Politique santé sécu social de l’exécutif

Médiapart - « La stratégie logement du gouvernement n’est qu’un emballage pour les coupes budgétaires »

Septembre 2017, par Info santé sécu social

21 septembre 2017| Par Romaric Godin

Pierre Madec, économiste à l’OFCE, spécialiste de la politique du logement, examine les propositions du gouvernement sur ce sujet.

Le gouvernement a présenté mercredi 20 septembre une « stratégie logement » qui était très attendue. Elle avait été annoncée cet été pour faire face à la polémique qui avait suivi la baisse forfaitaire des aides personnelles au logement (APL). Alors que le budget du ministère du logement sera un des plus réduits dans le prochain budget, ce plan devait permettre d’amortir l’effet de ces coupes. Mais cette stratégie semble globalement reposer sur un « choc d’offre » futur sans réellement se donner les moyens de ses ambitions. Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), spécialiste des politiques du logement, jette un regard critique sur un plan fondé principalement sur des mesures « de moyen ou long terme » incapables de faire face aux conséquences à court terme de la baisse des APL. Pour lui, aucun des leviers activés par le gouvernement n’est convaincant. Il met, en outre, en garde contre l’impression de « neutralité » de la baisse des APL pour les bénéficiaires du secteur social, qui serait compensée par la baisse des loyers.

Quelle est votre impression devant l’annonce de la « stratégie logement du gouvernement » ?

Mon impression est que tout cela a été fait dans la précipitation. Si l’on reprend le fil des événements, on remarque que tout part de la volonté du gouvernement de baisser les aides personnelles au logement (APL) d’un montant forfaitaire de 5 euros pour faire quelques économies budgétaires. Devant le tollé soulevé par cette mesure injuste, l’exécutif s’est trouvé obligé de produire en septembre un plan complet et, depuis, court derrière ses promesses. On a donc une forme d’emballage autour de coupes budgétaires massives.

Les propositions du gouvernement ne forment donc pas une vision cohérente ?

Ce sont de « vieilles recettes » que l’on a déjà vues voilà quelques années, voire quelques dizaines d’années. On veut baisser la pression fiscale pour libérer du foncier, mais c’était déjà la stratégie de Manuel Valls en 2015. Le quinquennat de François Hollande devait s’accompagner d’un grand plan de mobilisation du foncier public et privé qui est assez proche des annonces faites le 20 septembre par le gouvernement…

Toute la stratégie du gouvernement s’appuie sur l’idée répétée par ses membres que « la politique du logement coûte cher et est inefficace ». Cette idée vous paraît-elle juste ?

La « politique du logement » ne veut en réalité rien dire. Sur les 42 milliards d’euros dépensés sous ce terme, il existe de nombreux dispositifs et il faut observer la situation dispositif par dispositif. Concernant les APL, qui pèsent 18 milliards d’euros, on ne dépense pas de plus en plus, comme le prétend le gouvernement. Les dépenses rapportées au PIB sont stables depuis 20 ans, autour d’un point. L’effort est donc déjà contenu et il l’est parce qu’on a sous-indexé les plafonds. Le résultat, c’est que les APL sont devenues de plus en plus forfaitaires pour beaucoup de bénéficiaires et que le taux d’effort des ménages a progressé. Mais c’est le fruit des économies budgétaires. Pour le reste, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le portrait social de l’Insee ont largement montré que ces aides étaient bien ciblées, très progressives, qu’elles réduisaient les inégalités, le taux d’effort et le taux de pauvreté. Elles ont aussi permis d’améliorer la qualité des logements pour les plus modestes et la France fait bonne figure sur ce plan aujourd’hui en Europe. Si elles sont donc moins efficaces, ce n’est qu’en raison des économies que l’on a déjà faites sur elles.

La deuxième partie de la « politique du logement » concerne les aides à la pierre. L’aide au logement social fonctionne plutôt bien, en dépit d’un manque d’une certaine forme de complexité. Les acteurs du secteur s’y retrouvent et ces aides ont permis à la France de maintenir l’activité de la construction pendant la crise, ce que beaucoup de nos voisins nous ont envié.

Enfin, il y a les aides à la construction privée, qui sont sans doute les moins efficaces, notamment parce que les objectifs qui leur sont associés sont trop nombreux et contradictoires (soutenir le marché, construire moins cher, établir les ménages modestes dans des zones tendues, etc.).

Justement, le gouvernement maintient des dispositifs d’aides à l’investissement locatif privé comme le « prêt à taux zéro » (PTZ) ou le dispositif Pinel, qui sont cependant resserrés sur les zones tendues ?

Tout cela a déjà été fait. On a déjà resserré ces dispositifs sur les zones tendues et on a constaté que cela ne marche pas, on les a donc élargis aux autres zones. C’est un débat qui circulent depuis des années et auquel le gouvernement n’apporte pas de réponses.

Ces dispositifs ne fonctionnent pas en zones tendues parce qu’il est impossible de construire dans ces zones compte tenu des prix du neuf qui y sont trop élevés. En réalité, concentrer ces aides sur les zones tendues n’a pas de sens. On aurait pu attendre une remise à plat complète de toutes ces aides, mais on n’a eu que des ajustements.

« L’abattement exceptionnel » sur les plus-values prévu par le gouvernement pour une vente de terrain d’ici à 2020 est-il en mesure de créer ce choc d’offre ?

Ce qui est étonnant, c’est que le diagnostic du gouvernement est juste : la fiscalité du foncier encourage la spéculation. Mais la réponse apportée ne consiste pas à modifier la fiscalité pour freiner cette spéculation, mais au contraire à récompenser ceux qui ont spéculé par le passé. Cette décision est un bonus pour ceux qui n’ont pas vendu par le passé.

La mesure phare de cette annonce reste la baisse des APL de 50 euros pour les bénéficiaires du secteur social. Le gouvernement prétend que cette mesure est neutre, qu’en est-il réellement ?

C’est une équation impossible à résoudre. Si on retire 1,4 milliard d’euros d’aides personnelles au logement, il faudra forcément que quelqu’un paie. Si c’est l’État, qui viendra financer le logement social à la même hauteur, il n’y aura pas d’économie budgétaire. Si ce sont les bailleurs sociaux qui acceptent de baisser les loyers d’autant, cela signifiera moins d’entretiens et moins de construction, alors même que l’on veut plus de logements sociaux, notamment pour les étudiants. Et si les bailleurs ne veulent pas baisser les loyers, alors ce seront bien les ménages qui paieront.

Certes, on prétend que l’on va ajuster le mode de financement des bailleurs sociaux, avant d’expliquer immédiatement que l’on ne peut donner de détails parce que ce serait « trop technique ». En tout cas, le gel envisagé du taux du livret A ne libérerait qu’au mieux 400 millions d’euros et la facture serait alors payée par les épargnants qui pourraient être tentés de sortir du livret A. Une décollecte qui, alors, pénaliserait le secteur en lui donnant moins de moyens disponibles.

Il est donc impossible de dire que les coupes budgétaires seront « neutres ». Mais c’est une stratégie de communication du gouvernement ces dernières semaines qui fait croire que l’on peut faire des économies budgétaires sans pénaliser personne…

Ces mesures affecteront-elles les loyers du secteur privé ?

Elles vont surtout accélérer la divergence entre les deux secteurs. Là encore, c’est contradictoire avec le juste diagnostic et la volonté du gouvernement de recréer de la mobilité entre le social et le privé. La dégradation de ce que l’on appelle le « parcours résidentiel », c’est-à-dire le fait de passer du social au privé ou l’accession, est précisément liée à la forte différence de prix entre les deux secteurs locatifs. Or, en demandant la baisse des loyers dans le parc social, sans chercher à encadrer réellement les prix du parc privé, on creuse encore cette différence et on obtient donc un résultat différent de celui qui est officiellement désiré.

Le choc d’offre annoncé doit aussi dépendre d’une réduction des normes et d’une facilitation de la délivrance des permis de construire. Sera-ce le cas ?

Ce que le gouvernement a annoncé, c’est un moratoire sur les normes nouvelles, une annonce qui avait déjà été faite par Nicolas Sarkozy, mais toutes les normes actuelles seront appliquées. Certes, cela peut garantir qu’il n’y aura pas d’inflation normative au cours du quinquennat, et peut rassurer sur le maintien de la qualité des logements tout en donnant de la stabilité aux promoteurs, mais l’effet sur l’offre sera marginal.

Sur les recours « abusifs » concernant les permis de construire, on promet, comme à chaque fois, de les réduire. Mais reste à savoir et à définir ce qui est réellement « abusif », notamment en ce qui concerne l’environnement et la qualité de vie. De toute façon, l’impact sur l’offre sera aussi limité. Il est possible que de telles mesures puissent accélérer des projets en cours et fluidifient l’offre, mais c’est peu probable qu’elles l’augmentent rapidement. Personne ne va se dire : « Je ne voulais pas construire, mais je vais le faire parce qu’il y aura moins de recours sur les permis de construire »…

Cette « stratégie logement » ne serait donc qu’une suite d’effets d’annonce ?

Des effets d’annonce et beaucoup de contradictions. On ne veut fâcher personne et on évite certains sujets importants comme l’encadrement des loyers privés et la nécessaire réforme de la loi SRU. On se cache derrière une communication autour d’éléments faux pour proposer une stratégie de long terme qui devrait faire face à des coupes budgétaires importantes, lesquelles vont frapper à court terme les bénéficiaires des APL et les bailleurs sociaux. Une vraie politique de logement devrait commencer par construire des solutions pour développer l’offre, et attendre les effets de ces mesures : les APL se réduiront alors d’elles-mêmes. Mais on prend le problème à l’envers.