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Mediapart : Le gouvernement choisit de diluer la baisse des cotisations salariales

Août 2017, par infosecusanté

Le gouvernement choisit de diluer la baisse des cotisations salariales

23 AOÛT 2017

PAR ROMARIC GODIN
Le gouvernement annonce ce mercredi que si la CSG va bien être augmentée de 1,7 point au 1er janvier prochain, la baisse des cotisations salariales maladie et chômage sera quant à elle effectuée en deux temps, au 1er janvier et « à l’automne ». Un mouvement qui risque de rendre l’opération peu visible par les salariés, mais qui permet de gagner quelques milliards d’euros pour atteindre les objectifs budgétaires. Encore une fois, seuls les plus fortunés ne seront pas mis à contribution pour consolider le budget.

Le 10 juillet dernier, Emmanuel Macron avait arbitré sa décision de procéder dès 2018 aux baisses d’impôts promises dans son programme électoral malgré la priorité donnée à la consolidation budgétaire pour l’ensemble du quinquennat. Cette décision obligeait naturellement à une forte pression sur les dépenses publiques qui devaient en conséquence être réduites d’environ 20 milliards d’euros pour parvenir au double objectif d’une stabilité des dépenses en volume (hors inflation) et d’un déficit public de 2,7 % du PIB. D’autant que le gouvernement a déjà pris certains engagements coûteux, notamment l’augmentation de 1,5 milliard d’euros du budget de la défense.

Mais, ce 23 août, alors que la rentrée politique n’est pas encore une réalité, le ministère de l’action et des comptes publics, nouveau nom pour désigner le ministère du budget, a publié un communiqué qui réduit l’impact pour 2018 d’une des mesures clés du programme présidentiel. La suppression des cotisations maladie et chômage, soit 3,15 % du montant brut des salaires, se fera en deux temps : une première partie au 1er janvier, une seconde « à l’automne 2018 ». En revanche, la hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point (de 7,5 % à 9,2 % des revenus concernés) sera effective dès le 1er janvier.
Si Bercy confirme qu’il y aura bien un « gain de pouvoir d’achat pour les actifs » dès le 1er janvier, celui-ci pourrait n’être que très limité. Selon Les Échos qui publiaient l’information dès ce mercredi matin, le gouvernement voudrait qu’elle soit « suffisante pour que le net de la fiche de paye du mois de janvier soit en hausse, même légère ». Bref, la baisse des cotisations concernées pourrait n’être que très légèrement au-dessus de la hausse de la CSG en début d’année prochaine. Et ce gain symbolique de pouvoir d’achat sera le même pendant au moins 10 mois.

Le détail de cette mesure sera déterminé pendant la préparation de la loi de finances 2018. Mais si Bercy insiste sur le fait que la promesse présidentielle sera réalisée effectivement à la fin de l’année 2018, elle risque bien d’être fantomatique durant toute l’année prochaine pour la plupart des salariés. L’effet économique devrait donc être très réduit. Selon les chiffres de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le gain moyen en année pleine pour les 15 millions de ménages s’élèverait à 274 euros par an, soit 22,83 euros par mois. Pour un Smic, le gain sera de 260 euros annuels. Pour tous les déciles, le gain de niveau de vie de la mesure est inférieur à 1 %. Il sera donc en 2018 quasiment imperceptible, surtout si l’inflation s’accélère. Et, partant, il sera bien difficile pour l’exécutif de se targuer politiquement de cette baisse de cotisation.

Par ailleurs, le communiqué de Bercy semble confirmer que si les indépendants bénéficieront du même gain de pouvoir d’achat que les salariés, les fonctionnaires ne devraient, eux, bénéficier que d’une « compensation » à proportion de la hausse de 1,7 % de la CSG, selon des modalités qui vont faire l’objet de négociations. Le pouvoir d’achat sera donc théoriquement maintenu, sachant, par ailleurs, que le point d’indice a été gelé en 2017 et que les agents de l’État ont donc perdu du pouvoir d’achat. Or il est peu probable, compte tenu de l’équation budgétaire, que ce gel ne soit pas reconduit. On voit ici que le gouvernement a fait un choix politique : celui de favoriser les indépendants sur les fonctionnaires en attribuant aux premiers un gain de pouvoir d’achat égal à celui des salariés. Ce choix est surprenant puisque le communiqué de Bercy parle d’un « mouvement très ambitieux en faveur des revenus du travail », comme si les traitements des fonctionnaires ne constituaient pas un « revenu du travail »…

Autres questions qui ne sont pas abordées par Bercy : celles des retraités et des chômeurs. Pour les retraités les plus modestes, exonérés de CSG, la mesure n’aura aucun impact, en revanche pour les retraités touchant une pension de plus de 1 200 euros pour une personne seule, l’impact de la hausse de la CSG sera complète dès le 1er janvier. Le gouvernement peut prétendre que ces derniers bénéficieront de la baisse de la taxe d’habitation, mais cette baisse se fera sur trois ans et ne concernera pas les retraités gagnant plus de 2 000 euros par mois. L’OFCE a calculé que le coût moyen de la mesure pour les retraités sera de 375 euros annuels, soit 31,25 euros par mois.

Enfin, rien n’est dit sur les chômeurs indemnisés qui paieront la hausse de la CSG mais ne bénéficieront pas de la baisse des cotisations chômage, soit la part la plus importante de la baisse (2,4 % du salaire brut). Une chose est certaine : la suppression de la cotisation chômage pour les salariés impose de facto la fin de la gestion paritaire de cette assurance-chômage et annonce sa nationalisation. Un pas de plus vers l’élargissement de l’indemnisation aux démissionnaires et indépendants, aboutissant aussi à un nécessaire recul des montants de l’indemnisation. Les demandeurs d’emploi risquent donc d’être fort pénalisés par cette décision.

La manœuvre gouvernementale vise évidemment à combler les besoins budgétaires du gouvernement. Selon l’OFCE, la hausse de la CSG permettra de récupérer 20,7 milliards d’euros alors que la baisse des cotisations en année pleine coûtera 18,3 milliards d’euros pour les seuls salariés. Il faut donc ajouter à ce coût les compensations pour les salariés et les indépendants, et le gouvernement a indiqué que la mesure sera fiscalement « neutre ». Réduire ce coût permet donc d’augmenter considérablement le gain budgétaire. Selon l’hypothèse d’un gain de 0,3 % de pouvoir d’achat pour les salariés sur les dix premiers mois de l’année (mais rappelons que « l’automne » s’achève le 21 décembre), le coût de l’opération sera réduit de 9,7 milliards d’euros, soit la moitié des besoins du gouvernement pour son objectif de consolidation budgétaire. Ces rentrées fiscales supplémentaires ne permettront pas de réduire l’austérité et la baisse attendue des dépenses publiques. Bercy conserve son objectif de stagnation en volume des dépenses publiques, qui supposent une contraction de 15 à 20 milliards de ces dernières, et de nombreux autres cadeaux fiscaux doivent être financés. L’augmentation de la CSG viendra améliorer les comptes de la sécurité sociale et, partant, le déficit public au sens de Maastricht.

Reste que, contrairement à ce que le gouvernement prétend, la consolidation budgétaire se fera bien aussi avec une augmentation des recettes par l’augmentation d’un impôt, la CSG. A priori, ce choix, même s’il ne correspond pas au discours officiel, peut être jugé plus « juste ». La CSG, même si c’est un impôt à taux unique, dispose d’une assiette plus large que les cotisations salariales, puisqu’elle frappe tous les revenus, y compris ceux du capital. Réaliser la baisse du déficit public par une hausse de la CSG semble donc judicieux.

Dans les simulations réalisées sur la mesure, on constate, du reste, que les salariés les plus aisés, ceux qui gagnent plus que 33 450 euros brut par mois, devraient être perdants puisque les cotisations chômage ne sont calculées au maximum que sur quatre fois le plafond de la sécurité sociale, soit 13 076 euros mensuels. Par conséquent, les plus fortunés des salariés devront contribuer à la hausse de la CSG sans compensations. Selon l’OFCE, la perte de niveau de vie ne touchera cependant que le dernier décile des revenus, mais atteindra 1 %. Sauf qu’il ne faudrait pas oublier que cette mesure est, pour ce décile, largement compensée par une autre : le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, dans lequel la CSG sera intégrée. Autrement dit, le coût de la hausse de la CSG sera, pour ce décile, très largement compensé par la baisse du taux marginal d’imposition moyen des revenus du capital, les principaux revenus pour les plus fortunés.

Dès lors, la participation à la consolidation budgétaire en 2018 prend une autre tournure. Le dernier décile ne participera pas à cette consolidation grâce à la mise en place du PFU et l’effort sera porté principalement par ceux qui perdront du pouvoir d’achat : retraités, chômeurs et fonctionnaires. Mais il sera aussi largement porté par les salariés et indépendants qui, pendant dix à douze mois, devront renoncer à des gains de pouvoir d’achat promis en devant supporter la hausse du coût de la vie. Tous devront, parallèlement, supporter le coût des baisses de dépenses publiques. In fine, donc, ce transfert de la baisse des cotisations contre une hausse de la CSG ressemble à un tour de passe-passe qui ne fera guère d’autres gagnants sur 2018 que les plus fortunés.

Surtout, il ne règle rien pour 2019 où se présentent deux défis importants pour Bercy. D’abord, le financement de la pérennisation du CICE en baisses de charges qui imposent une « double année » et donc un coût de 20 milliards d’euros qu’il faudra financer. Ensuite, la mise en place encore programmée de la retenue de l’impôt sur le revenu à la source qui risque d’effacer l’effet de la baisse des cotisations sur la fiche de paie du salarié. Cette mesure a déjà été repoussée d’un an en mai dernier pour, précisément, permettre aux salariés de « ressentir » la baisse des cotisations. La même question désormais se pose pour 2019.

Politiquement, le gouvernement prend le risque avec cette méthode en deux temps de rendre peu visible une mesure dont l’impact, on l’a vu, est déjà très faible. Il prend aussi le risque de revenir sur un engagement puisque Gérald Darmanin assurait encore la semaine passée dans une interview à La Provence qu’« un ouvrier qui touche le Smic gagnera 260 euros de plus par an, et ça, dès l’année prochaine ». Cet engagement ne sera pas tenu stricto sensu. Cela traduit sa volonté, du moins en début de quinquennat, de donner la priorité à la consolidation budgétaire et à la baisse de la pression fiscale sur les plus fortunés. L’idée de l’exécutif est sans doute de compter sur l’effet positif de cette politique pour en toucher les dividendes politiques en fin de mandat. Une manœuvre cependant risquée compte tenu de l’ampleur des mesures prises et des incertitudes demeurant sur une croissance encore très dépendante de l’action des banques centrales.