Politique santé sécu social de l’exécutif

Le Monde - La baisse des APL n’aura-t-elle vraiment « aucun impact » pour les HLM ?

Septembre 2017, par Info santé sécu social

La baisse de 60 euros de l’aide personnalisée au logement pour les locataires d’habitations à loyer modéré inquiète le bâtiment et les bailleurs, qui devront assumer le coût de la mesure.

Par Mathilde Damgé

■Les locataires ne seront pas pénalisés ; ce sont les bailleurs qui devront assumer le coût de cette mesure.
■Ces derniers alertent sur le risque de manque de trésorerie pour accroître et entretenir le parc actuel.
■Par ricochet, le secteur du bâtiment pourrait lui aussi être touché par ce nouveau coup de rabot.

« Pour les bénéficiaires des APL dans le logement social, il n’y aura aucun impact. » Le premier ministre, Edouard Philippe, s’est employé à rassurer, mercredi 13 septembre sur France 2, à propos de la nouvelle baisse annoncée de cette aide, essentielle pour ce type de logements.

Pourtant, la question inquiète et plusieurs spécialistes du secteur ont commencé à faire leurs calculs pour vérifier si cette coupe serait véritablement indolore. En réalité, elle le sera peut-être… mais pas pour tout le monde.

De quoi parle-t-on ?

Pour bien comprendre, il faut savoir que les habitations à loyer modéré (HLM) sont gérées par des organismes (publics ou privés, selon les cas) appelés « bailleurs sociaux », qui perçoivent les loyers des locataires. Ces derniers peuvent prétendre à une aide personnalisée au logement (APL) sous certaines conditions, notamment de ressources (lire notre article sur ce sujet).

Le sujet d’inquiétude est le suivant : une baisse des APL versées par l’Etat aux bailleurs sociaux – pour le compte de leurs locataires – est envisagée par l’exécutif, et irait jusqu’à 50 ou 60 euros mensuels. Cette baisse des APL serait compensée par une baisse des loyers afin que les locataires ne soient pas pénalisés. L’Etat contraindrait donc directement les bailleurs sociaux à baisser les loyers.

En contrepartie de cette chute de leurs ressources, ils pourraient obtenir des conditions d’emprunt plus favorables – notamment grâce à un gel du taux du Livret A, dont les fonds servent à construire des logements sociaux.

Cette mesure touche uniquement le logement public (le parc HLM français représente environ cinq millions de logements, soit 17 % des résidences principales) ; les bénéficiaires de l’APL dans le secteur privé ne sont pas concernés. Réformer le parc privé est plus complexe, car il faudrait empêcher les bailleurs de répercuter sur leurs locataires la hausse des loyers en encadrant ces derniers. Ce que ne souhaite pas Emmanuel Macron.

Le compte est-il bon ?

Les organismes HLM, qui perçoivent au total quelque 20 milliards d’euros de loyers par an, vont devoir piocher dans leur trésorerie. L’Union sociale de l’habitat (qui représente 723 bailleurs sociaux sur l’ensemble du territoire) a estimé les économies nécessaires pour « éponger » cette baisse des APL à environ 3 milliards d’euros ; une somme impossible à trouver, selon son directeur général, Frédéric Paul :

« Leur modèle économique repose sur un endettement à long terme de près de 140 milliards d’euros, garanti par les collectivités locales et remboursé par les loyers. »

Or les organismes HLM font face à des difficultés de recouvrement de plus en plus grandes, le nombre de bénéficiaires vivant au niveau du seuil de pauvreté ayant explosé. « Une attribution sur deux bénéficie à des ménages vivant au seuil de pauvreté. Il y a dix ans, le ratio était de un sur cinq », détaille M. Paul.

Quelles conséquences ?

Le risque principal de la baisse des APL est d’assécher une capacité d’investissement destinée notamment à construire de nouveaux logements (notamment les logements « très sociaux » promis par le candidat Macron) et à entretenir le parc actuel. « Cet argent [les loyers] ne sert pas à servir des dividendes mais est réinjecté en totalité sur le réinvestissement du patrimoine. Par exemple de la construction, de la réhabilitation, de l’amélioration de la qualité de vie des locataires, etc. », énumère Jean-Sébastien Paulus, directeur général de Territoire habitat, qui gère 11 370 logements dans le Territoire de Belfort.

Outre le gel du Livret A, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’il pourrait laisser les organismes HLM augmenter les surloyers (les loyers des ménages qui gagnent plus que les plafonds de ressources) pour inciter les ménages les plus aisés à quitter le parc social. Mais une telle mesure, soulignent les bailleurs, concernerait peu de ménages (environ 3 % dans le parc public).

Autre risque de la baisse des APL dans les HLM : renforcer le déséquilibre entre les bailleurs les plus fragiles financièrement et ceux qui ont les reins plus solides. A Paris, l’élu communiste Ian Brossat a calculé que si Paris Habitat compensait 50 euros de baisse d’APL pour tous les locataires concernés, la somme en jeu s’élèverait à 25 millions d’euros, soit 1 000 logements sociaux en moins réhabilités chaque année. Et Paris Habitat est l’un des bailleurs les plus puissants de France, comme le notait Renaud Epstein, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye :

Par ricochet, c’est aussi tout un ensemble de secteurs qui serait touché par ce nouveau tour de vis : les entreprises du bâtiment, à qui les bailleurs sociaux fournissent beaucoup d’activité, avec 105 000 logements mis en chantier par an, soit plus d’un quart de la production nationale, ont ainsi exprimé leur inquiétude.

« Tout affaiblissement de cet acteur, notre seul amortisseur pendant la crise, aurait des conséquences importantes », a déclaré Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment.

Avec le transport et l’emploi, le logement est l’un des trois secteurs devant générer le plus d’économies au sein d’un projet de loi de finances 2018 qui en prévoit 20 milliards, d’économies. La seule baisse des APL dans les HLM permettrait à l’Etat d’économiser 1,5 milliard d’euros sur les aides au logement.

Le gouvernement a repoussé au 22 septembre la présentation de sa « stratégie » pour le logement. Pas sûr que ce délai suffise à rassurer le secteur.