 Strasbourg)

28 avril 2022 à 13h12

Strasbourg (Bas-Rhin).– Un « contrat d’avenir » aux airs de plan de redressement. Dans la matinée du vendredi 18 mars, le directeur des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et la directrice de l’agence régionale de santé (ARS) Grand Est ont signé un accord qui doit permettre à l’établissement hospitalier de retrouver une autonomie financière d’ici à 2026. Autour d’une grande table d’un bois noble, Michaël Galy et Virginie Cayre, ainsi que la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, se sont félicités de cette « feuille de route opérationnelle » pour l’hôpital public strasbourgeois.

La presse a été conviée… mais seulement pour prendre des photos, semble-t-il. Pas de temps prévu pour interroger les responsables sur ce « contrat d’avenir ». À la suite de cette étrange invitation, Rue89 Strasbourg a sollicité les HUS et l’ARS pour prendre connaissance du document. Aucune des institutions n’a répondu.

Sans doute, l’ARS et les HUS préféraient garder confidentiel ce document déterminant pour le futur de l’hôpital strasbourgeois. Car les 150 pages de ce contrat, que Rue89 Strasbourg s’est procuré, dévoilent un sombre avenir pour l’établissement. Certes, la « feuille de route » des HUS « revendique le principe de ne supprimer aucun poste soignant directement affecté au “lit du patient” sur la période 2021-2026 ».

Mais quelques pages plus loin, le contrat d’avenir stipule que « les HUS pourront développer l’offre de soins, et sécuriser l’augmentation d’activité de 5 % (par rapport au niveau atteint avant la crise sanitaire) prévue sur la durée du contrat d’avenir ». Malgré les manifestations et appels à l’aide des soignants, la gestion de l’hôpital public garde la même philosophie : plus d’activité avec autant de moyens, voire moins.

Grâce à ce « contrat d’avenir », l’hôpital public strasbourgeois sort d’une impasse financière. Comme l’indique le document, « le résultat structurel est passé de – 10,1 millions d’euros en 2019 à – 45 millions en 2020. […] Fortement endettés, présentant une insuffisance d’autofinancement, les HUS ne parviennent plus à faire face au remboursement du capital de la dette et au financement des investissements courants ».

Mais l’accord avec l’ARS ne constitue en rien un chèque en blanc. Les HUS évolueront désormais sous la pression de leur tutelle. L’accompagnement financier de l’établissement à hauteur de 36,4 millions d’euros par an « sera délégué en fonction de l’atteinte des objectifs de l’année précédente ».

Réduire l’éparpillement des services
Pour parvenir à réaliser des économies tout en atteignant une croissance de l’activité sans embauche de soignants supplémentaires, l’ARS demande aux HUS d’optimiser leur fonctionnement à plusieurs niveaux. L’hôpital strasbourgeois doit réduire l’éparpillement de ses services sur différents sites pour parvenir à constituer des plateaux d’hospitalisation d’au moins 20 lits.

L’établissement doit aussi développer « des alternatives à l’hospitalisation complète » et « optimiser les durées moyennes de séjour à l’hôpital ». La recette semble presque magique : « Les ressources humaines qui pourront ainsi être disponibles seront utilisées afin de rouvrir des lits actuellement fermés, notamment dans les secteurs de médecine, et qui font défaut à l’aval des urgences. »

Les HUS doivent notamment réduire le nombre de « services en doublon », ces unités d’hospitalisation présentes sur deux sites différents. C’était le cas du service hépato-gastro-entérologie (dont les difficultés ont été décrites par Rue89 Strasbourg ici), implanté sur les sites du Nouvel Hôpital civil (NHC) et de l’hôpital de Hautepierre.

Fusionner des unités, c’est mettre fin « aux difficultés de fonctionnement en raison d’une dispersion des ressources médicales », stipule le contrat d’avenir. Sauf que le projet aboutira à une baisse globale du nombre de places en hépato-gastro-entérologie : de 39 lits au total, le service fusionné passera à 32 lits. Et cette décroissance des capacités d’hospitalisation ne tient pas compte des 12 lits d’ores et déjà fermés au sein du service de Hautepierre depuis la crise du Covid… Au total, le service fusionné perdra donc 19 lits.

Moins de lits de réanimation
La tendance est la même dans le cadre d’un projet de réorganisation des unités de soins continus (USC), que les HUS souhaitent installer au plus près des services de réanimation. Dans un tableau résumant la réorganisation des différentes unités, le nombre total de lits en soins continus passe de 88 à une fourchette allant de 66 à 86 lits. Le nombre de lits de réanimation diminue de 105 à 97 lits après cette réorganisation.

Le « contrat d’avenir » associe plusieurs « risques » à cette démarche, notamment la « réticence au changement de la part des disciplines médicales et chirurgicales assurant jusque-là la gestion des unités de soins continus » et un « déficit de financement des investissements nécessaires pour l’adossement des USC aux réanimations ».

Toujours dans la même logique, le pôle Minerd (médecine interne, rhumatologie, nutrition, endocrinologie et diabétologie) doit regrouper ses activités sur le site de Hautepierre. Dans ce mouvement de fusion et de regroupement d’unités, le « contrat d’avenir » admet que « l’impact capacitaire est une réduction de 13 lits sur le périmètre des activités concernées ». Cette indication ne prend pas en compte les 29 lits fermés par manque de personnel en hospitalisation de semaine sur le site de la médicale B.

En grande difficulté, la filière gériatrie des HUS fait l’objet d’une fiche d’action dédiée. « Le site de la Robertsau est pavillonnaire et très largement vétuste. Il présente des conditions d’accueil hôtelier insatisfaisantes au regard des standards actuels », indique le document. Les unités gériatriques sont aussi trop isolées vis-à-vis des plateaux techniques, ce qui entraîne des difficultés pour le transport des patients. Il y a enfin des « besoins démographiques liés au vieillissement de la population, en particulier en aval des services d’urgence ».

Dans ce contexte, les HUS vont augmenter leurs capacités d’accueil en gériatrie de 33 lits. Mais le « contrat d’avenir » admet un risque sur cette réorganisation : le sous-effectif est tel au niveau des infirmières, des aides-soignantes et autres professions paramédicales qu’il pourrait « occulter la capacité à mener des projets de telle ampleur par surconsommation des énergies dans la gestion des difficultés quotidiennes ».

Des économies sur le pôle biologie

Dans les prochaines années, les HUS vont aussi devoir réaliser des économies au sein du pôle biologie. La logique est la même que pour les regroupements de services : « Concentrer les secteurs, les ressources humaines et techniques autour de plateaux techniques plus denses et mieux équipés. » Sans entrer dans le détail des mesures, le « contrat d’avenir » prévient un « risque social : suppression importante de postes ». Parmi les indicateurs à suivre pour établir le succès de ce projet : le nombre d’équivalents temps plein (ETP) supprimés.

Un énième axe d’économies pour l’ARS et les HUS a déjà été évoqué dans notre série d’enquêtes « La Hess aux HUS ». Il s’agit de la suppression de primes jugées « non réglementaires ». Interrogé fin février 2022, le directeur des ressources humaines, Rodolphe Soulie, avait réfuté l’objectif d’économies derrière cette ambition. Le « contrat d’avenir » indique le contraire avec un impact total de 460 000 euros d’économies par an.

La feuille de route des HUS sanctuarise le personnel médical, ce qui laisse de la marge pour rogner sur les effectifs de personnel non médical. L’ARS demande à l’hôpital public de « revoir les organisations non directement affectées au lit du patient [...] L’ensemble des pôles de gestion et médico-techniques est donc concerné à ce titre ». Évoquant des gains financiers de 54 000 euros pour chaque poste supprimé, le « contrat d’avenir » prévoit d’économiser 90 ETP, soit au total 4 860 000 euros sur la période 2021-2025.

La fiche d’action associée à cette mesure évoque un « risque social » pouvant donner lieu à une « désorganisation de certaines activités » et un « risque d’image et de perte de compétences » donnant lieu à une « difficulté de fidéliser et de rester attractif sur des secteurs où les recrutements restent nécessaires ». Le détail des suppressions de postes par filière est indiqué ci-dessous.

Plus de carence de trois mois en cas de remplacement de poste vacant
Il n’y a pas de petites économies pour l’hôpital public. L’axe 11 du « contrat d’avenir » le démontre, puisqu’il entérine « une période de carence de trois mois appliquée pour tout remplacement de poste vacant » (hors professionnels directement affectés au lit). Peu importe le « risque organisationnel […] pour la continuité des missions » et le « risque social » lié à une mesure qui « peut générer des tensions des équipes ponctuellement limitées dans leurs ressources de fonctionnement quotidien ». Ce qui compte pour la tutelle des HUS, c’est l’estimation de gain de 2 ETP par an sur la période 2021-2025, pour un gain total de 10 ETP, soit 540 000 euros.

Les HUS et l’ARS espèrent réduire les besoins de l’hôpital en postes paramédicaux grâce à des réorganisations. Il y a tout d’abord les lits fermés par manque de personnel… et qui le resteront : « La Direction des Soins a évalué l’impact des fermetures permettant d’acter la suppression des postes associés. » En ajoutant à ces fermetures définitives de lits des créations d’unités plus grandes, l’établissement envisage une économie « à hauteur de 15 ETP (tous métiers confondus) ». Le développement d’« alternatives à l’hospitalisation conventionnelle » et d’autres réorganisations de filières doivent permettre d’économiser 30 ETP supplémentaires. Au total, l’économie attendue est de 2 160 000 euros.

Énième poste d’économie : la poursuite de la sous-traitance du nettoyage de l’hôpital. Après avoir économisé les salaires de 197 postes lors d’une première phase d’externalisation entre 2015 et 2019, d’autres agents de service hospitalier (ASH) risquent de changer de poste ou de voir leur contrat se terminer. La « phase 2 » de l’externalisation doit permettre « une suppression de 84,9 postes » environ.

« On demande encore aux agents de faire des efforts inhumains »

Plusieurs axes du « contrat d’avenir » portent sur l’augmentation des recettes de l’hôpital. Pour ce faire, les HUS comptent notamment améliorer le système de facturation des actes et consultations externes (ACE). La vente immobilière du site de l’hôpital pédopsychiatrique de l’Elsau et d’une partie du secteur nord-est de l’Hôpital civil doit aussi permettre des recettes supplémentaires. Un partenariat avec le Groupe hospitalier Saint-Vincent et la Fondation Saint-François est aussi envisagé au niveau de la blanchisserie des HUS afin qu’elle traite et livre l’ensemble du linge de ces cliniques.

La CGT des HUS est le seul syndicat à avoir refusé de voter pour la signature de ce contrat en comité technique d’établissement. Pour Pierre Wach, son secrétaire général, cette feuille de route aboutira « à la réduction de l’offre publique de soins ». Preuve de l’opacité autour de ce document, le syndicaliste n’en a pas été destinataire. Il juge à partir d’un très court résumé de quelques pages : « À partir du peu d’éléments qui nous ont été communiqués, je ne vois pas comment augmenter l’activité sans embauche de soignants et même avec des pertes de postes parmi les personnels non soignants. On demande encore aux agents de faire des efforts inhumains pour redresser la trajectoire financière des HUS dont l’État seul est responsable. »

Ni les HUS ni l’ARS n’ont donné suite à nos demandes d’interview.

Guillaume Krempp (Rue89 Strasbourg)