L’hôpital

La Dépêche du Midi - Suicides au CHU de Toulouse : le rapport qui pointe les maux de l’hôpital

Avril 2017, par Info santé sécu social

« La Dépêche du Midi » a eu accès au rapport du cabinet Addhoc conseil, qui a enquêté sur les conditions de travail des 16 000 agents du CHU de Toulouse après les suicides de 2016.

C’est un rapport d’expertise de 228 pages « pour risques graves suite au suicide d’un agent sur son lieu de travail », interne au CHU de Toulouse, remis le 7 novembre 2016 par un cabinet parisien spécialisé Addhoc conseil, et dont « La Dépêche du Midi » s’est procuré. Cette enquête, réalisée après le suicide d’un infirmier à l’hôpital Rangueil, le 13 juin 2016, à la demande du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), a duré deux mois au CHU (16 000 agents) où 70 intervenants interrogés décrivent leur quotidien dans différents services. Les mots sont parfois accablants et alarmants face à des situations qui leur échappent.

L’expertise décortique également le cas de trois autres suicides survenus en cet été 2016 : entre le 21 juin et le 1er juillet, un autre infirmier, une aide-soignante et une auxiliaire de puériculture se sont donné la mort à leur tour. Mais pas sur leur lieu de travail. Des suicides parmi les agents du CHU ? « Il est possible qu’il y ait eu d’autres suicides les années précédentes, mais si ce n’est pas sur le lieu de travail, on n’est pas toujours averti. Nous ne savons pas s’il y en a beaucoup ou pas beaucoup », explique la direction du CHU, manifestement embarrassée par le rapport Addhoc dont elle ne conteste pas tous les points. Mais reconnaît, de fait, l’importance de la prévention des « risques psychosociaux » et s’engage à « construire une politique de qualité de vie au travail ». Dans la ligne de mire d’Addhoc, les plans de restructuration qui se multiplient au CHU. « Ceci se traduit par l’élaboration d’une multitude de projets, pour certains interdépendants les uns des autres, qui, par les nombreuses modifications qu’ils engendrent sont sources d’anxiété, voire d’incompréhension pour la majorité des agents rencontrés », notent les enquêteurs qui affirment, en préambule, les difficultés qu’ils ont rencontré pour mener à bien leur audit (documents non transmis par la direction).

« La direction continue à faire des restructurations, alors que le rapport Addhoc explique qu’il y a urgence à les stopper, car elles sont dangereuses au CHU », constate Julien Terrié, secrétaire au CHSCT et délégué CGT. Dans l’enquête Addhoc, un chef de service se lâche : « On va dans le mur (…) pour que l’hôpital perdure il faut qu’il soit fort, si on ne lutte pas, on devient de la cardio-gériatrie (…) pour être compétitif, il faudrait plus de personnel. » Au CHU, c’est certain, ces expertises ont un coût : en trois ans, la direction affirme avoir dépensé 1,5 million d’euros pour une quinzaine d’enquêtes internes ».

Ce que disent les experts

Le rapport du cabinet parisien Addhoc conseil, rémunéré près de 350 000 euros par le CHU, s’attache principalement en 228 pages aux quatre suicides qui ont endeuillé l’hôpital l’été 2016. Il fait surtout un état des lieux de « l’omniprésence des risques psychosociaux » qui s’appuie sur le rapport du collège d’expertise sur le suivi de ces risques au travail du ministère du Travail. Lors des entretiens avec des infirmiers (IDE) ou des chefs de service, agents, Addhoc constate « des propos alarmants ».

« L’hôpital est un rouleau compresseur » ; « Le suicide, j’y ai déjà pensé…, heureusement il y a mes collègues et ma famille » ; « En 20 ans on a réussi à me faire craquer, il y en a plein qui craque » ; « Je peux comprendre que certaines personnes en arrivent à certains gestes » ; « J’ai fait un burn-out après 10 ans de travail de nuit en cardio, j’ai pensé à me suicider ». Les confessions de ce genre fourmillent dans le rapport. À la fin de ce chapitre, Addhoc conclut : « Les verbalisations recueillies lors des entretiens illustrent des situations de travail génératrices de souffrance. Des agents ont fondu en larmes. Une jeune IDE s’inquiète de la fatigue qu’elle accumule au fil du temps et vit de façon anxiogène les sonneries de son téléphone lorsqu’elle est en repos. D’après ses constats, elle serait la moins fatiguée parmi ses jeunes collègues ».

À ce stade, les enquêteurs pointent « un contexte politico-économique astreignant pour les personnels ». Le poids des réformes qui s’enchaînent : plan hôpital 2007 (nouvelle gouvernance hospitalière, réforme de la tarification à l’activité) ; la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » ; nouveau Plan hôpital en 2012 ; loi santé Marisol Touraine de 2016 ; Plan Avenir pour rétablir l’équilibre économique du CHU…

« Une attention particulière doit être portée aux cadres de santé, sur lesquels semble avoir pesé jusqu’ici le rôle de détection et de prévention du risque suicidaire. Les cadres doivent être intégrés aux destinataires de ces mesures, au même titre que leurs collègues soignants », préconise Addhoc comme mesure d’urgence.

Ce que dit la direction

La direction du CHU de Toulouse, assure avoir « examiné avec intérêt les nombreuses pistes préconisées » par les rapports d’enquête interne et d’expertise, suite aux quatre suicides d’agents du CHU dont un sur son lieu de travail, qui « a suscité une vive émotion au sein de notre institution ». « L’hôpital qui soigne doit prendre soin de ses personnels », affirme la direction qui s’est aussitôt mise à l’ouvrage.

Une cellule d’écoute psychologique interne et externe. « En interne, précise le CHU, un service de santé au travail est ouvert à l’ensemble du personnel (…) Sur le plan collectif, la psychologue du travail peut être amenée à rencontrer les équipes au sein des unités, à la suite d’événements marquants ou choquants ».

Une attention particulière portée aux cadres de santé. Le rapport Addhoc estime en effet qu’il s’agit de cadres « sur lesquels semble avoir pesé jusqu’ici le rôle de détection et de prévention du risque suicidaire ». Le CHU assure que « l’intervention des psychologues de la cellule d’écoute externe permet de répondre à cette recommandation ».

Améliorer la réactivité du dispositif d’alerte. Le CHU s’est engagé à « renforcer la culture du signalement des situations à risque au sein de l’institution », après que le rapport Addhoc a signalé que « les directions doivent améliorer considérablement leur réactivité face aux problématiques qui leur sont remontées (…) ». « Il convient d’aider aussi les professionnels à lever les barrières individuelles et leur permettre d’oser dire », reconnaît le CHU.

Pas d’arrêt des restructurations en cours. C’est le point d’achoppement entre les syndicats et la direction. « L’arrêt temporaire des restructurations du CHU, demandé par certaines organisations syndicales et évoqué par Addhoc, ne peut pas être retenu », confirme le CHU qui veut élargir le dialogue mais reste ferme sur cette question. L’institution « est résolue à ce qu’un processus d’association plus étroite de l’ensemble des personnels et des instances sociales à la conduite des projets soit enclenché ».

Gérald Camier