La Sécurité sociale

Le Monde.fr : Sécu : « L’intérêt général, n’est-ce pas ce que devrait défendre un candidat à la présidence ? »

Janvier 2017, par infosecusanté

Sécu : « L’intérêt général, n’est-ce pas ce que devrait défendre un candidat à la présidence ? »

François Fillon souhaite lancer une guerre éclair contre le programme du Conseil national de la Résistance afin de désétatiser la Sécurité sociale. C’est vouloir créer de la misère et ruiner une belle utopie, estime Gilles Perret, réalisateur du film « La Sociale ».

LE MONDE

05.12.2016

Par Gilles Perret (Réalisateur et documentariste)

« Les coûts de fonctionnement de la Sécurité sociale sont de 6 %, alors que ceux des complémentaires santé sont plutôt de l’ordre de 20 %. » (Photo : enseigne du siège de la Caisse nationale d’assurance maladie à Paris).
Par Gilles Perret, réalisateur et documentariste

En entendant François Fillon déclarer, lors du débat télévisé avec Alain Juppé, qu’il voulait « désétatiser » la Sécurité sociale, je suis tombé de ma chaise. Comment un homme d’Etat qui brigue la pré­sidence de la République peut-il ­inscrire dans son programme qu’il souhaite générer plus de misère et ­diminuer l’espérance de vie ? Car enfin, qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien en ces termes qu’il faut expliciter la chose.

En confiant la médecine de ville aux complémentaires santé, c’est 50 % du budget de la branche santé que l’on remet à un système plus inégalitaire et moins efficient que la Sécu. Rappelons que tous les citoyens cotisent proportionnellement à leurs revenus, alors que les tarifs des complémentaires sont fonction de ce qu’ils peuvent se payer. Rappelons aussi que les coûts de fonctionnement de la Sécurité sociale sont de 6 %, alors que ceux des complémentaires santé sont plutôt de l’ordre de 20 %. C’est autant d’argent versé à des fins publicitaires ou à des actionnaires, qui n’est pas reversé aux assurés sociaux.

Dans un pays qui n’a jamais été aussi riche depuis la Libération, c’est faire preuve d’une faible ambition politique que d’annoncer du sang et des larmes pour les plus faibles. Rappelons tout de même que la France était ruinée lorsque la Sécurité sociale fut créée en 1946, à une époque où le projet politique prévalait sur la question économique. Il fallait tout d’abord offrir la santé, des allocations familiales et des retraites décentes pour tous, et, ensuite seulement, se posait la question de leur financement. Les résistants, des gaullistes aux communistes, ont ensemble donné corps à une belle utopie qui nous protège encore au quotidien.

Lors de la campagne pour la primaire de la droite, j’avais été abasourdi en écoutant le discours de François Fillon devant les chefs d’entreprise. Il disait vouloir faire un Blitzkrieg social dès son élection. ­Entendre parler de Blitzkrieg (en référence à la théorie de la guerre éclair des nazis contre l’Europe) en s’attaquant au programme du Conseil ­national de la Résistance avait de quoi nous interpeller ! De surcroît de la part d’un homme qui ose, certes de façon de plus en plus timide, se ­revendiquer du gaullisme…

Il s’agissait déjà d’annoncer la couleur, comme avant lui l’avait fait ­Denis Kessler, membre du Medef, qui déclarait en septembre 2007 que la politique de Nicolas Sarkozy, dont François Fillon fut le premier ministre, devait consister à « détruire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Reconnaissons qu’il y a là une constante dans les projets libéraux, qui visent systématiquement à s’attaquer à l’Etat social bâti en grande partie à la Libération.

Travail d’éducation populaire

Alors, aujourd’hui, que faire face à ces attaques ? Il n’est pas question de rester les bras croisés. Poursuivre le marathon entrepris depuis plusieurs mois avec mon film, en portant à la connaissance du plus grand nombre, dans les cinémas tous les soirs et aux quatre coins de la France, la belle histoire et la grandeur humaniste de cette institution telle qu’elle subsiste encore aujourd’hui. Cette entreprise est menée tambour battant. Chaque semaine, les spectateurs sont plus nombreux, persuadés que c’est bien le travail d’éducation populaire qui permettra d’envisager un monde plus apaisé et plus juste.

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Nous aurions pu imaginer que la direction de la Sécurité sociale s’empare du film pour mieux se défendre face aux attaques subies. Ce n’est pas le cas. Silence radio. Comme si la dimension politique de cette institution devait être tue au profit d’un discours réduit à des questions administratives et financières.

Gageons que François Fillon, après avoir vu La Sociale, infléchira ses positions et qu’il proposera plutôt une Sécu prenant en charge la santé à 100 %, en abolissant les complémentaires. Irréaliste ? Pas tant que ça, puisque c’est ce qui se passe en Alsace-Moselle et que les caisses sont bénéficiaires. Après tout, l’intérêt général, n’est-ce pas ce que devrait défendre un candidat à la présidence de la République, au-delà de tout dogmatisme ?

Le dernier film de Gilles Perret, « La Sociale », est sorti le 9 novembre.

Gilles Perret (Réalisateur et documentariste)