Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : que reste-t-il, après trois ans de pandémie ?

Mars 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : que reste-t-il, après trois ans de pandémie ?

La banalisation de l’infection est une évidence, le « vivre avec » est devenu réalité, et beaucoup ont perdu l’habitude des gestes barrières. Un « rendez-vous manqué » pour certains chercheurs, même si d’autres voient quand même des avancées.

Par Florence Rosier et Delphine Roucaute

Publié le 1103/2023

Le 11 mars 2020, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, qualifiait pour la première fois le Covid-19 de pandémie. En trois ans, la maladie s’est installée durablement dans le paysage, alors même que la plupart des stigmates de cette étrange période de confinements, de couvre-feux et d’isolements ont disparu de l’espace public.

Si des masques s’observent encore sur quelques visages dans les transports en commun et établissements de santé, la plupart des tentes de dépistage ont disparu des trottoirs, les centres de vaccination ont quitté les salles municipales et les autotests ne composent plus les têtes de gondole des pharmacies. Le passe vaccinal n’est plus exigé à l’entrée d’un lieu public et la primovaccination n’est même plus recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS).

La banalisation de l’infection est une évidence. C’est comme si la prophétie autoréalisatrice du gouvernement, « vivre avec le virus », était enfin devenue réalité. Ce mantra répété à l’envi par les différents ministres et imposé par Emmanuel Macron a d’abord été utilisé pour justifier une stratégie opposée au « zéro Covid », adoptée par certains pays comme la Chine, puis pour accompagner les mesures de restriction guidant les processus de déconfinement des deux premières années. En 2022, l’expression a encore pris une coloration différente. Lorsque la population a été submergée par le raz de marée Omicron (plus de 365 000 infections par jour au 24 janvier 2022), la nécessité de « vivre avec » s’est imposée à tous. Et c’est paradoxalement au moment où les contaminations restaient très fortes que les mesures de restriction ont commencé à être levées.

La fin de l’obligation du port du masque dans les lieux publics, entreprises et écoles a été annoncée le 3 mars 2022, lorsque près de 52 000 personnes attrapaient le virus tous les jours. En comparaison, lors du deuxième confinement, du 30 octobre au 15 décembre 2020, le pic avait à peine dépassé 48 000 cas par jour.

La différence, entre ces deux périodes, est que près de 60 % de la population avait reçu au moins trois doses de vaccin. Depuis la loi du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d’exception encadrant la gestion sanitaire de l’épidémie, deux vagues supplémentaires ont entraîné la mort de plus de 12 000 personnes en France.

« La mobilisation diminue »
« On s’est aperçu que la population s’adapte aux indicateurs : lorsque l’incidence baisse, on cesse de se protéger. Et cette banalisation du risque s’accélère au cours du temps ; à chaque vague, la mobilisation cognitive et comportementale diminue », analyse Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des hautes études en santé publique (Ehesp). Y compris lors de la triple épidémie grippe-bronchiolite-Covid-19 de l’hiver 2022, la remontée de pratiques comme le port du masque dans les transports a été très limitée (+ 10 %, selon le chercheur).

« Les acteurs de santé publique espéraient qu’il y ait un apprentissage et une acculturation comme dans les pays asiatiques, mais on observe plutôt une forme de résilience, les gestes prépandémiques reprennent leurs droits », ajoute le chercheur. Plus le risque est familier, ancien et prévisible, moins il suscite d’inquiétudes.

Un vrai « rendez-vous manqué », selon Mélanie Heard, responsable du pôle santé à Terra Nova. « Le Covid-19 aurait pu servir de leçon : quand on est malade, on a une responsabilité envers les autres, de ne pas les contaminer, en portant son masque par exemple », estime la politologue, pour qui cet échec de pédagogie de la part des autorités sanitaires englobe le peu de cas qui est fait aujourd’hui des personnes immunodéprimées. La fin de l’isolement systématique requis pour les personnes diagnostiquées positives, au 1er février, a été un signal très mal accueilli par les associations de patients.

D’autres sont plus optimistes. « Les plus fragiles auront appris à se méfier des virus respiratoires, note Bruno Lina, directeur du Centre national de référence des virus des infections respiratoires à Lyon. Ils portent plus volontiers le masque dans des lieux fréquentés. » Une part de la population, observe-t-il, a gardé le réflexe de garder un masque en poche. « J’aimerais que l’adhésion soit comparable pour l’hygiène des mains, utile contre de nombreuses autres infections », ajoute le virologue.

Succès du vaccin
Par ailleurs, « un ratage de communication de la part du gouvernement a été de ne pas mettre davantage en valeur le succès des vaccins, qui, plus que les confinements, ont permis de sortir de l’épidémie », insiste Mélanie Heard.

Un succès d’une ampleur qui n’en finit pas d’étonner la communauté scientifique. A cet égard, Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, souligne combien « les efforts considérables de recherche accomplis » ont porté rapidement leurs fruits – autre leçon de la pandémie. Un chiffre illustre ce succès. La vaccination anti-Covid-19 a permis d’éviter dans le monde jusqu’à 19,8 millions de morts en 2021, a ainsi estimé une équipe londonienne en juin 2022.

Pour autant, constate Bruno Lina, « nous avons toujours beaucoup de mal à convaincre une part importante de la population, en France, de l’intérêt de la vaccination en général ». De fait, si le taux de population éligible ayant reçu un rappel s’est montré très élevé (plus de 80 %) tant qu’il était imposé par le passe vaccinal, le succès de la campagne de rappel pour les populations vulnérables, à l’automne 2022, a été plus que mitigé (environ un quart des plus de 65 ans). La HAS, par ailleurs, envisage de supprimer l’obligation vaccinale pour les professionnels de santé, dernière mesure d’exception liée à la période épidémique.

Alors que toutes les restrictions ont été levées, que reste-t-il du SARS-CoV-2 ? A l’hôpital, « grâce à la vaccination, le Covid-19 est devenu une infection respiratoire presque comme les autres, avec un risque non négligeable de forme grave surtout pour les plus vulnérables », souligne Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l’hôpital Bichat, à Paris. Si le masque était déjà très présent dans certains services comme la réanimation, « le Covid-19 a instauré, chez les médecins, un port du masque plus spontané avec tous leurs patients, surtout ceux qui ont des infections respiratoires », souligne l’infectiologue.

L’habitude des tests
D’autres pratiques se sont généralisées. « La révolution post-Covid, c’est que les gens se sont habitués aux tests fournissant en quelques minutes un diagnostic. Ce genre de test utilisé dans les cas de grippe permet de réduire la prescription d’antibiotiques. C’est donc un enjeu majeur de capitaliser sur ce changement de paradigme », s’enthousiasme Anne-Claude Crémieux, professeure en infectiologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris.

Côté traitement, quel sera l’avenir de la meilleure arme anti-Covid-19 disponible, le Paxlovid, cette pilule antivirale du laboratoire Pfizer ? Parée de sérieux atouts, elle a pourtant vu son utilisation restreinte par plusieurs freins. « Ce médicament a longtemps été compliqué à prescrire, témoigne Jacques Battistoni, ex-président du syndicat de médecins généralistes MG France. Peu de médecins généralistes ont pu s’en emparer de façon régulière, c’est assez décevant. » De fait, de février 2022 à janvier 2023, seulement 91 000 prescriptions de Paxlovid ont été réalisées en France, selon le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare.

En cas de recrudescence de l’épidémie, le recours à ce traitement pourrait néanmoins augmenter, estime Jacques Battistoni. Encore faut-il le prescrire à bon escient. « Pour les personnes non fragiles, le Paxlovid ne sert à rien, rappelle Bruno Lina. Il n’est bénéfique que chez les patients à risque de formes graves. »

« Etre dans l’anticipation »
Les anticorps monoclonaux, de leur côté, ont suscité de grands espoirs : ils ont été les premiers traitements efficaces chez les personnes immunodéprimées. Malheureusement, à mesure que de nouveaux variants apparaissent, bardés de mutations, ils mettent très vite en échec ces armes thérapeutiques. « La viabilité du modèle de ces anticorps pose question, observe Mahmoud Zureik. Pour les industriels, il n’est pas évident de développer des traitements à la durée de vie si brève. »

Pour d’autres experts, les leçons du Covid-19 resteront amères. Essoufflement du système de santé, difficultés de recrutement, tensions d’approvisionnement pour certains médicaments : « Aujourd’hui, on est presque moins bien préparés à l’éventualité d’une nouvelle menace pandémique qu’en janvier 2020 », alerte Djillali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP) à Garches.

Face à l’urgence sanitaire, le monde a jusqu’ici été dans une réaction défensive, mais cette période de guerre acharnée semble derrière nous. « Dans la période de guerre froide qui se profile, il s’agira d’être dans l’anticipation », avertit Mahmoud Zureik.

Les recettes sont connues : il faut continuer à surveiller le SARS-CoV-2, mais aussi la myriade d’agents pathogènes qui infectent la faune sauvage ; poursuivre la vaccination et le traitement des plus fragiles ; ne pas relâcher les efforts de recherches sur des moyens de lutte innovants ; équiper les milieux clos fréquentés en systèmes de purification de l’air… Ces leçons essentielles seront-elles entendues ?

Florence Rosier et Delphine Roucaute