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Le Monde.fr : L’abandon d’un système de suivi des cancers de l’amiante provoque une vive émotion

il y a 1 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : L’abandon d’un système de suivi des cancers de l’amiante provoque une vive émotion

Des associations et des médecins déplorent que Santé publique France mette fin à un programme de surveillance des mésothéliomes, pour des raisons budgétaires. « Maintenir l’effort de recherche est crucial », alerte le professeur Arnaud Scherpereel.

Par Bertrand Bissuel

Publié le 28 février 2024

Des manifestants de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, lors d’un rassemblement dénonçant les défaillances de la justice à l’égard des victimes et de leurs familles, à Paris, le 9 octobre 2015. ALAIN JOCARD / AFP
Elles ont l’impression que l’Etat a tiré une croix sur les individus atteints d’un cancer de l’amiante. Annoncé fin décembre 2023, juste avant Noël, l’abandon d’un système de suivi des mésothéliomes continue de susciter de la colère parmi les organisations qui épaulent les malades et leurs proches. Sur un ton plus mesuré, plusieurs médecins, œuvrant sur cette question, expriment leur vive préoccupation face à un arbitrage qui risque, selon eux, de s’avérer préjudiciable aux patients tout comme à la connaissance scientifique.

L’alerte a été donnée, le 24 janvier, par un communiqué au canon de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). « Tout se passe comme si on avait décidé de casser le thermomètre pour soigner la fièvre ! », dénonce-t-elle.

A l’origine de son indignation, il y a un courriel envoyé un mois plus tôt à une trentaine d’experts par l’agence Santé publique France. Dans cette correspondance, révélée par nos confrères de Santé & travail et à laquelle Le Monde a eu accès, l’établissement public écrit qu’il « n’est plus en mesure de déployer le dispositif national de surveillance des mésothéliomes », qui devait « prendre le relais » d’un programme remplissant la même fonction dans une vingtaine de départements. « Cette décision est extrêmement difficile mais l’agence [n’a plus les] ressources suffisantes », justifie Santé publique France.

Le recours massif à l’amiante, durant le XXe siècle, s’est accompagné d’une hausse significative des cancers de la plèvre (ou mésothéliomes pleuraux). En France, le « nombre annuel de cas estimé » est passé de 800 à un peu plus de 1 110 entre les périodes 1998-2002 et 2013-2016, selon un article du Bulletin épidémiologique hebdomadaire publié fin avril 2020. Chez les hommes, la maladie résulte, pour l’essentiel, d’une exposition à l’amiante en lien avec leur activité professionnelle. Ce sont bien souvent des travailleurs réalisant des interventions, par exemple dans le bâtiment, avec des produits qui contiennent le matériau incriminé.

« Revoir nos procédures en mode dégradé »
Depuis 1998, le mésothéliome pleural fait l’objet d’un programme de surveillance très sophistiqué, qui poursuit plusieurs objectifs : évaluer et scruter l’incidence de la pathologie, observer la survie des patients, déterminer les métiers et secteurs les plus à risque, etc. Dès qu’un cas est identifié, une enquête minutieuse est conduite. Le dispositif s’appuie notamment sur Netmeso, un réseau de médecins rattachés à de grands établissements de santé qui sont spécialisés dans les tumeurs rares de la plèvre. Le rôle de ces experts est majeur : ils livrent – entre autres – des diagnostics pour certifier qu’un individu souffre bel et bien d’un mésothéliome pleural.

Cette « authentification » permet ensuite de prodiguer des traitements adaptés. Elle offre, qui plus est, au patient la possibilité d’obtenir une compensation financière de la part du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante et de se voir reconnaître une maladie professionnelle par la Sécurité sociale, ce qui améliore les dédommagements. Enfin, l’implication d’acteurs pointus a contribué à faire remonter, au fil du temps, des informations précieuses.

Limité à une fraction du territoire, ce système de suivi avait vocation à être étendu. Mais faute de crédits, le projet est donc interrompu, tout comme le programme qui avait été mis en place en 1998. « Jusqu’en 2023, Santé publique France finançait notre activité de certification diagnostique à hauteur de 28 %, explique la professeure Sylvie Lantuejoul, coordinatrice du réseau Netmeso. S’il n’y a plus aucun soutien sur le volet surveillance des mésothéliomes, nous devrons revoir nos procédures en mode dégradé, en nous concentrant sur une partie seulement des dossiers à certifier. » D’après elle, une telle situation aurait des « répercussions » négatives à plusieurs niveaux : sur la qualité et le délai de production des « comptes rendus diagnostiques », sur la prise en charge et l’indemnisation des patients, sur l’exhaustivité des données recueillies, sur les projets de recherche, etc.

« Maladie qui ne recule pas »
Pour le professeur Arnaud Scherpereel, coordinateur du réseau Netmeso, la décision de Santé publique France est susceptible de briser « un outil d’observation essentiel pour appréhender cette maladie, qui ne recule pas tout en changeant de visage au fil des ans ». « La proportion de femmes atteintes d’un mésothéliome s’est accrue et il semble que l’on assiste à une progression des cas liés à la présence d’amiante, en dehors des professions connues pour être exposées à la fibre cancérogène, complète-t-il. Dans ce contexte, maintenir l’effort de recherche est crucial. »

Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva, se dit « choqué » que le suivi épidémiologique des cancers de la plèvre soit ainsi mis à mal. Un tel choix est douloureux à vivre, pour les individus concernés comme pour leurs familles.

Président du groupe d’étude « amiante » à l’Assemblée nationale, le député (Renaissance) du Finistère Didier Le Gac a interpellé, le 6 février, Catherine Vautrin, la ministre du travail. Dans une « question écrite », il lui demande de « bien vouloir procéder à l’annulation » de l’arbitrage annoncé fin décembre 2023. Le sénateur (Les Républicains) du Calvados Pascal Allizard a effectué une démarche identique, le 8 février, pour « savoir si le gouvernement envisage de revoir » ces choix.

Sollicitée, Santé publique France assure poursuivre « son engagement sur la surveillance de l’incidence des mésothéliomes, selon des modalités qui garantiront notamment de pouvoir disposer de données d’incidence (…) régulièrement actualisées » et « des éléments sur la caractérisation des expositions ». L’agence affirme aussi qu’elle publiera, en 2025, des statistiques sur le nombre de cas pour la période allant de 1998 à 2023. Mais cette réponse succincte ne rassure nullement M. Bobbio : « On nous dit qu’il va subsister quelque chose, sans que l’on sache précisément de quoi il s’agira. »

Bertrand Bissuel