Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde.fr : Grand âge : la majorité dégaine une proposition de loi

Décembre 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Grand âge : la majorité dégaine une proposition de loi

Les présidents des trois groupes de la coalition présidentielle ont déposé un texte « visant à bâtir la société du bien-vieillir en France ».

Par Béatrice Jérôme

Publié le 12/12/2022

Ce 13 octobre, Emmanuel Macron a convié les députés macronistes de la commission des affaires sociales à un petit déjeuner à l’Elysée. Le chef de l’Etat prend des notes en écoutant Fadila Khattabi, présidente (Renaissance) de la commission, affirmer qu’il y a urgence à « envoyer un signal fort en direction de nos anciens – surtout après le scandale Orpea. Nous aimerions légiférer sur la base des travaux issus de nos rangs à l’Assemblée nationale, depuis longtemps sur la table ». « Tu as raison !, acquiesce Emmanuel Macron. Allez-y ! »

La consigne vient d’aboutir. Les présidents des trois groupes de la majorité, Renaissance MoDem et Horizons, ont déposé, mercredi 7 décembre, une proposition de loi « visant à bâtir la société du bien-vieillir en France ». Le texte est cosigné par plusieurs députés macronistes dont Mme Khattabi.

En prenant l’initiative de mettre sur le métier une loi grand âge, la majorité tente de faire oublier la promesse non tenue de M. Macron de porter une grande loi sur la dépendance sous son premier quinquennat. Plusieurs propositions de loi, déposées par la majorité en 2021, avaient été mises sous le boisseau dans l’espoir d’un « grand soir » qui n’a pas eu lieu. Plus question, dès lors, de rester l’arme au pied.

« Un texte riche et multidimensionnel »
« Notre volonté était bien de porter une proposition de loi dès le début du second quinquennat », confie Annie Vidal, députée (Renaissance) de Seine-Maritime, instigatrice et cheville ouvrière de la proposition de loi « bien vieillir ». Mmes Vidal et Khattabi ont très vite convenu de remettre sur le métier les propositions de loi restées lettres mortes pour en faire une synthèse. Les voilà recyclées dans le texte déposé le 7 décembre.

Ses thèmes principaux sont la prévention de la perte d’autonomie, la lutte contre la maltraitance, le coût des séjours en Ehpad. « On a abouti à un texte riche et multidimensionnel », se félicite Astrid Panosyan-Bouvet, députée (Renaissance) de Paris, chargée d’en coordonner la rédaction.

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, s’est impliqué dans le contenu du texte qui vient d’être déposé. Cette « initiative parlementaire est bienvenue. Elle crée une dynamique et montre que le sujet du bien-vieillir est une priorité de la majorité et qu’elle y a travaillé », se félicite-t-il.

Le texte lui fournit un terrain d’atterrissage idéal pour traduire en acte les propositions du Conseil national de la refondation (CNR) consacré au « bien-vieillir » qui se termine en mai. « Les propositions qui émergeront du CNR pourront enrichir la proposition de loi, présage-t-il. L’examen du texte pourrait débuter à l’Assemblée nationale dès le début d’année 2023. » Le travail en commission des affaires sociales est prévu pour février.

Le 20 octobre, la première ministre, Elisabeth Borne, s’est engagée devant les députés de la majorité à ce que la proposition de loi puisse disposer du temps nécessaire dans l’Hémicycle pour être débattue et enrichie par des amendements du gouvernement. Sur quatorze articles, l’un des principaux vise à améliorer la prévention. Le texte prévoit la création d’une « conférence nationale de l’autonomie » qui définira les programmes de prévention et leur financement pour rendre plus homogènes les politiques des départements.

Le texte s’attaque à la lutte contre la maltraitance. « Il faut sensibiliser les gens à alerter », insiste Mme Vidal. La proposition de loi prévoit la création « de cellules territoriales de recueil des informations préoccupantes », inspirées de dispositifs en vigueur pour la protection des enfants. Sur ce sujet « sociétal, le texte converge avec ma volonté de faire de la lutte contre les maltraitances aux personnes vulnérables un marqueur de mon action. On s’est retrouvé avec Annie Vidal qui a fait un gros travail sur ce sujet », se félicite le ministre des solidarités.

« La réforme des retraites est cruciale »
Pour faire baisser le coût des séjours en Ehpad pour les résidents aux revenus modestes, la proposition de loi veut favoriser le recours à l’aide sociale à l’hébergement (ASH), allocation versée par les départements qui couvre leur frais. Beaucoup renoncent à l’ASH pour ne pas faire peser un poids financier sur leurs descendants. Le texte prévoit qu’au décès de l’allocataire de l’ASH, les départements ne pourront plus pratiquer un recours sur succession auprès des petits-enfants – la pratique existe encore dans certains départements. La proposition de loi prévoit aussi un rapport sur la réforme de l’ASH.

Le texte instaure une carte professionnelle pour les aides à domicile afin de faciliter leurs déplacements, la délivrance de matériel médical en pharmacie. Cette carte, selon la proposition de loi, fera l’objet d’une expérimentation locale avant d’être généralisée.

Outre ces mesures qui figuraient déjà dans des travaux parlementaires et les rapports officiels, le texte innove sur deux points. Il instaure pour les résidents en Ehpad « un droit de visite et un droit au maintien d’un lien social et à une vie familiale normale » avec « une dérogation en cas de crise sanitaire », précise toutefois Mme Vidal.

La proposition de loi ouvre la voie à une harmonisation des salaires des aides à domicile. Les efforts du gouvernement pour revaloriser leurs rémunérations ont bénéficié aux personnels des structures associatives (60 % des effectifs du secteur). Ceux du secteur commercial et ceux qui ont un statut indépendant n’ont pas obtenu un tel rattrapage. « A métier égal, rémunération égale », plaide Mme Vidal. Le texte demande un rapport pour dresser l’état des lieux de ses écarts sachant que l’Etat est loin d’avoir la solution pour les combler à ce jour.

« Cette proposition de loi n’a pas vocation à se substituer à un projet de loi plus large », prévient Astrid Panosyan-Bouvet. « C’est une étape, insiste Mme Vidal, qui devra être complétée par un projet de loi qui seul peut dégager des financements nécessaires. »

M. Combe le répète : « On ne peut pas imaginer de nouveaux financements pour la branche autonomie si, par ailleurs, les branches vieillesse ou assurance-maladie sont tels des tonneaux des Danaïdes. Il faut les alimenter. La réforme des retraites est donc cruciale pour déterminer la trajectoire financière en faveur du grand âge. »

Puisque l’équation financière est loin d’être réglée, raison de plus pour « mettre en œuvre » des « mesures qui sont déjà prêtes », plaide M. Combe. Avec une majorité relative à l’Assemblée, l’exécutif se dit qu’une initiative parlementaire – plutôt qu’un projet du gouvernement – ne peut que faciliter leur adoption.

Béatrice Jérôme