Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde.fr : Pour « une assurance-autonomie publique obligatoire »

Avril 2018, par infosecusanté

Pour « une assurance-autonomie publique obligatoire »

Dans une tribune au « Monde », un collectif de spécialistes de la gériatrie estime qu’il existe des solutions pour épargner aux familles le drame financier de la dépendance.

LE MONDE

24.04.2018

Tribune.

La perte d’autonomie, liée chez un certain nombre de personnes âgées, à une maladie chronique invalidante, est un drame humain et financier pour les personnes atteintes et leurs proches. La prise en charge et la qualité des soins sont souvent insuffisantes, les soignants épuisés et le « reste à charge » trop lourd pour certaines familles. Par exemple, en institution, le coût d’hébergement varie de 1 600 euros à plus de 4 000 euros mensuels alors que la moyenne des retraites, en France, n’est que de 1 365 euros par mois !

Tous les gouvernements ont tenté des améliorations mais se sont heurtés au défaut de financement. Il faut trouver de l’argent neuf. Or les caisses de l’Etat sont vides et les familles, en particulier les classes moyennes, sont écrasées par les coûts induits par la perte d’autonomie.

Le paradoxe est que le coût de la prise en charge de la dépendance, insurmontable pour la personne, n’est que très modestement valorisé dans les comptes sociaux de la nation. En effet, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), seule aide aux familles pour prendre en charge la dépendance, n’est abondée que de 5,5 milliards d’euros. Par comparaison, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base, l’assurance-maladie représente 207 milliards d’euros par an, les retraites 230 milliards (chiffres 2017 provisoires).

Seuls 8 % de la population des plus de 60 ans sont atteints de dépendance, ce qui ne représente que 2,6 % de la population susceptible de cotiser

Toutes les solutions proposées impactent lourdement les familles (viager, liquidation du patrimoine, etc.). Une seule, pratiquée dans certains pays, par exemple au Japon, n’a pas encore été retenue par les politiques : l’assurance-autonomie publique obligatoire, différente des contrats actuellement proposés par les compagnies d’assurances.

Pourquoi cette solution déjà étudiée en 2011 n’est-elle pas proposée par les politiques et gouvernants en place ? Parce que, qui dit « assurance », dit aussi « cotisation » ou « prélèvement obligatoire ». Aucun politique ne veut annoncer de nouveaux prélèvements à une population française qui se sent déjà trop chargée d’impôts et prélèvements divers.

Cotisations minimes

C’est regrettable, car l’environnement démographique de la dépendance crée des conditions ultra-favorables à l’établissement d’une assurance-autonomie : seuls 8 % de la population des plus de 60 ans sont atteints de dépendance (soit 1 250 000 personnes), ce qui ne représente que 2,6 % de la population susceptible de cotiser. Ce rapport de 100 % de cotisants pour 2,6 % de bénéficiaires rendrait le système extraordinairement performant et les cotisations minimes. Rien de comparable avec la retraite ou l’assurance-maladie dont bénéficient 100 % des cotisants.

Pour que les cotisations soient les plus minimes possibles, une assurance-autonomie n’est concevable que si tous, salariés, non-salariés et retraités, cotisent dès le premier salaire ou les premiers émoluments. Pour cette même raison, cette assurance doit être obligatoire, car avant l’âge de la retraite on ne pense pas à la dépendance.

Les cotisations doivent être basées sur les revenus, selon les grands principes de l’assurance-maladie : « Je cotise selon mes moyens, je reçois selon mes besoins. » Elles doivent être indépendantes de l’état de santé ou du risque de dépendance. Pour cette raison, elles doivent être gérées par un organisme public du type CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) parce que la logique de l’assurance privée est de pratiquer, dans la majorité des cas, une sélection à l’entrée qui écarte les personnes qui présentent le plus de risque. Toutefois, le système privé garde toute sa place pour proposer des assurances complémentaires.

Si tout le monde (actifs, retraités, salariés, non-salariés) cotisait dès à présent en moyenne 1 euro par jour (30 euros par mois), ce système s’autofinancerait

Les résultats de nos premiers calculs confirment la modestie des cotisations. La dépendance serait évaluée, comme pour l’APA par la grille Aggir [pour « autonomie gérontologique, groupes iso-ressources »] d’évaluation de la perte d’autonomie. Ainsi, la mise en place d’une assurance-autonomie, procurant systématiquement 1 275 euros mensuels pour les plus dépendants et 925 euros mensuels pour une dépendance modérée, revalorisée annuellement sur les salaires, coûterait aujourd’hui 16 milliards d’euros par an à la collectivité pour atteindre 28 milliards en 2060, compte tenu de l’augmentation prospective du nombre de personnes dépendantes.

Si tout le monde (actifs, retraités, salariés, non-salariés) cotisait dès à présent en moyenne 1 euro par jour (30 euros par mois), ce système s’autofinancerait et serait même excédentaire jusqu’en 2060, et ce, malgré le potentiel « big bang » de 2035 (arrivée des papy-boomers à des âges où l’incidence de la dépendance est forte).

Cette cotisation, proportionnelle aux revenus (7 euros par mois pour les bas revenus), permettrait de répondre à l’objectif de cette proposition, résoudre les problèmes de la prise en charge de la dépendance. Sans participation patronale, elle ne pèserait pas sur l’emploi.

Convaincre les politiques

La prestation ne serait pas imposable et s’ajouterait à l’APA, qui a une valeur pédagogique dans l’établissement du plan de soin. Elle serait libératoire, c’est-à-dire affectée librement par la personne ou sa famille, qui se sentent parfois enfermées dans le plan de soin qui ne correspond pas toujours à leurs besoins. Toutefois, les équipes APA contrôleraient, une fois par an, le bien-fondé de son utilisation.

L’existence de l’assurance-autonomie apporterait à la collectivité près de 16 milliards d’euros d’argent « neuf ». Permettrait-elle de diminuer d’autres coûts ? Il est possible qu’un certain nombre de bénéficiaires n’aient plus besoin de demander l’allocation logement (AL) ou l’aide sociale à l’hébergement (ASH).

L’inclusion des jeunes ne devrait pas poser de problème car s’ils n’ont pas de travail, ils ne paient pas de cotisation, et s’ils en ont, ils paient une cotisation ultra-minime si leur salaire est faible. Ils ont tout intérêt à la création d’un tel système pour plusieurs raisons. Les transferts de patrimoine à leur avantage seront facilités si leurs parents ou grands-parents ne se sentent pas obligés de le garder pour payer un jour les frais d’une possible dépendance. Ils bénéficieront ensuite, à leur tour si besoin, du même système pour des cotisations minimes. Ils peuvent enfin exceptionnellement être impliqués dans le financement de la dépendance de leurs grands-parents à une période financièrement critique pour eux.

Commençant plus tôt, cette assurance aurait la capacité d’offrir des prestations qui sortiraient, enfin, les patients dépendants et leurs familles du cauchemar financier et permettrait une amélioration de la qualité des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Comment avancer dans cette perspective d’une assurance-autonomie obligatoire ?
Il faut d’abord convaincre les politiques. Mais, pour l’instant, plus aucun n’évoque cette question. Pourtant les très inhabituels mouvements de contestation dans les Ehpad approuvés par l’ensemble de la population en montre l’urgence.

Les signataires : Françoise Forette (médecin, directrice de l’International Longevity Center ILC France), Marie-Anne Brieu, Didier Halimi et Jean-Claude Salord (ILC France), Stéphane Mary et Benjamin Schannes (actuaires chez Mercer).