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Le Monde.fr : Future loi logement : une concertation au pas de charge et un débat parlementaire minimal

Janvier 2018, par infosecusanté

Future loi logement : une concertation au pas de charge et un débat parlementaire minimal

Depuis la mi-décembre, les débats sur ce dossier ont été ouverts au Sénat, suivant un calendrier serré de cinq réunions thématiques d’ici au 25 janvier
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LE MONDE

12.01.2018

Par Isabelle Rey-Lefebvre

Face à la fronde d’élus inquiets pour leurs finances et leurs prérogatives et à celle des organismes de HLM choqués par la baisse de 1,5 milliard d’euros de leurs loyers imposée par le gouvernement, le président de la République s’est résolu à ouvrir une concertation. « J’ai fait mienne la proposition du président du Sénat, Gérard Larcher, de réunir une conférence de consensus sur le logement », a ainsi déclaré Emmanuel Macron le 23 novembre 2017 au congrès des maires, souhaitant « associer étroitement les collectivités territoriales et les acteurs du logement pour finaliser un projet de loi début 2018 ».

Dès le 12 décembre, les débats ont été ouverts au Sénat par Gérard Larcher, en présence du ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, et de son secrétaire d’Etat, Julien Denormandie. Les discussions avancent à marche forcée, selon un calendrier serré de cinq réunions thématiques d’ici au 25 janvier. C’est la méthode Macron : mélange d’écoute, d’autorité et d’effets de surprise.

L’objectif est de finaliser d’ici à la fin de janvier le projet de loi baptisé « Evolution du logement et aménagement numérique » (loi ELAN, clin d’œil peut-être involontaire à la loi ALUR de Cécile Duflot, tant décriée par certains professionnels), dont un premier jet a été publié le 18 décembre 2017. Ce texte touffu de cinquante-sept articles brasse large, de la simplification des règles d’urbanisme à la réforme du secteur des habitations à loyer modéré (HLM), en passant par la numérisation du secteur du logement ou la revitalisation des centres-villes.

« Speed dating »

Le gouvernement veut aller vite, voire brûler des étapes. L’avant-projet prévoit une dizaine d’ordonnances qui court-circuitent la discussion parlementaire sur des points parfois majeurs comme la modernisation de la procédure des zones d’aménagement concerté, la hiérarchie des documents d’urbanisme, la réquisition de bureaux vacants pour l’hébergement ou la création d’observatoires des loyers. Et surtout les sujets délicats que sont les marchands de sommeil et les copropriétés. Cela en ferait le deuxième texte, après la réforme du code du travail, à légiférer par ordonnances, même si ce ne serait cette fois qu’en partie.

« Je me souviens que lors de la discussion sur la loi égalité et citoyenneté, en 2016, les députés avaient refusé que le gouvernement recoure à une ordonnance pour légiférer sur la lutte contre les marchands de sommeil, un sujet qui doit impérativement associer les élus et leurs communes. Je retrouve la même méthode aujourd’hui », déplore Daniel Goldberg, ancien député PS de la Seine-Saint-Denis, qui fut rapporteur de la loi de 2016. Il paraît, de même, expéditif de traiter de la gouvernance des copropriétés, où vivent neuf millions de Français, et de modifier les règles de vote des décisions sans une discussion approfondie des députés et sénateurs.

Trois des cinq conférences se sont déjà tenues, dont deux mercredi 10 et jeudi 11 janvier, sous l’égide d’un sénateur. Elles font salle comble, rassemblant chacune cent à cent cinquante personnes : « C’est une sorte de “speed dating” où chacun dispose de deux minutes pour exposer sa vision du problème et de deux autres minutes pour faire des propositions, raconte Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim). Nous avons, par exemple, fait remarquer que l’article traitant de l’expiration du futur bail mobilité, dont la durée est très courte, de un à dix mois, méritait d’être réécrit pour préciser quel régime locatif lui succède si le locataire reste en place. »

Le gouvernement envisage aussi la création d’un bail numérique, sans papier, souhaitant que les gérants en transmettent automatiquement les données au fichier national : « Il n’en est pas question, s’insurge M. Torrollion, nous ne communiquerons pas les données personnelles de nos clients propriétaires et locataires, même si nous consentons à alimenter en données non nominatives les observatoires de loyers que le gouvernement veut généraliser. »

De nombreuses interventions concernent la réorganisation du secteur HLM, le regroupement des organismes, la vente de logements sociaux : « Le texte prévoit, là aussi, des ordonnances, mais le sujet est trop sensible pour ne pas en débattre en détail au Parlement, estime Philippe Dallier, sénateur (Les Républicains) de la Seine-Saint-Denis. Le président de la République nous a d’ailleurs assuré qu’il renoncerait aux ordonnances sur ces points. »

Scepticisme

Dans le cadre de la concertation, chacun est en outre invité à déposer sa contribution sur une plate-forme numérique, consultable sur le site du Sénat, cette méthode de coconstruction d’un texte étant revendiquée par La République en marche, le parti de M. Macron. A la date du 11 janvier, quarante-sept textes y étaient déposés, émanant aussi bien d’une start-up, de l’agglomération de Lorient que d’un syndicat professionnel de géomètres, de promoteurs ou d’ATD quart monde.

Nombre de participants ne cachent pas leur scepticisme : « L’exercice est intéressant, mais on ne sait pas trop ce qui en ressortira et on a l’impression de bousculer des lois à peine entrées en application et dont on n’a pas encore tiré le bilan », dit Philippe Dallier. « On sait que le logement social est en crise, que les bailleurs sociaux ne pourront pas construire suffisamment ni offrir des loyers très sociaux, étant obligés de se tourner vers des locataires plus solvables, prédit Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement. Ces débats me paraissent un peu vains, même s’il est toujours instructif d’écouter d’autres points de vue, parfois plus experts que le nôtre. »

« Je ne vois pas, dans ce texte, les leviers qui permettront de construire mieux et moins cher, s’inquiète Denis Dessus, président du Conseil national de l’ordre des architectes. On sent l’urgence, mais sans référence à des objectifs qualitatifs. Les mots “environnement”, “écologie”, “économie de l’espace” ont disparu de la loi. Les élus communaux se sentent dépossédés de leurs prérogatives et ont le sentiment d’une centralisation rampante. »

La concertation dans l’urgence, sous pression, sans diagnostic précis et sans que l’on sache ce qui finalement sera retenu ou pas, puis en légiférant par ordonnances, semble la marque d’Emmanuel Macron. « Un mélange d’habileté et de brutalité », résume un membre d’une association d’accueil de personnes sans abri prenant part aux conférences.