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Blog de Médiapart - CSG sur les petites retraites : la malédiction de la femme mariée a encore frappé…

Novembre 2017, par Info santé sécu social

Par roland veillepeau
Blog : Et si on prenait cinq minutes pour parler fiscalité...... autrement

Non, contrairement à ce qu’on nous ressasse à longueur de journée, tous les retraités qui touchent de maigres retraites de 500€, 800€, 1000€ ou 1200€ par mois ne seront pas épargnés par l’augmentation prochaine de 1.70% de la CSG.

La plupart la subiront de plein fouet, s’ils sont mariés ou pacsés, comme ils payent déjà aujourd’hui au prix fort la cotisation au taux normal de 7.40 % (CSG 6.6% + CRDS 0.50% + CASA 0.3%) sur la maigre retraite de 500€, 800€, 1000€ ou 1200€ qu’ils touchent mensuellement et qui constitue leur seul revenu.

Et ils sont nombreux dans ce cas, au moins un million selon mes estimations les plus basses. Et sans doute, plus de deux millions, en réalité. Ou un tout autre chiffre, si Mr Darmanin veut bien communiquer ces informations que détient la DGFIP.

Et comme dans un couple de retraités, c’est la plupart du temps l’épouse qui perçoit la retraite la moins élevée, les femmes mariées sont une fois de plus les victimes de notre système fiscal qui demeure profondément marqué par la primauté de l’homme, auquel on s’est lié par le mariage. C’est ce que l’on appelle sans doute le machisme institutionnel.

J’ai déjà évoqué à deux reprises cette particularité et cette injustice de notre système fiscal, qui se résume à la notion de « foyer fiscal » dans lequel l’homme est la clé de voute et où la femme n’a aucun rôle direct. La question est évoquée dans deux articles que j’ai publiés dans mon blog sur Médiapart. Dans le premier en date du 15 juin 2015, intitulé « La retenue à la source de l’impôt sur le revenu : le « serpent de mer » est de retour … je conseille « Profitons-en pour donner enfin aux femmes mariées un statut de contribuable à part entière. ». Le second, du 6 octobre 20015, est intitulé « Déclaration des revenus par internet : la femme mariée encore plus ignorée par le fisc … ».

Mais soyons honnête, le statut fiscal de seconde zone des femmes mariées n’intéresse pas grand monde, ni dans les médias ni dans le monde politique, même s’il est profondément injuste comme le démontre aujourd’hui encore l’augmentation de la CSG sur les petites retraites inférieures à 1400€ par mois, que l’on nous continue pourtant à nous dire sur tous les tons épargnées par la nouvelle hausse de 1.7%.

Une inexactitude, pour le moins, qu’aucun média n’a reprise. Que font donc les décodeurs et autres censeurs des déclarations de nos hommes politiques si prompts à dégainer ? Preuve que le machisme institutionnel imprègne fortement les esprits et obscurcit les capacités de réflexion.

Mais revenons à la CSG.

Devant la Commission des affaires sociales, le mardi 11 octobre 2017, lors de la discussion en commission, M. Olivier Véran, rapporteur général, déclare :

« Pour ce qui est des retraités, rappelons d’abord que 40 % ne verront pas leur CSG augmenter. Il nous arrive à tous de croiser sur les marchés des retraités aux pensions modestes, parfois même des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui craignent de subir cette hausse. Non, la CSG n’augmentera pas pour les retraités de soixante-cinq ans et plus et dont la pension mensuelle nette est inférieure à 1 440 euros par mois. »

Le lendemain, toujours devant la Commission des affaires sociales, le mercredi 11 octobre 2017, lors de la séance de 16 heures 30, M. Darmanin, Ministre de l’action et des comptes publics, déclare devant la représentation nationale :

« Je voudrais revenir avec vous sur les mesures qui concernent la CSG, afin que nous soyons tous d’accord sur les chiffres……. Les petites retraites sont celles des personnes qui touchent 600, 700, 800 euros, voire 200 ou 300 euros comme certains agriculteurs. Les retraités ayant des revenus inférieurs à 1 400 euros ne seront pas concernés par l’augmentation de la CSG. »

Les choses paraissent claires, à écouter ceux qui nous gouvernent. Tout retraité ayant pour seul revenu une retraite inférieure à 1400€ par mois n’est pas concerné par l’augmentation de la CSG. C’était d’ailleurs une promesse de campagne du candidat d’En Marche qui prévoyait "une augmentation de la CSG qui ne touchera pas les retraités modestes (ceux exonérés de CSG ou soumis à la CSG à taux réduit, c’est-à-dire 40% environ des retraités).

Or, c’est tout simplement faux, dans la mesure où bon nombre de ces personnes sont déjà et seront demain quand même mises à contribution.

Comme je l’ai dit en introduction, plusieurs millions sans doute de retraités ayant pour seul revenu une retraite inférieure à 1400€ par mois vont subir de plein fouet l’augmentation de CSG de 1.70%, ce qui va diminuer d’autant leur maigre retraite.

Comment est-ce possible, me direz-vous ? Et comment peut-on nous mentir de manière aussi assurée, sans que personne ne relève une telle contrevérité ?

C’est ce que je vais tenter d’expliquer, en faisant mienne la philosophie exprimée par notre Président lors de son grand entretien télévisé du 15 octobre : il ne faut pas hésiter à nommer les choses et à dire la vérité, même si cela dérange et met en porte à faux nos élites ou les médias et ceux qui cherchent plutôt à « habiller » la vérité ou à noyer le poisson, je pense plus particulièrement à Bercy.

Je compte apporter des éléments de réflexion tirés de mon expérience de fiscaliste pour contribuer au débat. En quelque sorte, y mettre mon « grain de sel ». Et surtout contribuer à tordre le cou aux contre-vérités que je relève dans les médias, dès que l’on parle de fiscalité. Et c’est aujourd’hui le cas pour la hausse de la CSG sur les toutes petites retraites.

Mon seul but est de faire réfléchir les citoyens et les amener à poser à leurs élus et à ceux qui nous gouvernent les bonnes questions, en leur demandant de nous dire toute la vérité et non pas de la masquer partiellement ou de se réfugier dans des à peu-près ou des explications qui n’en sont pas.

Fidèle à ma démarche, je compte aider à cette réflexion à partir de questions et d’exemples simples, pour que chacun puisse cheminer et se faire sa propre idée, ce qui est le but de ce blog.

Et je donne un amical conseil aux médias ou aux spécialistes qui mettraient en doute mes affirmations et mes calculs : demandez à Bercy et aux Affaires Sociales de refaire mes calculs et de dire si les chiffres de mes tableaux sont exacts ou non. Ne vous laissez pas abuser par des considérations générales pseudo juridiques, pour justifier que les petits retraités à priori exonérés ne le sont pas en définitive. C’est à cause du quotient familial, vous dira-t-on. Si c’est le cas, il faut alors en modifier les règles et celles du quotient familial pour que les promesses électorales et les affirmations médiatiques soient en conformité avec la réalité.

Exigez d’eux une réponse claire et chiffrée sur les exemples que j’ai développés. La question est simple : est-ce que les retraités à moins de 1 400€ par mois de mes exemples sont bien exemptés ou sont-ils imposés ? Est-ce que mes calculs sont exacts ou sont-ils faux ?

Chacun pourra ensuite en tirer ses propres conclusions à partir de la réponse donnée. Je préviens simplement que mes calculs ont été effectués à partir du simulateur en ligne de l’administration fiscale, où ils peuvent être vérifiés !

Avant-propos
Qu’est-ce que la CSG et comment est-elle calculée sur les retraites ?
Qu’est-ce que le Revenu Fiscal de Référence et le foyer fiscal ?
Quelles sont les petites retraites concernées par la hausse ?
Quel est le taux de la CSG applicable sur les retraites au 1/1/18 ?
Quelques simulations éclairantes et surprenantes.
Comment expliquer cette injustice ?
Et le Conseil Constitutionnel dans tout cela ?
Est-il possible d’éviter cette « sanction » et de rétablir la justice ?

Avant-propos

Les éléments chiffrés utilisés dans ce document ont trois origines, toutes officielles et toutes accessibles sur internet.

Pour les éléments relatifs aux retraites, il s’agit du panorama annuel (2017) sur les retraites, publié par la DREES (Ministère des Finances et Ministère des Affaires Sociales), accessible sur drees.solidarites-sante.gouv.fr.

Pour les éléments relatifs aux déclarations des contribuables, il s’agit des données statistiques annuelles (année 2015) publiée par la DGFIP, accessible sur Impots.gouv.fr.

Quant aux simulations de calcul du Revenu Fiscal de Référence et de l’impôt sur le revenu, elles ont été réalisées à partir du simulateur simplifié mis au point par la DGFIP pour le calcul de l’impôt 2017 au titre des revenus de 2016, accessible également sur Impots.gouv.fr.

Qu’est-ce que la CSG et comment est-elle calculée sur les retraites ?

La contribution sociale généralisée a été inventée par Michel Rocard en 1991. C’est une contribution sociale destinée à financer la Sécurité sociale. C’est un impôt universel et proportionnel, qui est prélevé à la source sur tous les revenus.

Certaines catégories de la population, comme les retraités, en sont exonérées ou bénéficient d’une CSG réduite.

Lorsqu’on parle de CSG, on englobe habituellement trois sous-contributions : la CSG proprement dite (contribution sociale généralisée), la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) et la CASA (contribution additionnelle de solidarité à l’autonomie). La CSG participe au financement du système français de protection sociale. La CRDS sert à résorber le déficit de la Sécurité sociale. La CASA est destinée à financer les programmes d’aide aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées.

Elle s’applique aux retraites versées, selon trois taux différents, en fonction du Revenu Fiscal de Référence du foyer fiscal.

3) Qu’est-ce que le Revenu Fiscal de Référence et le foyer fiscal ?

Le RFR, le revenu fiscal de référence, est le revenu du foyer fiscal, résultant de la déclaration annuelle du contribuable. Ce RFR, au calcul un peu compliqué, servira de seuil ou de plafond pour faire bénéficier le foyer fiscal d’autres avantages, tels que des abattements ou des réductions, sur les impôts locaux par exemple, ou sur l’impôt sur le revenu des personnes de plus de 65 ans. Son montant est indiqué à la fin de l’avis d’imposition à l’impôt sur le revenu.

Son calcul compliqué est en relation avec une autre notion également compliquée, celle du foyer fiscal. Cette notion de foyer fiscal est propre à notre droit fiscal français et ne se retrouve dans aucun autre grand pays développé à la fiscalité moderne. En effet, dans tous les grands pays, excepté en France, toute personne est par définition un contribuable à part entière, quel que soit son sexe, son statut social, son âge ou la couleur de ses yeux. La notion de foyer fiscal regroupant plusieurs personnes est donc totalement inconnue dans ces pays.

La difficulté vient du fait que le foyer fiscal français est à géométrie variable, car il est constitué d’un nombre variable de personnes, qui vont fusionner leurs éléments d’imposition et qui seront taxés ensemble, sous une seule cote.

Le foyer fiscal français peut ainsi regrouper une seule personne, célibataire, veuve ou divorcée. C’est la situation identique à celle que l’on rencontre dans tous les autres grands pays. Un homme égale une femme et chacun égale un contribuable. Point.

Chacune de ces personnes constitue un foyer fiscal à elle toute seule. Les revenus de son foyer fiscal sont constitués de ses seuls revenus. Et son avis d’imposition mentionne son RFR (revenu fiscal de référence), constitué de ces seuls revenus. Il n’y a donc aucune distorsion, puisque ces éléments sont du même ordre. Et aucune difficulté pour calculer le taux de CSG applicable sur les pensions, puisque l’on ne prend en compte que les revenus de la personne.

Mais le foyer fiscal français peut ainsi regrouper deux, trois, quatre ou cinq personnes, voire plus. Ce sera le cas des couples avec enfants, mais à la condition qu’ils soient mariés ou pacsés. Un couple avec ou sans enfant, ni marié ni pacsé, vivant donc « en union libre », ne constitue pas un foyer fiscal à deux personnes, mais deux foyers fiscaux à une personne ! C’est beau la logique !

Avec une différence de taille, qui devient le problème, c’est que le RFR, le revenu fiscal de référence, est celui du foyer fiscal, qui est composé de deux ou plusieurs personnes. Ce RFR cumule donc les revenus des deux personnes, et même plus en présence d’enfants.

Dans un foyer fiscal composé de deux personnes, il n’y a qu’un RFR, et non pas deux, un pour chacun, comme semblerait le commander la logique.

Et c’est ce RFR cumulé de deux personnes distinctes qui va être appliqué à chacune d’elle pour déterminer le calcul du taux des cotisations de la CSG qu’elle doit payer, ce qui est profondément inéquitable. Car on tient compte des deux revenus, alors que dans le foyer fiscal à une personne, on ne prend en compte qu’un revenu.

Même si les seuils et les plafonds ont été augmentés de cinquante pour cent dans ce cas pour tenir compte de la présence de deux personnes, alors que logiquement ils auraient dû être doublés puisqu’ils concernent deux personnes et non une personne et demie, on verra que le résultat n’en est pas satisfaisant pour autant. Loin de là.

En effet, pourquoi prendre en compte les revenus de chaque conjoint pour calculer les cotisations sociales de CSG de l’autre époux ? Pourquoi prendre en compte les revenus du mari pour calculer les cotisations sociales de CSG de son épouse ? On devrait, comme pour les célibataires, les divorcés ou les veufs, ne tenir compte que des seuls revenus de chacune de ces personnes.

Ces revenus sont pourtant connus du fisc, qui calcule d’ailleurs, dans la perspective de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu pour 2019, un RFR pour chacun des époux du couple marié ou pacsé, pour le cas où l’envie leur prenait de retenir cette possibilité de calcul du taux de leur futur prélèvement.

C’est la même chose que je demande pour le calcul du taux de la CSG des personnes mariées ou pacsées, mais j’y reviendrai plus loin, en conclusion.

Que l’on tienne à ce que les revenus de l’époux s’ajoutent à ceux de l’épouse pour calculer l’impôt sur le revenu du foyer, passe encore, puisque c’est la logique « machiste institutionnelle » qui caractérise notre système, une règle « traditionnelle dans le droit fiscal français » ( !?!) selon le conseil constitutionnel, nécessaire selon lui à la progressivité de l’impôt sur le revenu, qui a valeur constitutionnelle.

Mais la CSG n’est pas une contribution sociale progressive mais proportionnelle. Et le caractère proportionnel de la CSG n’a aucune valeur constitutionnelle. Il n’y a dès lors aucune raison technique ou philosophique pour que l’on étende à la CSG un principe différent propre à l’impôt sur le revenu.

Pourquoi pas alors ne pas l’étendre aussi au calcul de l’assurance auto ? Ou également au nombre de points du permis de conduire ? Le couple disposerait de 24 points, et non plus de douze chacun, et chacun en disposerait jusqu’à l’épuisement du stock !

On voit donc qu’il n’y a aucun argument juste et pertinent pour que le calcul des cotisations sociales de la femme pacsée ou mariée soient calculées en prenant en compte les revenus de son mari, alors que si ces mêmes femmes n’étaient ni mariées ni pacsées on ne prendrait pas en compte les revenus de leur compagnon marital pour calculer le taux de leur CSG.

Nous sommes fiers à juste titre de la devise de la République qui est « liberté, égalité, fraternité ». Mais, pour être dans la vérité, il faudrait alors la compléter, pour qu’elle colle avec la réalité, par « sauf pour les femmes mariées ou pacsées, où la notion d’égalité laisse à désirer. »

4) Quelles sont les petites retraites concernées par la hausse de 1.7% au 1/1/2018 ?

La hausse du premier janvier 2018 ne concernera que les petites retraites des retraités mariés ou pacsés, et avant tout les femmes qui perçoivent en majorité des retraites inférieures à celles de leur mari ou compagnon. Selon l’étude de la Dress, les femmes ont perçu en moyenne 39% de moins que les hommes en 2016.

Cela s’explique par le fait qu’elles ont souvent interrompu leur travail pour s’occuper pendant quelques années de l’éducation de leurs enfants. Cela s’explique aussi par la mobilité géographique du mari, situation fréquente chez les fonctionnaires, notamment les militaires. L’épouse suit son mari sans toujours avoir la possibilité de retrouver un emploi.

Selon les chiffres de la Dress, établies à partir des déclarations des caisses de retraite, il y aurait en 2017 près de 17 millions de retraités, composés à 52% de femmes et à 48% d’hommes.

Le montant moyen des pensions nettes perçues mensuellement par les retraités est de 1 283€, 1 728 € pour les hommes et 1 050€ pour les femmes.

Le total des pensions versées en 2016 dépasse 300 milliards d’euros et représente un septième du PIB.

Selon les chiffres de la DGFIP, établis à partir des déclarations fiscales, il y avait en 2015 près de 24 millions de contribuables mariés et un peu plus de deux millions de Pacsés, soit un total de près de 13 millions de foyers fiscaux composés d’au moins deux personnes.

Dans le même temps, il y avait 5.4 millions de divorcés, près de 4 millions de veufs et un peu plus de 15 millions de célibataires, soit 24.4 millions de foyers fiscaux composés d’une seule personne.

Selon la DGFIP, plus de 8 millions de retraités déclaraient vivre en couple, ce qui représente environ 4 millions de femmes, percevant une pension moyenne mensuelle de 1 045€.

On voit donc que la majorité des femmes retraitées, mariées ou Pacsées, sont très en dessous de 1 400€ qui est selon nos dirigeants le seuil de déclenchement de la hausse de CSG de 1.7% en 2018.

On peut donc théoriquement estimer à deux millions et demi le nombre de personnes potentiellement concernées par la taxation au 1/1/18. Cela est d’ailleurs en cohérence avec le chiffre annoncé de 40% de personnes exonérées.

Le Ministère de Finances et le Ministère des Affaires Sociales contesteront sans doute mes chiffres, qui ne résultent que de mes propres évaluations. Comme ils disposent, eux, de l’ensemble des informations disponibles, ils devraient être en mesure de nous faire connaître le véritable nombre de « petites et maigres retraites » qui seront taxées. Je leur demande donc d’indiquer le nombre de couples mariés ou pacsés de plus de 60 ans déclarant au moins une pension de retraites, et parmi eux, le nombre de femmes et le nombre d’hommes déclarant moins de 14 000€ de pensions annuelles.

Cela sera l’occasion d’avoir « les vrais chiffres » que M. Darmanin se fera, n’en doutons pas, un plaisir de nous fournir. Et nous pourrons vérifier si, comme il l’affirme, « les retraités ayant des revenus inférieurs à 1 400€ (soit 16 800€ annuels) ne seront pas concernés par l’augmentation de la CSG. »

5) Quel est le taux de la CSG applicable sur les retraites au 1/1/18

C’est l’article L136-8 du code de la sécurité sociale qui définit les taux de CSG applicables. Ceux indiqués ci-après s’appliquent aux retraites versées en 2017.

Le taux applicable dépend du RFR (revenu fiscal de référence) qui, comme nous l’avons vu, dépend de la composition du foyer fiscal.

* En présence d’un foyer à une personne (1 part fiscale), trois taux s’appliquent :

 un taux de 0% lorsque le RFR est inférieur à 10 996€, ce qui correspond à une retraite mensuelle versée inférieure à 1 020 € par mois. Il y a alors exonération de la CSG, du CRDS et de la CASA.

 un taux de 3.8% lorsque le RFR est compris entre 10 996€ et 14 374€, ce qui correspond à une retraite mensuelle versée comprise entre 1 020€ et 1 340€ par mois. S’ajoute alors la CRDS au taux de 0.50%, soit un taux total de 4.3%, qui s’applique au total de la pension versée.

 un taux de 6.6% lorsque le RFR est supérieur à 14 374€, ce qui correspond à une retraite mensuelle versée supérieure à 1 340€ par mois. S’ajoute également la CRDS au taux de 0.50%, et la CASA, au taux de 0.3%, soit un taux total de 7.4%, qui s’applique au total de la pension versée.

* En présence d’un couple de deux personnes (2 parts fiscales), marié ou pacsé, les trois taux deviennent :

- un taux de 0% lorsque le RFR est inférieur à 16 868€, ce qui correspond à une retraite mensuelle versée au couple inférieure à 1 560€ par mois. Il y a alors exonération de la CSG, du CRDS et de la CASA.

 un taux de 3.8% lorsque le RFR est compris entre 16 86 € et 22 050€, ce qui correspond à une retraite mensuelle versée au couple comprise entre 1 560€ et 2050€ par mois. S’ajoute également la CRDS au taux de 0.50%, soit un taux total de 4.3%, qui s’applique au total de la pension.

 un taux de 6.6% lorsque le RFR est supérieur à 22 050€, ce qui correspond à une retraite mensuelle versée au couple supérieure à 2 050€ par mois. S’ajoute également la CRDS au taux de 0.50%, et la CASA, au taux de 0.3%, soit un taux total de 7.4%, qui s’applique au total de la pension.

5) Quelques simulations éclairantes et surprenantes.

Pour mesurer l’impact de la nouvelle hausse sur les petites retraites inférieures à 1 400€ par mois, qui doivent toutes être exonérées, selon les déclarations officielles, j’ai procédé à des calculs au moyen du simulateur en ligne de la DGFIP.

La situation de quatre personnes sera examinée, à savoir Mr Tristan, Mme Yseult, Mr Roméo et Mme Juliette.

Ces personnes vivent en couple et ne disposent chacune que de leur seule retraite comme revenu. Elles ont toutes plus de 65 ans, ce qui explique qu’elles soient retraitées. Leur revenu est celui imposable de 2016, ce qui fait que leur RFR (revenu fiscal de référence) sera justement celui pris en compte pour le calcul du taux de leur CSG applicable en 2018. J’ai retenu pour les hommes comme pour les femmes, des revenus inférieurs et des revenus supérieurs situés de part et d’autre de la moyenne déclarée au titre de 2016.

Elles ont disposé en 2016 des revenus imposables suivants : Mr Tristan, une pension de 1 350€ par mois, soit 16 200€ pour l’année, Mme Yseult, une pension de 1 350€ par mois également, soit 16 200€ pour l’année, Mr Roméo, une pension de 2 500€ par mois, soit 30 000€ pour l’année et Mme Juliette, une pension de 800€ par mois, soit 9 600€ pour l’année.

* Première simulation  : ces quatre personnes vivent en couple, sans être ni mariées ni pacsées.

N’étant ni pacsées ni mariées, ces quatre personnes constituent quatre foyers fiscaux distincts d’une personne, bien qu’elles vivent en couple.

Voyons le résultat des simulations, au regard de l’impôt sur le revenu dû (IR), du RFR et du taux de CSG (%CSG) qui sera applicable à leurs pensions en 2018.

- Mr Tristan : pension de 16 200€ IR : 0€ RFR : 12 228€ %CSG : 4.3%

 Mme Yseult : pension de 16 200€ IR : 0€ RFR : 12 228€ %CSG : 4.3%

 Mr Roméo : pension de 30 000€ IR : 2 450€ RFR : 27 000€ %CSG : 7.4%

 Mme Juliette : pension de 9 600€ IR : 0€ RFR : 6 288 € %CSG : 0%

Les taux de CSG concernent l’année 2017. Au 1/1/18, le taux normal de 7.4% passera à 9.1%, du fait de l’augmentation de 1.7% du taux normal.

* Seconde simulation : ces quatre personnes vivent en couple, en étant soit mariées soit pacsées.

Ces quatre personnes étant mariées ou pacsées, elles constituent deux foyers fiscaux distincts de deux personnes.

Voyons le résultat des simulations, au regard de l’impôt sur le revenu dû (IR), du RFR et du taux de CSG (%CSG) qui sera applicable à leurs pensions en 2018.

 Mr et Mme Tristan-Yseult : pension de 32 400€ IR : 374€ RFR : 29 160€ %CSG : 7.4%

 Mr et Mme Roméo-Juliette : pension de 39 600€ IR : 1 643€ RFR : 35 640 %CSG : 7.4%

Les taux de CSG concernent l’année 2017. Au 1/1/18, le taux normal de 7.4% passera à 9.1%, du fait de l’augmentation de 1.7% du taux normal.

* Les enseignements de ces simulations.

Les résultats sont parlants : en matière de CSG, le fait d’être marié ou pacsé entraîne le plus souvent pour les petites retraites une surtaxation, car leur taux de CSG est automatiquement rehaussé, du fait de la prise en compte des revenus supérieurs du conjoint.

* Mme Yseult (1 350€ par mois) paie actuellement 4.3% de CSG (soit 58€) si elle n’est pas mariée et 7.4% (soit 100€) si elle l’est. Du fait de son mariage, elle est actuellement sanctionnée de 42€ par mois, soit 502€ par an.

Au premier janvier 2018, elle sera soumise en plus à l’augmentation de 1.7%, soit une ponction mensuelle supplémentaire de 23€, soit 275€ par an. Au total, elle versera annuellement 1475€ de CSG, pour une pension mensuelle de 1350€.

Le fait d’être mariée ou pacsée la conduira à verser 778€ de CSG supplémentaire, par rapport à ce qu’elle paierait si elle n’était pas mariée. Comme quoi, passer devant Mr le Maire peut avoir un coût caché qui s’apparente à une véritable sanction !

Difficile de lui affirmer, comme Mr Darmanin, que « les retraités ayant des revenus inférieurs à 1 400€ (soit 16 800€ annuels) ne seront pas concernés par l’augmentation de la CSG. »

* Mr Tristan (1 350€ par mois) paie actuellement 4.3% de CSG (soit 58€) s’il n’est pas marié et 7.4% (soit 100€) s’il l’est. Du fait de son mariage, il est actuellement sanctionné de 42€ par mois, soit 502€ par an.

Au premier janvier 2018, il sera soumis en plus à l’augmentation de 1.7%, soit une ponction mensuelle supplémentaire de 23€, soit 275€ par an. Au total, il versera annuellement 1475€ de CSG, pour une pension mensuelle de 1350€.

Le fait d’être marié ou pacsé le conduira à verser 778€ de CSG supplémentaire, par rapport à ce qu’il paierait s’il n’était pas marié.

Difficile de lui affirmer, comme Mr Darmanin, que « les retraités ayant des revenus inférieurs à 1 400€ (soit 16 800€ annuels) ne seront pas concernés par l’augmentation de la CSG. »

Cet exemple montre qu’il peut arriver que les hommes soient également être impactés, mais, reconnaissons-le, de manière moins fréquentes que les femmes mariées.

* Mr Roméo (2 500€ par mois) est le seul dont la situation est inchangée, qu’il soit marié ou non. Cela tient au niveau élevé de sa retraite.

* Mme Juliette (800€ par mois) paie actuellement 0% de CSG si elle n’est pas mariée et 7.4%, le maximum, (soit 59€) si elle l’est. Du fait de son mariage, elle est actuellement sanctionnée de 710€ par an.

Au premier janvier 2018, elle sera soumise en plus à l’augmentation de 1.7%, soit une ponction mensuelle supplémentaire de 14€, soit 163€ par an. Au total, elle versera annuellement 873€ de CSG, pour une pension mensuelle de 800€.

Le fait d’être mariée ou pacsée la conduit à payer de la CSG alors qu’elle en serait exemptée si elle n’était pas mariée. Son mariage constitue à l’évidence une véritable sanction, du moins du point de vue financier !

Difficile de lui affirmer, comme Mr Darmanin, que « les retraités ayant des revenus inférieurs à 1 400€ (soit 16 800€ annuels) ne seront pas concernés par l’augmentation de la CSG. »

En matière d’impôt sur le revenu, le système du foyer fiscal a aussi une influence, mais beaucoup moins brutale qu’en matière de CSG.

Le couple Tristan et Yseult ne paie pas d’impôt s’il n’est pas marié et en paie un peu (374€) s’il est marié ou pacsé.

Quant au couple Roméo et Juliette, la situation est inversée. Il paie 2 450€ d’impôt s’il n’est pas marié, du fait de la progressivité frappant les revenus de Roméo et il ne paie plus que 1 643€ d’impôt en cas de mariage ou de pacs. Il s’agit là d’un effet de lissage dû à la prise en compte des faibles revenus de Juliette.

6) Comment expliquer cette injustice ?

Comme le montrent les simulations effectuées, cela tient aux règles de détermination du taux de CSG applicable et surtout à la notion de foyer fiscal.

Et plus la retraite de l’épouse sera petite et éloignée en montant de celle de son mari, plus l’injustice sera importante.

L’exemple de Juliette est éclairant. Avec 800€ de retraite mensuelle, elle ne devrait pas payer de CSG. Or, elle la paie actuellement au taux maximum et sera soumise à l’augmentation de 1.7% au 1/1/18.

Quelque soient les arguments juridiques que l’on peut avancer, et en réalité il n’y en a pas de convaincants, cette situation est particulièrement injuste, car elle frappe celles et ceux qui ont le moins. Je rappelle qu’en 2018, elle devra verser 876€ de CSG. Lui rendre l’exonération auquel elle a droit en bonne justice conduirait à une augmentation automatique de sa pension de 73€ chaque mois. Ce n’est pas rien !

Il est pour le moins surprenant et paradoxal que nos hommes politiques ne s’en rendent pas compte ni ne s’en émeuvent.

8) Et le Conseil Constitutionnel dans tout cela ?

Il est difficile de préjuger de la position du Conseil constitutionnel en cas de saisine, à l’issue du vote de la loi.

Cela étant, l’on connait les principes sur lesquels il s’appuie, et en particulier pour censurer les traitements inégalitaires de situations identiques. L’application d’une CSG très différente à des pensions identiques, uniquement parce que la personne est passée par la case « mairie » me parait mériter cette censure.

On connait également sa position sur le foyer fiscal et le quotient familial (l’attribution d’un nombre de parts) qui sont des règles nécessaires selon lui pour garantir la progressivité de l’impôt sur le revenu. Mais on l’a vu, la CSG et les contributions sociales n’ont pas de caractère progressif, mais un caractère proportionnel, qui lui n’a aucune valeur constitutionnelle. Il n’y a pas, de mon point de vue, de risque de censure pour ce motif

Le conseil constitutionnel est enfin attentif à la notion d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, en cas de situation identique sauf si la différence constatée de traitement a une justification directe avec la législation appliquée. Or, le traitement différencié constaté ne répond à aucune justification, sauf à reconnaître le caractère de punition au pacs ou au mariage. Il n’hésite pas à sanctionner toute rupture caractérisée de l’égalité devant l’impôt, ce qui me parait être le cas en l’espèce. On ne voit pas pourquoi les cotisations sociales devraient être différentes selon que l’on est passé devant Mr le Maire ou non. Pareille exigence n’a aucun lien ni aucune justification lorsque le but recherché est le financement de la protection sociale.

Si les dispositions actuelles et l’augmentation prévue de la CSG pour les retraités bénéficiant d’une petite pension devaient être votées par le Parlement, j’espère qu’un groupe de parlementaires demandera l’avis du conseil constitutionnel sur une disposition que je considère comme particulièrement contestable et injuste, et totalement en contradiction avec la politique annoncée de soutien aux plus faibles.

9) Est-il possible d’éviter cette « sanction » et de rétablir la justice ?

Si le bon sens et le courage existent encore aujourd’hui, il ne devrait pas être difficile pour les députés et les sénateurs d’éloigner définitivement de la CSG les petites retraites inférieures à 1 400€, selon la promesse actuelle, en s’appuyant sur le barème actuel de l’article L136-8 du code de la sécurité sociale qui définit les taux de CSG applicables en 2018 pour une part, soit une exonération pour les retraites mensuelles inférieures à 1 020€ par mois, taxation à 4.3% pour celles inférieures à 1 340€ et taxation à 9.1% pour celles supérieures à ce seuil.

L’article L136-8 du code de la sécurité sociale définit en effet des règles de calcul et de taux de CSG différents en fonction de la nature des revenus auxquels elle s’applique. Les règles sont ainsi différentes pour les salaires, les retraites ou les allocations de chômage.

Il suffit de poser le principe qu’en ce qui concerne les retraites, le taux de la CSG est calculé dans tous les cas par référence au RFR (revenu fiscal de référence), de chaque individu, déterminé par ses seuls revenus. Cela ne concerne que le II 2° et le III 1° et 2° de l’article L136-8 du code de la sécurité sociale.

Et cela ne modifie en rien les autres règles de calcul de la CSG.

Il ne s’agit donc pas d’une réécriture complète et d’un bouleversement complet de la loi relative à la CSG.

Juste d’un petit ajustement, de justice et de solidarité vis-à-vis de ceux qui, en fin de course, bénéficient d’une petite retraite qui ne reflète pas les efforts de toute une vie.

Si nos élus, et notamment ceux, nouveaux, beaucoup plus proches, dit-on, de la vie réelle et du peuple, ne souscrivent pas à ce constat et à cette approche, il y aura lieu de désespérer du bon sens et du courage, comme je l’écris au début de ce chapitre.

Evitons enfin l’argument de l’impossibilité technique de réaliser une telle modification de la loi.

Je rappelle que l’administration connait et calcule ce RFR pour les couples mariés ou pacsés, pour les besoins de la prochaine retenue à la source pour l’impôt sur le revenu. L’article 204 M de la loi de finances n° 2016-1917 pour 2017 organise ce calcul.

Il suffira à l’administration fiscale de communiquer aux caisses de retraite le revenu fiscal de référence de chaque membre des foyers fiscaux au titre de 2016, qui figure dans ses fichiers, pour que celles-ci puissent calculer la CSG applicable en 2018 aux retraites de chaque retraité, en retenant le barème prévu pour une part par l’article L136-8 du code de la sécurité sociale.

Et là, la promesse de Mr Darmanin « Les retraités ayant des revenus inférieurs à 1 400 euros ne seront pas concernés par l’augmentation de la CSG » prendra alors tout son sens et deviendra réalité.

Et je serai le premier à l’en féliciter. De même que, j’en suis sûr, les milliers ou les millions de retraités concernés.