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Le Monde.fr : « C’est à l’hôpital, le maillon public du système de santé, que réside la marge de manœuvre du chef de l’Etat »

Janvier 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : « C’est à l’hôpital, le maillon public du système de santé, que réside la marge de manœuvre du chef de l’Etat »

Pour le sociologue Frédéric Pierru, spécialiste des politiques de santé, Emmanuel Macron a tenu un discours de continuité sur la médecine de ville, sur laquelle il a peu de prise, et de rupture sur l’hôpital.

Propos recueillis par Laetitia Clavreul

Publié le 07/01/2023

Chercheur au CNRS et spécialiste des politiques de santé, le sociologue Frédéric Pierru voit dans le discours d’Emmanuel Macron devant les soignants, vendredi 6 janvier, le signe que le principal levier pour sortir le système de santé de la crise actuelle réside pour le chef de l’Etat dans l’hôpital public.

Comment qualifieriez-vous la prise de parole de M. Macron ?
Il s’agit d’un discours nécessaire, d’un point de vue politique, car les départs de feu dans le secteur sont nombreux. Le système de santé menace ruine de toute part : l’hôpital, bien sûr, mais aussi la ville avec les difficultés à trouver un médecin traitant, le médico-social avec les Ehpad. Un responsable politique, et le chef de l’Etat a fortiori, est obligé de se positionner. Le cœur du problème, c’est la réorganisation de la médecine de ville, et il faut relever qu’il n’en a pas beaucoup parlé, préférant se concentrer sur l’hôpital.

Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’il ait choisi de s’exprimer depuis un établissement hospitalier. Je comprends de ce discours que c’est depuis l’hôpital public qu’on peut garantir l’accès aux soins des Français, et qu’il a renoncé à réformer la médecine de ville. Ce que dit le président de la République entre les lignes, c’est que celle-ci n’est pas à la hauteur de ce qu’il faudrait, mais qu’il a peu de prise sur elle, comme tous les responsables politiques. C’est dans le maillon public du système que réside sa marge de manœuvre, d’autant qu’il ne peut anticiper le résultat des négociations conventionnelles actuelles entre les libéraux et l’Assurance-maladie.

Comment ce discours s’inscrit-il dans ses prises de parole sur la santé ?
Il ne s’agit pas d’un discours de rupture sur la santé en général, après ceux de 2018 sur [la stratégie] « Ma santé 2022 », celui de 2019 sur la refondation de l’hôpital, et celui de 2020 annonçant le Ségur de la santé. Mais cette fois, il a dit vouloir agir avec « beaucoup d’humilité » – ce qui ne le caractérise pas habituellement. Il a compris que les évolutions du système de santé, en France comme ailleurs, ne se décrètent pas, qu’elles se font à moyen et long terme, par exemple sur les questions de démographie médicale.

Une formule m’interpelle dans son analyse cependant : M. Macron a parlé d’« une crise sans fin », or, une crise est, par définition, très concentrée, avec un début et une fin. Les difficultés du système français remontent à plus de vingt ans, nous sommes plutôt dans une phase d’inadaptation structurelle et organisationnelle. Il s’agit davantage d’une obsolescence que d’une crise, d’autant qu’il faut faire face à de nouveaux enjeux, comme le retour des maladies infectieuses (avec le Covid notamment) et les maladies chroniques. Je note qu’il a pour la première fois parlé de ces dernières, c’est une bonne chose. Notre système de soins est organisé avec la médecine de ville pour les maladies bénignes et l’hôpital pour les maladies graves, mais pas adapté pour les maladies de longue durée.

C’est donc, pour vous, plutôt un discours de continuité ?
Oui, sur la médecine de ville, et c’est plutôt satisfaisant. Le chef de l’Etat a évité deux positions repoussoirs et n’a donné raison ni au mouvement des généralistes réclamant des consultations à 50 euros – des médecins radicalisés, qui ne représentent pas plus de 10 % de la profession –, ni aux partisans, y compris au sein de la majorité présidentielle, de contraintes à l’installation des praticiens. Il a préféré réaffirmer sa confiance dans la médecine de ville libérale, en conditionnant les hausses de revenus aux gardes et aux capacités à accueillir de nouveaux patients. Il joue sur les incitations. Restera à voir quel impact cela pourra avoir…

Et sur l’hôpital ?
Là, on peut parler d’une vraie rupture, avec la sortie de la T2A [la tarification à l’activité, mode de financement de l’hôpital]. Depuis longtemps il était question d’en sortir progressivement, et cela n’a pas marché. Cette fois, c’est le chef de l’Etat qui en parle, il se fait plus volontariste. Il vient d’en publier l’acte de décès, même si elle était déjà morte dans les faits : elle a été suspendue avec le Covid.

Sortie de la T2A, donc, tandem médecin-directeur à la tête de l’hôpital… Est-ce une remise en cause par M. Macron des choix d’une époque, dont la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) était le symbole ?
Dans le discours, oui, clairement ! Cette loi de 2009, c’était le deuxième étage de la fusée, après la création de la T2A. C’est l’époque où Nicolas Sarkozy disait qu’il fallait « un vrai patron » à l’hôpital. On peut dire qu’on entre dans le « post-HPST », après une décennie maudite à l’hôpital, entre 2010 et 2020. C’est là, après la crise financière, qu’a commencé la terrible cure d’austérité pour l’hôpital, qui a dû contribuer en première ligne à la baisse des déficits publics. Un passage qui marque la baisse des investissements et la dégradation des conditions de travail, que le Covid est venu percuter.

M. Macron a promis une réorganisation du travail à l’hôpital. Une bonne chose ?
Je vois là le deuxième point de rupture du discours. Il a déploré une « hyperrigidité » des 35 heures. C’est une remise en cause qui me chagrine : est-ce le moment de rallonger le temps de travail des soignants ? Il ne faudrait pas que celui-ci serve de variable d’ajustement pour sortir de cette crise dont il parle.

Laetitia Clavreul