L’hôpital

Hospimedia - Valérie Auslender : "40% des étudiants en médecine sont confrontés à des pressions psychologiques pendant leurs études"

Avril 2017, par Info santé sécu social

VALÉRIE AUSLENDER, MÉDECIN ET AUTEUR DU LIVRE "OMERTA À L’HÔPITAL""40% des étudiants en médecine sont confrontés à des pressions psychologiques pendant leurs études"

Valérie Auslender est médecin. Elle participe ce 25 avril à la journée "Soigner les soignants", organisée par l’Association d’aide aux professionnels de santé et médecins libéraux, pour évoquer un sujet qui lui tient à cœur : les violences faites aux étudiants en santé. Elle y a consacré un livre sorti début mars et lance un cri d’alerte.

Hospimedia : "Vous avez publié en mars dernier Omerta à l’hôpital*, présenté comme le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé. Pourquoi avoir choisi ce sujet sensible ?

Dr Valérie Auslender : Cela a commencé par un constat personnel pendant mes études de médecine. J’ai pu être témoin de violences et de maltraitances envers certains étudiants. Des étudiants en médecine mais aussi en soins infirmiers, sages-femmes, de tous les corps de métier ! Je pense que dans mon cursus, il n’y a pas un stage au cours duquel je n’ai pas eu une anecdote à raconter au sujet de violences envers, soit un étudiant, soit un patient. Ces violences m’ont toujours dérangée. Je ne comprenais pas bien, déjà à l’époque, quelle valeur pédagogique elles avaient vraiment. J’ai ensuite voulu réaliser ma thèse sur les violences faites aux femmes. C’est dans cette optique que j’ai cherché à entrer en contact avec des étudiants en santé pour savoir si, en France, ils étaient formés au dépistage et la prise en charge des femmes victimes de violence et à la violence en général. J’ai donc lancé une enquête, en 2013, auprès des étudiants en médecine sur un échantillon de 1 472 personnes. Dans cette enquête, j’ai ajouté une question annexe : eux-mêmes ont-ils déjà été victimes de violence et, pour reprendre le terme exact de l’intitulé de la question, ont-il été confrontés personnellement à des violences à la fois dans leur vie personnelle et aussi durant leurs études ?

H. : Qu’est-il ressorti de cette enquête ?

V. A. : Ce sont les chiffres que j’ai mis en quatrième de couverture du livre. 40% des étudiants en médecine sont confrontés personnellement à des pressions psychologiques pendant leurs études. 50% d’entre eux à des propos sexistes, 9% à des violences physiques et près de 4% à des violences sexuelles. Ces chiffres sont confirmés par une autre enquête, lancée par la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), qui s’intéresse plus particulièrement aux étudiants infirmiers. Menée en février 2015, auprès de 3 500 personnes, elle montre que 85% des élèves infirmiers considèrent que leur formation est empreinte de violence, notamment dans la relation avec les équipes encadrantes en stage. Des chiffres qui ne m’ont pas surprise et qui m’ont surtout donné envie d’aller plus loin. Quelques semaines avant de soutenir ma thèse, j’ai lancé un appel à témoin en vue d’écrire ce livre, en créant une boîte mail spécifique. J’ai reçu très vite une centaine de témoignages. Nous en avons sélectionné avec la maison d’édition quatre-vingt-dix pour la publication de ce livre.

H. : Ce livre a t-il une vocation d’exutoire pour les étudiants victimes ?

V. A. : Comme l’indique le titre du livre, l’objectif est bien de briser le silence et de rompre l’omerta pour que les étudiants qui sont victimes osent parler. Qu’ils prennent conscience qu’ils ne sont pas les seuls. Qu’ils prennent conscience aussi du schéma stéréotypé du cycle des violences. Ce livre appelle à une prise de conscience des professionnels de santé et des pouvoirs publics, de l’institution hospitalière aussi, pour s’emparer de ce problème et prendre les mesures nécessaires, de prévention mais pas seulement. Des actions sont à mettre en place pour prendre en charge au niveau médical et psychologique, voire juridique, les étudiants, et condamner les agresseurs en cas de violence avérées. Voilà tous les objectifs, face à cette violence qui existe depuis des siècles et que tout le monde a toujours banalisé.

"Quand j’ai reçu et lu les témoignages au fur et à mesure, j’ai pris conscience que les gens s’étaient confiés à moi et que je ne pouvais plus revenir en arrière. Ce qui se passe est trop grave."

H. : Médecins, infirmiers, aides-soignants... toutes les professions sont représentées dans cet ouvrage. C’était une volonté forte dans la sélection des témoignages ?

V.A. : Oui, il est vrai qu’on parle souvent des internes. Mais uniquement pour évoquer leurs conditions de travail, les repos de garde et plus généralement leur surcharge de travail. La violence infligée par la hiérarchie n’est jamais évoquée. Ce livre ne raconte pas seulement la violence verbale. On y trouve aussi la violence physique et sexuelle. C’est très important pour moi de tenir compte non seulement des étudiants en médecine mais aussi des autres professions. Parce que tout le monde est dans le même bateau. En bas de l’échelle, dans les services, on trouve les étudiants. Ce sont eux les victimes. Qu’ils soient futurs médecins, aides-soignants ou sages-femmes. Certains disent qu’ils ne sont jamais passés par là. C’est que, quelque part, ils ont intégré les violences. Qu’elles font partie du système. Mais ils ont forcément à un moment donné, pendant leurs études de médecine par exemple, était dépersonnalisé en étant appelés autrement que par leur prénom. La violence n’est pas toujours perçue comme telle mais elle existe bien. Comme l’écrit l’un des témoins du livre : "cela fait parti du package d’un étudiant en médecine".

H. : Ces histoires sont très intimes. Avez-vous été surprise de l’ampleur des témoignages ?

V. A. : Quand j’ai reçu les témoignages, le travail s’est construit petit à petit. Au départ, j’avais juste l’idée de lancer un appel à témoin. Quand j’ai reçu et lu les témoignages, au fur et à mesure, j’ai pris conscience que les gens s’étaient confiés à moi et que je ne pouvais plus revenir en arrière. Ce qui se passe est trop grave. Je dois le révéler au grand public. Cette demande et cette détresse que j’ai pu lire à travers les témoignages m’ont scandalisée par certaines violences. À la fois envers les étudiants mais parfois même des maltraitances institutionnelles envers les patients. Nous n’avons plus le droit de nous taire.

H. : Cet ouvrage regroupe donc des récits forts mais esquisse aussi des pistes pour faire évoluer les mentalités et mettre fin à cette ormerta...

V. A. : À travers ces témoignages, j’ai vraiment reçu des cris de détresse. Je me suis dit il faudrait aller plus loin… C’est là que m’est venue cette idée d’essayer de comprendre ce problème et de trouver des solutions et pas seulement de le dénoncer. J’ai donc souhaité réunir un corpus d’experts de milieux différents. Psychanalystes, chercheurs, médecins, hospitaliers,… Pour moi, c’était important de trouver des personnes légitimes, avec de l’expérience professionnelle et qui connaissent bien le sujet. C’est comme cela que nous avancerons vers une prise de conscience.

"Il y a un problème de fond qui est celui de l’organisation à l’hôpital, de la mauvaise gestion de l’hôpital et de la souffrance des soignants qui aggravent leur comportement parfois agressif vis-à-vis des étudiants."

H. : Vous participez en ce moment même au colloque de l’Association d’aide aux professionnels de santé et médecins libéraux, pour évoquer les témoignages de ce livre. La prise de conscience est-elle en train d’émerger ?

V. A. : Il y a déjà une prise de conscience énorme. J’ai été sollicitée par des associations d’étudiants et des associations contre la souffrance des professionnels de santé. J’ai été sollicitée également par le ministère en charge de la Santé pour évoquer ces questions et les actions à envisager. J’ai également de mon côté entamé une collaboration avec une association d’étudiants infirmiers pour mettre en place des actions de prévention dans les instituts. Les choses bougent mais c’est encore frais. Tout cela va prendre du temps. Les gens lisent encore le livre et s’emparent petit à petit du sujet. J’ai entendu des réactions politiques aussi, pas toujours directes, mais on sent que les gens prennent conscience du phénomène et que cela ne concerne pas seulement les étudiants. Il y a un problème de fond qui est celui de l’organisation à l’hôpital, de la mauvaise gestion de l’hôpital et de la souffrance des soignants qui aggravent leur comportement parfois agressif vis-à-vis des étudiants et avec des conséquences qui peuvent être dramatiques sur la prise en charge des patients. Les étudiants victimes peuvent parfois faire des erreurs médicales, conséquences de leur mauvais traitement.

"Je n’ai pas les compétences et le pouvoir de changer l’organisation de l’hôpital mais je fais ce que je peux à mon échelle."

H. : Vous allez donc continuer à porter la paroles des victimes ?

V.A. : Aujourd’hui, depuis la parution du livre, je reçois encore quotidiennement des témoignages, de victimes mais aussi de proches de victimes. Je pense par exemple à une maman qui a voulu témoigner pour sa fille infirmière victime de violence. Je reçois des courriers de médecins du travail en milieu hospitalier et qui veulent témoigner de leur vécu et souvent d’un constat établi depuis des années et des difficultés à faire bouger les choses. Je compte bien sûr continuer. Plus il y a de témoignages, plus les langues se délient et plus des actions pourront se mettre en place. Cela me tient à cœur et occupe beaucoup de mon temps libre. Il y a une réelle demande. Je n’ai pas les compétences et le pouvoir de changer l’organisation de l’hôpital mais je fais ce que je peux à mon échelle."

Propos recueillis par Clémence Nayrac

* Omerta à l’hôpital, éditions Michalon, mars 2017, 21 euros.