L’hôpital

Le Monde.fr : Les SMUR, services chargés des urgences vitales, touchés à leur tour par des fermetures

Août 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Les SMUR, services chargés des urgences vitales, touchés à leur tour par des fermetures

Faute de soignants, plusieurs services mobiles d’urgence et de réanimation, comprenant un médecin, un infirmier et un ambulancier, ont été à l’arrêt cet été, en Vendée, dans l’Eure ou encore dans l’Oise. Ici ou là, des équipes paramédicales ont pris le relais, une solution jugée non satisfaisante.

Par Camille Stromboni

Publié le 31/08/2023

Urgences en surchauffe, services fermés, filtrage à l’entrée par les appels au 15… Sans surprise, la crise se poursuit dans les services d’urgences de nombreux hôpitaux. S’il est trop tôt pour dresser un bilan estival, un phénomène remonte de plusieurs départements : désormais, même des SMUR ferment. Ces services mobiles d’urgence et de réanimation – ils sont 388 selon le dernier décompte officiel, portant sur l’année 2020 – comprenant un médecin, un infirmier et un conducteur ambulancier avec un véhicule médicalisé sont envoyés par les SAMU pour répondre à l’urgence vitale.

Ces dernières semaines, dans l’Oise, le Finistère, la Manche, la Gironde, le Vaucluse, ou encore en Vendée, il a parfois fallu se passer d’une, de deux, de trois équipes de SMUR en même temps, faute de médecins. En Normandie, le pire a pu être évité : au lieu des quatre services en moins – sur six – prévus le samedi 26 août dans l’Eure, il a été possible de n’en fermer « que » deux, selon l’agence régionale de santé.

Le ministère de la santé se refuse à communiquer sur l’ampleur du phénomène, assurant que « le soutien au maillage territorial des SMUR reste une priorité absolue pour le gouvernement », mais les représentants des urgentistes en sont convaincus : « Nous n’avons jamais eu autant d’alertes », relate Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la Société française de médecine d’urgence, qui s’inquiète de « vrais risques de pertes de chance, avec des délais plus longs pour intervenir ». « C’est nouveau, personne n’en parle, alors qu’on touche à la détresse vitale ! », s’étrangle-t-elle. « On est en pleine dégringolade », renchérit Patrick Pelloux, de l’Association des médecins urgentistes de France.

« Mise en danger »
Difficile, pour les professionnels, d’entendre le discours d’Aurélien Rousseau, le ministre de la santé, concernant un hôpital qui a été sous tension cet été mais qui « tient ». « Il y a une organisation qui permet de prendre en charge les risques vitaux de tous nos concitoyens », assurait-il sur BFM-TV, lundi 21 août. « Il faut arrêter la désinformation : il y a une mise en danger de la population, étrille Marc Noizet, à la tête du syndicat SAMU-Urgences de France. Quand on voit des départements qui doivent fonctionner parfois avec la moitié de leurs SMUR en moins, ça ne peut pas se passer bien. »

En Vendée, c’est du jamais-vu. Et pas seulement en raison des services d’urgences qui sont restés portes closes plusieurs nuits durant sur des lieux très touristiques, comme Les Sables-d’Olonne. Ce sont jusqu’à trois SMUR, sur les six qui quadrillent le territoire, qui ont dû rester à l’arrêt certains jours cet été. « On est à un niveau sans précédent de pénurie médicale », rappelle François Brau, coresponsable des urgences-SAMU-SMUR du centre hospitalier départemental de Vendée, à La Roche-sur-Yon.

Et impossible de trouver suffisamment de médecins intérimaires, depuis l’application, au printemps, de la loi sur le plafonnement de leurs rémunérations. Tous les autres leviers possibles ont été activés pour tenir, souligne l’urgentiste, du filtrage à l’entrée des urgences déployé dès 20 heures à une réorientation le plus large possible des patients vers d’autres structures de soins non programmés, sans oublier une forte collaboration avec la médecine de ville.

Résultat de cette configuration extrême : « On se retrouve en situation critique plus rapidement », résume le médecin, qui a dû « sortir du cadre » parfois, et décaler des prises en charge en n’envoyant pas de médecin sur des situations dans lesquelles il l’aurait fait habituellement. Par exemple, une intense douleur à la suite d’un traumatisme : « Ce n’est pas vital, il n’y a pas de perte de chance à proprement parler », précise-t-il. Chez lui, comme chez ses autres collègues touchés par l’arrêt d’un SMUR, on ne rapporte pas pour autant d’incident, d’« événement indésirable grave » – le terme officiel. Mais la même expression, proche de l’euphémisme, revient dans la bouche de ces médecins : la situation était « très inconfortable ».

« Nous envoyons l’infirmier »
Sur de nombreux territoires avec un SMUR à l’arrêt, des équipes comptant un infirmier et un ambulancier sont envoyées à la place. « Il s’agit d’un nouvel outil mis en place depuis un an, qui nous permet aussi de ne pas “gâcher” du temps médical quand c’est possible, dans des situations où le médecin n’est pas indispensable », précise François Brau.

Ces équipes paramédicales de médecine d’urgence, aussi dénommées « unités mobiles hospitalières paramédicalisées », ont été développées ces derniers mois dans plusieurs départements, sans que les textes réglementaires les encadrant soient encore parus. Au ministère de la santé, on indique travailler avec les acteurs à la « pérennisation » de ces « SMUR paramédicalisés », qui font partie des mesures pour tenir face aux tensions aux urgences. Entre l’envoi d’un médecin ou d’un infirmier, « les moyens dédiés à l’intervention seraient conditionnés par le niveau de médicalisation dont le patient a besoin, et non par les moyens disponibles », précise-t-on à la direction générale de l’offre de soins.

Le vœu paraît néanmoins éloigné de la réalité estivale. Avec la fermeture des urgences et du SMUR de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) au cœur du mois d’août, qui se poursuit de manière perlée le week-end, la docteure Catherine Pradeau n’a « pas le choix » quand elle régule les appels qui arrivent au SAMU de Bordeaux et qu’une intervention est nécessaire dans ce secteur : « Nous envoyons l’infirmier, faute de médecin, en attendant que le SMUR de Libourne arrive, explique la responsable adjointe du SAMU. Il n’y a pas eu de difficultés majeures, mais c’est vraiment un palliatif. »

« On voit des dispositifs montés du jour au lendemain, ce n’est pas sérieux, cela nécessite un cahier des charges précis, des formations en amont, un accompagnement », estime Joël Pannetier, au centre hospitalier du Mans, qui a mis en place la première équipe paramédicale d’urgence dans la Sarthe, il y a deux ans, à Château-du-Loir, et désormais à La Ferté-Bernard, à Saint-Calais et au Bailleul.

« Bilan au téléphone »
Dans le département, la moitié des postes d’urgentiste restent vacants. « Le modèle fonctionne, assure le médecin. Mais cela ne veut pas dire que ça peut remplacer les SMUR, c’est une réponse adaptée aux besoins et aux moyens restreints de notre territoire. » Chez lui comme ailleurs, on redoute avant tout le défaut d’évaluation, faute de médecin sur place, ou le patient trop instable et nécessitant une prise de décisions thérapeutiques immédiates après un examen clinique, comme une intubation.

« Ce n’est pas une prise en charge optimale », estime Thierry Ramaherison, chef du SAMU de l’Oise, mais cela a permis de « passer » l’été. Dans son département de 820 000 habitants, c’est le SMUR de Creil qui a dû être remplacé par une équipe paramédicale d’urgence « dès la fin [du mois de] juillet et une grande partie du mois d’août ». C’était déjà le cas de manière permanente à Noyon depuis neuf mois, tandis que les urgences et le SMUR de Senlis restent fermés depuis décembre 2021.

« On a des protocoles : les infirmiers sont formés sur la douleur dans la poitrine, l’arrêt cardiaque, ils débutent les premiers gestes et nous passent un bilan au téléphone. Le médecin régulateur les guide si nécessaire, en attendant l’arrivée du SMUR », explique M. Ramaherison. Systématiquement, le SMUR le plus proche est « déclenché », et il a toujours pu arriver dans un délai d’une vingtaine de minutes à une demi-heure, souffle-t-il. Mais il a fallu « élargir les secteurs d’intervention des équipes restantes, qui ont été sursollicitées, et avoir pas mal recours à l’hélicoptère des départements voisins ».

Au centre hospitalier universitaire d’Angers, certains week-ends, comme celui du 15 août, ont donné des sueurs froides aux urgentistes, avec l’accumulation des fermetures de SMUR dans les territoires voisins, en Vendée, en Mayenne, ou encore à Ancenis-Saint-Géréon, en Loire-Atlantique, et au Bailleul, dans la Sarthe. « Nous continuons de recevoir des transferts de patients lointains, rapporte Dominique Savary, chef du département de médecine d’urgence angevin. Nous avons aussi des pompiers qui arrivent aux urgences avec un malade, sans médecin dans l’ambulance, faute de SMUR… » La même crainte résonne chez de nombreux médecins : celle de voir une nouvelle vague de départs d’urgentistes, essorés, à la rentrée.

La première ministre, Elisabeth Borne, doit annoncer, jeudi 31 août, les mesures promises en faveur de l’attractivité des métiers de soignants, pour « renforcer l’attrait des postes de nuit et continuer à mieux tenir compte de la pénibilité ».

Camille Stromboni