La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Reporterre - « Mon fils est mort à 17 ans » : des familles dénoncent les accidents du travail

Avril 2023, par Info santé sécu social

Les familles et proches de prolétaires morts au travail se sont rassemblés à Paris pour demander les mesures qui pourraient mettre fin à cette hécatombe.

Paris, reportage

Adrien, Hugo, Flavien, Romain, Jérôme, Mohamed… Du mégaphone s’échappe une interminable série de prénoms. Comme pour les accompagner dans l’air froid parisien, les pétales rose pâle d’un prunier myrobolan s’envolent à leur tour dans les bourrasques. Et puis, d’une même voix fragile, les familles s’écrient : « Morts au travail ! »

Le 4 mars, une centaine de femmes et d’hommes vêtus de t-shirts blancs ont occupé le square d’Ajaccio, du 7ᵉ arrondissement de Paris. Répondant à l’appel du collectif Familles : Stop à la mort au travail, tous dénonçaient le déni et le silence entourant les accidents mortels au travail. Une larme ruisselant sur la joue, les yeux clos ou fixant le béton glacial, ils arboraient les portraits souriants de leurs proches défunts.

Parmi eux, celui de Romain Torres et sa petite bouille d’adolescent au sourire angélique. Le 28 juin 2018, dans une forêt reculée d’Alsace, ce jeune stagiaire bûcheron a été mortellement percuté par un tronc. « Il adorait se promener dans les bois et construire des cabanes. Son rêve était de devenir garde forestier à l’ONF [Office national des forêts] », témoigne Sabine, sa mère.

Jugé, son maître de stage a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 2 000 € d’amende. Il a été reconnu coupable de quatre infractions aux règles de sécurité. « Romain n’avait que 17 ans. Il faut témoigner, dire que des élèves peuvent mourir en formation. Les apprenants doivent protéger nos enfants. [1] »

« En première ligne, il y a les ouvriers du BTP »
Des histoires comme celle-ci, Matthieu Lépine en a recensé 1 399, entre 2019 et 2022. Professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis, il est l’auteur d’une enquête sur les morts au travail, appelée L’Hécatombe invisible (éditions Le Seuil) : « Les agriculteurs et ouvriers agricoles figurent parmi les plus touchés, souvent victimes des engins manipulés, comme le petit Arthur, écrasé par le bras mécanique d’un tracteur à 14 ans, détaille-t-il. D’autres métiers ne sont pas en reste, comme les bûcherons, les marins-pêcheurs ou les routiers. Et bien sûr, en première ligne, il y a les ouvriers du BTP. »

Roses blanches et portraits plastifiés recouvrent désormais la clôture métallique du square. Accroupie, un poster de son fils sous le bras, une femme bataille avec un rouleau de scotch. Les mains anesthésiées par le froid, elle s’impatiente et éclate brusquement en sanglots. Valérie Wasson a perdu son garçon de 21 ans en mai 2020. Ingénieur stagiaire pour le groupe Fayat, il travaillait depuis trois jours sur le chantier du RER E, à Pantin : « Il a été envoyé seul sur un toit pour ramasser des câbles. On l’a retrouvé six mètres plus bas. »

Dès lors, la famille Wasson s’est lancée dans une bataille pour obtenir justice et réparation. En première instance, le groupe a écopé de 240 000 € d’amende pour homicide involontaire et a immédiatement fait appel. « Ils jouent du système judiciaire pour nous épuiser jusqu’à l’abandon. C’est comme ça qu’ils évitent les vagues face aux familles précaires. C’est parti pour durer dix ans, mais on ne lâchera rien », promet Valérie.

À côté de la photo de Jérémy repose celle de Maxime Wagner. Père de deux enfants, il s’est éteint à l’âge de 37 ans sur l’un des 170 chantiers du Grand Paris. Intérimaire pour une filiale de Vinci, il participait à creuser le tunnel du prolongement de la ligne 14.

Dix mois plus tard, Abdoulaye Soumahoro, ouvrier d’Eiffage de 41 ans et papa de trois enfants, a chuté dans un malaxeur à béton situé à 30 mètres de profondeur sur le chantier de la ligne 16. Percuté par une barre métallique de plusieurs centaines de kilos, un homme de 61 ans a allongé la funeste liste du Grand Paris le 5 janvier 2022, sur le chantier de la future station Pleyel, à Saint-Denis.

« Pour les travailleurs détachés ou sans-papiers, le Grand Paris est un carnage invisible »

« Et tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pour les travailleurs détachés ou sans-papiers, les Moldaves, les Serbes ou les Ukrainiens, le Grand Paris est un carnage invisible et gratuit, assure Frédéric Mau, secrétaire fédéral de la Confédération générale du travail (CGT), les oreilles emmitouflées dans son bonnet. Les morts sont discrètement renvoyés dans des boîtes en carton vers leur pays d’origine, et on affrète des charters pour les mutilés. »

À l’écart de la foule, Viktoriia Obydniac est immobile, l’air hagard. Son mari, Roman, est mort d’une chute sur un chantier de BTP en Seine-et-Marne. Elle tente depuis d’affronter la barrière de la langue et de l’accès au droit. Son époux n’ayant pas de numéro de Sécurité sociale permanent, les démarches s’enlisent : « Elle dit qu’elle n’a toujours rien perçu et qu’elle tente de s’en sortir comme elle peut pour nourrir ses deux enfants, traduit la femme qui l’accompagne. Certains collègues de son mari l’aident à payer son loyer, mais la plupart l’ont ostracisé par peur de représailles du gérant, s’ils venaient à dénoncer les conditions de travail. »

Le collectif a ensuite été reçu, près de trois heures durant, au ministère du Travail, à quelques pas du square d’Ajaccio. Parmi la liste de doléances déposées : la création d’une cellule d’urgence offrant un soutien psychologique et juridique aux familles meurtries, le décompte transparent des accidents ou encore le retour des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), disparus en 2020. « En France, nous sommes 25 millions d’actifs pour 1 700 inspecteurs du travail, déplore un syndiqué. Les morts sont loin d’être une fatalité. Finissons-en avec cette inacceptable absence de contrôle. »