La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Médiapart - ACCIDENTS DU TRAVAIL, CES VICTIMES QU’ON NE VEUT PAS VOIR

Mai 2023, par Info santé sécu social

Comment on meurt au travail : le cas emblématique de Tom Le Duault
Le 25 octobre 2021, cet étudiant de 18 ans est mort, au premier jour d’un CDD dans l’abattoir de volaille du groupe LDC où travaille sa mère. L’entreprise vient d’être condamnée, et ses parents veulent « faire passer ce sujet de la rubrique des faits divers à celle des faits de société ».

Dan Israel
26 mai 2023

Son nom a rejoint la longue liste de celles et ceux qui meurent au travail en France. Tom Le Duault est décédé le 25 octobre 2021, à 18 ans, le premier jour de son contrat à durée déterminée dans l’abattoir LDC Bretagne à Lanfains (Côtes-d’Armor).

Le jeune homme était étudiant en BTS technico-commercial à Rennes. Il a trouvé la mort dans une usine du leader français de la volaille, 4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Sur les lieux mêmes où sa mère Isabelle travaille depuis 28 ans.

Jeudi 25 mai, l’entreprise a été condamnée par le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc à une amende de 300 000 euros (la peine maximale est de 375 000 euros) et à près de 100 000 euros de dommages et intérêts aux proches de la victime. L’ancien directeur de l’usine a été pour sa part condamné à deux ans de prison avec sursis, là où le parquet avait demandé 15 mois avec sursis lors de l’audience du 30 mars. L’entreprise a indiqué qu’elle ne ferait pas appel.

Tom fait partie des 645 morts d’un accident du travail dans le secteur privé en 2021, selon l’assurance-maladie – près de deux par jour. Et ses parents sont déterminés à ce que son nom et son visage ne s’effacent pas. « Je parle de lui tous les jours », revendique sa mère, qui a repris le travail à mi-temps il y a près d’un an, « pour ne pas tourner folle ».

« Nous n’avons jamais hésité à parler de l’accident de Tom. Plus on remue la vase et plus vite les choses changeront, considère son père, Jean-Claude. On va peut-être enfin réussir à faire passer ce sujet de la rubrique des faits divers à celle des faits de société. »

Les époux Le Duault font partie du collectif Stop à la mort au travail, une initiative inédite montée il y a quelque mois par les familles des victimes, soutenues par Matthieu Lépine, ce professeur d’histoire qui recense sur Internet les victimes d’accident professionnel et en a récemment fait un livre (regarder notre émission).

Le sujet, étudié de près par quelques professionnel·les comme la sociologue Véronique Daubas-Letourneux, est resté longtemps sous les radars médiatiques, alors qu’on sait qu’il touche davantage les travailleurs et travailleuses du bas de l’échelle, en intérim ou autres contrats précaires. Et la mort de Tom Le Duault a tout pour devenir un dramatique cas d’école permettant de raconter la mécanique de ces accidents graves ou mortels.

Pas d’accompagnement, pas de formation
Alors qu’il devait s’occuper de mettre en carton les volailles découpées, il lui a été demandé au pied levé de remplacer un salarié absent au « frigo carcasses », où sont entreposés des milliers de kilos de viande, dans des caisses pouvant peser jusqu’à 500 kilos, le tout entassé sur trois niveaux, quand les règles de sécurité préconisent seulement deux niveaux.

Ce 25 octobre fatal, Tom Le Duault a donc commencé vers 9 h 15 à empiler les caisses avec un « gerbeur », un appareil de levage. Seul : son binôme, un intérimaire ne parlant pas le français, s’était éloigné. Sans équipement de protection particulier. Et sans autre accompagnement qu’une vague consigne orale, bien qu’une formation théorique soit censée être obligatoire pour utiliser ce type d’engin.

« À 9 h 52, on le voit sur une caméra de surveillance, et c’est la dernière fois, relate Isabelle Le Duault. Personne ne s’est inquiété de son absence, jusqu’à ce qu’on le découvre, à 10 h 45. » Il est enseveli sous deux caisses. Il a peut-être essayé de débloquer la fourche du gerbeur, coincée en position haute, et aurait ainsi déséquilibré les caisses, rendues instables par leur empilement.

Malgré un massage cardiaque et l’intervention du Samu, Tom est mort, asphyxié sous le poids de la volaille. « Je leur ai fait confiance et ils n’ont pas pris soin de mon fils, déplore sa mère. S’il n’avait pas été laissé seul, s’il avait eu une formation… »

Les conclusions de l’enquête de l’inspection du travail, dévoilées à l’audience, sont sévères. L’état du gerbeur a été jugé défaillant. Les caisses auraient dû être transportées une par une, et non par deux ou par trois, comme c’était pourtant l’usage courant. Tom n’avait par ailleurs pas signé de fiche de poste. Quant à son absence de formation, elle était monnaie courante dans l’entreprise : plusieurs de ses collègues ont expliqué aux gendarmes qu’ils savaient mal se servir de l’appareil.

« Pour eux, la sécurité, c’était secondaire. Ce qui primait, c’était le rendement, la productivité, pour que les chiffres transmis tous les mois aux actionnaires brillent comme de l’or », résume son père.

Fautes lourdes
Pour ajouter à l’horreur de la situation, Tom, qui enchaînait les contrats courts pendant les vacances depuis Noël 2020, s’était déjà blessé l’été précédent, au même poste. Son premier accident, causé par un transpalette, n’était pas anodin, puisqu’il avait occasionné un arrêt de travail de 18 jours.

« Notre fils avait peur d’être à ce poste, mais personne ne nous l’avait dit. Il voulait faire bien, le gamin, et personne ne lui a dit quels gestes il fallait éviter », souligne Jean-Claude Le Duault. « Et personne ne lui avait parlé du droit de retrait [qui permet aux salariés de quitter leur poste s’ils estiment être en danger – ndlr]. Il faut informer les jeunes là-dessus, ils ont des droits », insiste ce chef d’entreprise, qui espère trouver le temps dans les années à venir « pour aller dans les lycées », témoigner et rappeler l’existence de ce droit.

À l’audience, le parquet avait estimé que « plusieurs fautes lourdes » avaient été commises par l’entreprise, résultant « d’une accumulation de négligences » et d’une désorganisation du site. « Les gendarmes ont mené l’enquête sérieusement, la justice a été à l’écoute, et a entendu notre douleur », juge Isabelle Le Duault.

Notre avocat, Me Ralph Blindauer, nous avait avertis qu’en plus de 40 ans de métier, il n’avait jamais envoyé un patron en prison.

Jean-Claude Le Duault

Pour autant, la condamnation de LDC ne pèse pas lourd aux yeux du couple : « Vue depuis notre statut de parents ayant perdu leur enfant, la peine n’est pas à la hauteur. Même si on sait que cette décision va dans le bon sens, comme nous le disent d’autres membres du collectif des familles de victimes. »

« Nous attendions de la prison ferme, mais en sortant du palais de justice, notre avocat, Me Ralph Blindauer, nous avait avertis qu’en plus de 40 ans de métier, il n’avait jamais envoyé un patron en prison », confie Jean-Claude Le Duault.

« J’ai obtenu une ou deux fois des peines de prison, mais je n’ai jamais vu personne les exécuter », confirme l’avocat. « Tant qu’on ne condamne pas à de la prison ferme dans ce type de dossier, les choses ne changeront pas, les patrons ne prendront pas conscience qu’ils doivent changer », considère-t-il. « Le tribunal a pris l’exacte mesure de la gravité des faits, salue tout de même l’avocat. Et à l’audience, l’entreprise a dû reconnaître sa culpabilité, certes du bout des lèvres. »

Les parents de Tom n’excluent tout de même pas totalement la possibilité de faire appel. Et lorsqu’on les interroge sur les nouveaux délais que cela occasionnerait, leur réponse est énoncée sans frémir : « Nous avons toute la vie devant nous maintenant. Nous avons déjà tout perdu. »

Dan Israel