Le droit à la contraception et à l’IVG

JIM - Le Sénat vote en faveur de la constitutionnalisation de la liberté de l’IVG

Février 2023, par Info santé sécu social

Paris, le jeudi 2 février 2023

Par 166 voix contre 152, le Sénat a voté pour inscrire dans la Constitution la liberté (et non le droit) d’avoir recours à l’IVG.

Si le Sénat est connu pour son conservatisme, il a pourtant fait preuve ce mercredi d’une certaine audace qui a été saluée par l’ensemble de la gauche, ce qui n’est pas courant. Ce mercredi, par 166 voix pour et 152 contre, les sénateurs ont voté en faveur de l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution. L’Assemblée Nationale avait également voté en faveur de l’inscription du droit (et non de la liberté) à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans notre loi fondamentale le 24 novembre dernier.

Là où les députés avaient voté pour l’inscription dans la Constitution d’un article 66-2 disposant que « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse », le texte adopté par la chambre haute ce mercredi est bien moins ambitieux. Il consiste en effet en une simple modification de l’article 34, qui liste les domaines dans lesquelles peut intervenir la loi. Les parlementaires ont ainsi voté pour que cet article dispose désormais que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exercer la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

Philippe Bas à la rescousse
La « liberté de » remplace donc le « droit à », une déception pour les élus de gauche et militantes féministes qui se sont tout de mêmes réjouis du vote. La sénatrice écologiste Mélanie Vogel a ainsi salué une « victoire historique » (bien que ce vote ne change concrètement rien à la situation des femmes dans notre pays) tandis que la militante féministe Céline Thiebault-Martinez s’est réjoui d’ « un signal très fort envoyé au-delà des frontières de la France, aux femmes d’Europe et du monde entier ».

Peu avait parié sur un vote favorable du Sénat, qui avait rejeté une proposition similaire de constitutionnalisation de l’IVG le 19 octobre dernier. C’est finalement le sénateur LR Philippe Bas, ancien collaborateur de Simone Veil, qui est venu à la rescousse du projet et qui a rédigé le texte adopté par la chambre haute. Selon lui, cette formulation de compromis « permet au législateur de ne pas abdiquer ses droits en faveur du pouvoir constituant », « garantit l’équilibre de la loi Veil » et évite que l’IVG ne devienne « un droit absolu », contrairement à ce qu’il en était avec la loi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée Nationale.

Des arguments qui n’ont pas totalement convaincu la plupart des élus LR du Sénat, qui ont voté contre le texte de leur collègue Phillipe Bas. « Je ne vois strictement aucune raison de modifier le vote que nous avons déjà émis à l’automne dernier, la Constitution n’est pas faite pour adresser des messages symboliques au monde entier » a expliqué Bruno Retailleau dans l’hémicycle. « Arrêtons de nous faire peur pour des choses qui n’existent pas aujourd’hui, rien n’est menacé et il ne sert à rien de faire entrer dans la loi fondamentale une liberté qui n’a rien à y faire » abonde dans le même sens Muriel Jourda. Une réponse aux élus de gauche, qui expliquent régulièrement que le droit à l’IVG est en danger et pourrait être remis en cause à tout moment, prenant l’exemple de la situation des Etats-Unis (dont le système constitutionnel et politique est pourtant aux antipodes du notre).

Un paradoxe démocratique
Les débats dans la chambre haute ont d’ailleurs été assez tendus ce mercredi et ont même été brièvement interrompus, quand des militantes féministes présentes dans les travées ont tenté d’empêcher de s’exprimer le sénateur zemmouriste Stéphane Ravier, alors qu’il tentait d’expliquer que cette réforme constitutionnelle est « inutile et dangereuse ».

Après le vote du Sénat, une navette parlementaire va donc se mettre en place pour tenter d’aboutir à un texte commun aux deux chambres. Pour rappel, pour une réforme constitutionnelle, l’Assemblée Nationale ne peut pas outrepasser le refus du Sénat comme pour une loi ordinaire. En principe, si les deux chambres se mettaient d’accord sur un texte, un référendum devra être organisé. A moins que le gouvernement ne reprenne le texte à son compte, auquel cas le scrutin populaire pourra être remplacé par un vote du Congrès.

Si le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a indiqué que le gouvernement soutiendrait « toute initiative parlementaire qui viserait à constitutionnaliser le droit à l’IVG », l’exécutif ne semble pour le moment pas prompt à intervenir pour éviter un appel au peuple. Etrangement, les élus de gauche appellent unanimement le gouvernement à tout faire pour éviter un référendum…tout en rappelant régulièrement que plus de 80 % des Français seraient favorables à la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Un paradoxe démocratique qui ne semble pas les déranger.

Quentin Haroche