Le droit à la contraception et à l’IVG

Le Monde.fr : Droit à l’IVG dans la Constitution : alors que le débat refait surface, le Parlement poussé au consensus

Juin 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Droit à l’IVG dans la Constitution : alors que le débat refait surface, le Parlement poussé au consensus

Après la décision prise vendredi 24 juin par la Cour suprême américaine de revenir sur le droit fédéral à l’avortement, la coalition présidentielle et la gauche pourraient converger sur un texte qui nécessitera l’appui de l’exécutif.

Par Mariama Darame

Publié le 27/06/2022

Que restera-t-il après les effets d’annonce ? En France, le débat sur le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a refait surface alors que vendredi 24 juin, la Cour suprême des Etats-Unis est revenue sur l’arrêt historique Roe vs Wade, en autorisant les Etats à déterminer eux-mêmes leur politique en matière d’IVG. Ils sont déjà plus d’une dizaine à avoir interdit la pratique sur leur territoire. Les élus français, de gauche comme de droite, se sont émus de ce recul en matière de libertés. « Une gifle » pour la députée La République en marche (LRM) de l’Essonne, Marie-Pierre Rixain, également présidente de la délégation des droits des femmes à l’Assemblée nationale. « On sait bien que les droits des femmes sont des totems pour les mouvements d’extrême droite mais également les populistes et les réactionnaires dès qu’ils arrivent au pouvoir », rappelle-t-elle.

Lire aussi : Droit à l’avortement : qu’est-ce que l’arrêt Roe vs Wade, qui a fixé le cadre légal de l’accès à l’IVG aux Etats-Unis en 1973 ?
Quelques heures après l’annonce des juges américains, la députée et la présidente du groupe LRM, Aurore Bergé, ont déposé une proposition de loi constitutionnelle pour inscrire dans la loi fondamentale, à l’article 66-2, que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Une formulation en partie reprise à une autre proposition de loi socialiste portée en 2019 par l’ex-député Luc Carvounas.

En avril 2018, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, avait balayé l’idée d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution pour « éviter à tout prix l’inflation législative, a fortiori en matière constitutionnelle » pendant l’examen d’une proposition de loi des communistes au Sénat. Quelques mois après, en juillet, la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, avait déclaré, lors d’une séance consacrée au projet de loi constitutionnel, qu’il n’y avait « nul besoin de brandir des peurs fondées sur la situation de ces droits dans d’autres pays pour affirmer qu’ils seraient menacés dans le nôtre » en réponse à des amendements du groupe La France insoumise (LFI) sur ce sujet.

Un texte de la Nupes ?
Aujourd’hui, les députés macronistes, faisant preuve de beaucoup plus d’allant sur les débats sociétaux que le chef de l’Etat, pourraient parvenir à imposer leur volonté avec le soutien de la gauche et certaines figures de la droite, comme lors de l’adoption de la loi sur l’allongement du délai de l’IVG de douze à quatorze semaines promulguée le 3 mars, contre l’avis de M. Macron. La démarche est aujourd’hui soutenue par deux membres du gouvernement et non des moindres, la première ministre, Elisabeth Borne, qui a assuré soutenir « avec force cette proposition de loi », et le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti. « Graver dans le marbre de notre Constitution ce droit fondamental est plus nécessaire que jamais en ces temps obscurs », a-t-il tweeté, samedi.

Ce texte a jeté un pavé dans la mare des oppositions, sommées de répondre à la proposition de Mmes Bergé et Rixain alors que, de la gauche radicale à l’extrême droite, elles rejettent toute idée de coalition avec le camp présidentiel. Dans un certain consensus qui tranche avec la période politique à couteaux tirés, une partie des élus est prête à soutenir cette modification constitutionnelle, notamment à gauche, où ceux de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) s’apprêtaient également à déposer un texte lundi, avant même l’initiative des deux macronistes.

Dimanche, les différents groupes de la Nupes essayaient encore de converger sur une écriture commune de l’exposé des motifs. « Ça prendra le temps que ça prendra, a défendu le coordinateur de LFI et député du Nord, Adrien Quatennens, je crois que c’est positif si nous arrivons à convaincre d’autres groupes, à la lumière de la situation aux Etats-Unis, qu’il faut protéger ce droit dans la Constitution, car l’avenir ne nous dit pas s’il pourrait être, ou non, menacé. »

Bayrou et Retailleau réticents
Mais une révision constitutionnelle nécessite un débat parlementaire apaisé et, dans une certaine mesure, un compromis préalable entre l’Assemblée nationale et le Sénat pour éviter la multiplication des navettes parlementaires. « La ratification d’une telle révision constitutionnelle passe par un référendum convoqué par le président de la République, qui est la voie classique, mais jamais utilisée, sauf une fois en 2000 pour l’instauration du quinquennat. Le passage devant le Congrès convoqué aussi par le président, avec une majorité aux trois cinquièmes adoptant la révision, n’est possible que si l’initiative du texte vient du gouvernement », rappelle le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.

Dans cette bataille de mots et de procédures, le Sénat s’apprête, lui aussi, à apporter sa pierre à l’édifice. Le groupe socialiste, sous la houlette de la sénatrice de l’Oise et ex-ministre des femmes, Laurence Rossignol, compte déposer d’ici mardi 28 juin sa proposition de loi constitutionnelle, avec une formulation « plus sécurisée sur le plan juridique » que celle de la majorité, selon elle. « Il faut que le gouvernement reprenne la main et dépose un projet de loi, soutient Mme Rossignol. Comme ça, nous irons jusqu’au Congrès, et on s’épargnera une campagne référendaire, comme Jospin avait fait pour la parité femme-homme en politique. »

Ce parallèle entre la situation américaine et le contexte français agace néanmoins une partie des oppositions, et même jusque dans la majorité. « C’est une opération politicienne », s’insurge le chef de file des sénateurs LR au Sénat, Bruno Retailleau, réputé très conservateur sur les questions sociétales. Ce dernier aimerait rappeler « que nous ne sommes pas aux Etats-Unis, et que nous ne sommes pas sous l’empire des décisions de la Cour suprême américaine. Les Français attendent de nous que nous réglions les problèmes qui sont français et urgents. Donc toute diversion ne trompera personne et certainement pas nous », déclare celui qui ne croit pas à la réussite d’une telle entreprise législative.

« Est-ce qu’aujourd’hui, franchement, dans l’état dans lequel le pays se trouve avec toutes les questions que nous avons devant nous, est-ce qu’il est bon, est-ce qu’il est utile de faire ça ? », a renchéri François Bayrou, le président du MoDem, dimanche sur BFM-TV. Face aux accusations de « manœuvre politicienne », Marie-Pierre Rixain réfute l’idée d’une démarche futile ou à contretemps. « Je suis la première à être très vigilante sur le fait de ne pas proposer des législations en réaction à des faits divers. Mais là nous ne sommes pas sur un fait divers, on est vraiment sur une lame de fond. »

« Je ne trouverais pas acceptable que tout cela ne soit que de l’affichage et de la communication politique et qu’après, on passe à autre chose car le sujet est trop compliqué à faire atterrir », défend Mme Rossignol. Si Emmanuel Macron ne s’est pas prononcé pour le moment sur cette proposition de loi constitutionnelle, il semble très clair que sans son concours, rien ne se fera.

Mariama Darame