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Le Monde.fr : Le gouvernement va-t-il autoriser les licenciements de fonctionnaires hospitaliers ?

Février 2018, par infosecusanté

Le gouvernement va-t-il autoriser les licenciements de fonctionnaires hospitaliers ?

Le syndicat Force ouvrière dénonce la publication prochaine d’un décret autorisant pour la première fois des licenciements dans l’hôpital public.

LE MONDE

01.02.2018

Par Maxime Vaudano

Un big bang social est-il en préparation dans la fonction publique hospitalière ? C’est ce que craint le syndicat Force ouvrière (FO), qui tire depuis plusieurs semaines le signal d’alarme sur la signature prochaine, par le gouvernement, d’un décret qui pourrait mettre fin à l’emploi à vie des fonctionnaires hospitaliers.

En 1986, la contestation avait fait reculer le gouvernement

Dans une loi promulguée en 1986, le gouvernement Fabius et la majorité socialiste avaient introduit une possibilité de licencier les fonctionnaires hospitaliers. Cette disposition visait à encadrer les situations exceptionnelles dans lesquelles, l’emploi du fonctionnaire ayant été supprimé, aucun poste de grade similaire ne puisse lui être offert. La loi prévoyait que l’Etat fasse alors au fonctionnaire trois propositions de reclassement, et qu’en cas de refus, celui-ci puisse être licencié ou mis en disponibilité.

A l’époque, la contestation avait fait reculer le gouvernement, qui n’avait jamais pris les décrets d’application nécessaires à l’entrée en vigueur de cette mesure. Celle-ci est donc en sommeil depuis plus de trente ans.

La fermeture d’une crèche relance le débat

Le gouvernement Jospin avait bien tenté, en 1998, de faire passer ce décret d’application manquant, mais il avait lui aussi reculé face à la réaction hostile de certains syndicats. Et si la ministre de la santé d’aujourd’hui, Agnès Buzyn, reprend ce flambeau, en s’apprêtant à publier le décret trois décennies plus tard, ce n’est probablement pas pour le simple plaisir de déclencher l’ire de FO.

« Elle s’est vu proposer pour son reclassement un poste de ménage »

Un épisode récent a en effet remis incidemment cette question sur le devant de la scène : la fermeture, en 2014, de la crèche de la Fondation Roguet, un hôpital public à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), sur fond de soupçons de maltraitance sexuelle envers des enfants. « L’une des agentes de la crèche, dont l’emploi avait été supprimé, s’est vu proposer pour son reclassement un poste de ménage, inférieur à son grade, relate Eric Belizaire, délégué syndical CFDT. Comme elle l’a refusé, elle a été licenciée. »

L’employée, épaulée par la section locale de la CFDT, a alors contesté son licenciement en justice en incriminant l’absence de décret d’application de la loi de 1986, qui aurait, selon elle, introduit un vide juridique permettant à son employeur de l’écarter sans respecter les règles. Elle a saisi le Conseil d’Etat, qui lui a donné raison en octobre 2017, en demandant au gouvernement de publier sous six mois ce fameux décret pour clarifier la situation.

C’est donc sous la contrainte de cette décision de la plus haute juridiction administrative française, et non de son propre chef, que le ministère de la santé prépare actuellement ce décret, qu’il devrait publier d’ici à avril.

Faciliter de prochaines coupes budgétaires

Pour Didier Birig, secrétaire fédéral santé du syndicat FO, le gouvernement n’a pourtant pas l’obligation de se hâter pour rédiger ce décret, car le Conseil d’Etat n’a pas fixé d’astreinte en cas de dépassement du délai de six mois. « Cela laisse le temps de changer la loi de 1986, pour éliminer la référence aux licenciements dans la fonction publique hospitalière et régler le problème du décret », estime-t-il.

Un « dégraissage du personnel » dans l’hôpital public

Selon lui, cette injonction du Conseil d’Etat tombe en fait à point nommé pour le gouvernement Philippe, car le nouveau décret pourrait faciliter de prochaines coupes budgétaires et un « dégraissage du personnel » dans l’hôpital public, où les licenciements étaient jusqu’à présent proscrits. « Les fonctionnaires dont les postes seront supprimés par les regroupements d’établissements vont se voir proposer trois solutions de reclassement : ils seront contraints de les accepter sous peine d’être licenciés », s’indigne le syndicaliste.

Par la voix d’Eric Belizaire, la CFDT se défend d’avoir ouvert une boîte de Pandore en accompagnant le recours de l’employée de la crèche de Clichy-la-Garenne. « Ne pas avoir de décret ne protégeait pas les fonctionnaires. La preuve : cette agente avait été licenciée », plaide-t-il. Le syndicaliste peine pourtant à trouver d’autres exemples pour démontrer qu’il s’agissait ici d’autre chose que d’un cas isolé où la règle de l’emploi à vie a dysfonctionné. « Elle n’avait pas besoin de ce décret pour contester son licenciement, qui était de toute façon illégal », tranche Didier Birig, de FO.

Soumis à la signature des organisations syndicales

Erreur ou non, il est désormais trop tard pour s’en mordre les doigts. Reste qu’il est encore trop tôt pour parler, comme FO, d’un « décret organisant les licenciements de fonctionnaires hospitaliers ». Tout dépendra des modalités précises du texte, qui permettront de savoir si l’Etat souhaite « jouer le jeu » en offrant de véritables reclassements aux fonctionnaires dont les postes sont supprimés, ou proposer des offres de poste irréalistes ou géographiquement éloignées pour les pousser au licenciement.

Le décret devra passer avant sa signature sur la table du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, où siègent des représentants des différentes organisations syndicales. Sollicité, le ministère de la santé n’avait pas donné suite à nos demandes à l’heure de publier ces lignes.