Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : la mortalité globale serait bien plus de trois fois supérieure aux chiffres officiels

Mars 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : la mortalité globale serait bien plus de trois fois supérieure aux chiffres officiels

A l’échelle planétaire, 18,2 millions de personnes seraient mortes à cause de la pandémie en 2020 et 2021, selon une étude américaine publiée dans la revue « The Lancet ».

Par Florence Rosier

Publié le 11/03/2022

En novembre 2021, l’hebdomadaire britannique The Economist évaluait à 17 millions de morts le bilan de la pandémie de Covid-19 à l’échelle du globe, au lieu des 5 millions officiellement recensés. Le journal avait calculé l’excès de mortalité, toutes causes confondues, dans les différents pays. Il s’agissait cependant d’un travail « d’investigation journalistique de qualité, mais pas d’une étude scientifique, relue et validée par des pairs », précise le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale (université de Genève).

Cette fois, c’est une équipe de référence, à l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation (IHME) de l’université de Washington (Seattle, Etats-Unis), qui a sorti ses mètres d’arpenteur. Financée par la Fondation Bill & Melinda Gates, cette évaluation a été pilotée par Christopher Murray, un épidémiologiste de renom, qui a développé une méthode de mesure de la « charge mondiale de morbidité » selon les pays. Validé par des experts indépendants, ce nouveau travail a été publié, le 10 mars, dans la revue The Lancet.

Les chercheurs ont comparé, pays par pays, la mortalité enregistrée entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2021 à la mortalité attendue sur la base des tendances passées (jusqu’à onze années avant la survenue de la pandémie). Les décès excédentaires sont la différence entre les deux : une jauge assez fidèle du poids de la pandémie. « L’excès des taux de mortalité est probablement le meilleur critère de la performance de gestion de la pandémie dans les différents pays », estime Antoine Flahault.

Les effets indirects
Pour faire cette comparaison, l’équipe américaine a consulté les sites des gouvernements, la base de données sur la mortalité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la base de données sur la mortalité humaine et l’office de statistique de l’Union européenne (Eurostat). « Sur les 195 pays reconnus par l’ONU, 74 pays disposent de données solides sur la mortalité », précise Antoine Flahault. Les chercheurs ont déduit de leur calcul, par ailleurs, les décès liés à une vague de chaleur en Europe, à l’été 2020.

Mais pour les nombreux pays qui ne se sont pas dotés de registres d’état civil, colligeant naissances et décès ? Les auteurs ont eu recours à la modélisation, à partir des données fragmentaires dont ils pouvaient disposer – par exemple, des études réalisées sur des échantillons de populations.

Résultat : alors que le bilan officiel de la pandémie fait état de 5,9 millions de décès au cours des deux premières années de la pandémie, les auteurs estiment que 18,2 millions de morts excédentaires ont, en réalité, eu lieu durant cette période. Un terrible fardeau, analogue aux estimations de The Economist, en définitive.

Le Covid-19 aurait ainsi tué, au niveau mondial, 3,1 fois plus de personnes que le bilan officiel. Mais quelle est, dans cet effroyable inventaire, la proportion de décès directement dus à l’infection ? Quelle est celle des décès liés aux effets indirects de la pandémie : perturbations des services de santé et pertes économiques subies, d’où une aggravation de certaines maladies chroniques, suicides… « Impossible, à ce stade, de faire la part des deux », souligne Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Variation considérable
Dans tous les cas, « c’est un travail très sérieux, malgré ses limites inhérentes à la qualité des statistiques de décès, très variable selon les pays », ajoute cet épidémiologiste. « Pour les pays riches, cette estimation est remarquable. Pour les pays pauvres, elle relève considérablement la mortalité, mais l’incertitude reste énorme », renchérit Antoine Flahault.

De fait, les taux de surmortalité varient considérablement selon les pays et les régions du monde. Au niveau global, le taux de décès excédentaires est estimé à 120 décès pour 100 000 habitants. Mais, dans 21 pays, ce taux grimperait à plus de 300.

Les taux les plus élevés ont été enregistrés en Amérique andine (512 décès pour 100 000 habitants), en Europe de l’Est (345), en Europe centrale (316), en Afrique subsaharienne méridionale (309) et en Amérique centrale (274). Hors de ces régions, le Liban, l’Arménie, la Tunisie, la Libye, plusieurs régions d’Italie et plusieurs Etats du sud des Etats-Unis affichent aussi des taux de surmortalité importants.

Les données : la France a connu en en 2020 la plus importante mortalité de son histoire récente
Le ratio entre le nombre de décès excédentaires (tel que mesuré dans cette étude) et le nombre de décès recensés comme étant liés au Covid-19, par ailleurs, est maximal en Asie du Sud (où il y a 9,5 fois plus de décès excédentaires que de décès recensés officiellement attribués au Covid-19) et en Afrique subsaharienne (14,2 fois plus).

Certains pays ont présenté moins de décès
Quid du nombre absolu de décès surnuméraires ? Avec 5,3 millions de décès excédentaires, l’Asie du Sud paie le plus lourd tribut, suivie par l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1,7 million) et l’Europe de l’Est (1,4 million). A l’échelle des pays, c’est l’Inde qui vient en tête de ce décompte funèbre (4,1 millions de décès en plus), suivie par les Etats-Unis (1,1 million), la Russie (1,1 million), le Mexique (798 000), le Brésil (792 000), l’Indonésie (736 000) et le Pakistan (664 000). Ces sept pays seraient à l’origine de plus de la moitié de la surmortalité mondiale liée à la pandémie en 2020 et 2021.

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Et en Europe de l’Ouest ? Les taux de surmortalité liée au Covid-19, révèle ce travail, apparaissent en définitive très similaires en France (124,2 décès surnuméraires pour 100 000 habitants), en Allemagne (120,5) et au Royaume-Uni (126,8). En Italie, par contraste, ce taux est de 227,4. Le Royaume-Uni, fait notable, est un des rares pays où la mortalité estimée rejoint la mortalité déclarée. En France, le nombre réel de décès surnuméraires s’élève à 155 000, contre 122 000 reportés en 2020 et 2021, selon cette étude.

De façon surprenante, certains pays ont présenté moins de décès surnuméraires que prévu par le modèle durant les deux premières années de la pandémie. C’est notamment le cas de l’Australie (8,2 fois moins d’excès de décès que prévu), de la Nouvelle-Zélande (17,1 fois moins d’excès de décès) et de Singapour (2,1 fois moins d’excès de décès). « La stratégie zéro Covid a probablement réduit le nombre de décès liés aux maladies infectieuses et aux accidents », suppose Mahmoud Zureik.