L’hôpital

Infirmier.com - Pointe-à Pitre : après l’incendie de l’hôpital, les braises sociales sont vives

Mars 2018, par Info santé sécu social

02.03.18

Trois mois après l’incendie qui a lourdement touché son plateau technique, le CHU guadeloupéen continue de panser ses plaies. Un grand "nettoyage de printemps" doit démarrer début avril sur l’ensemble de la Tour sud tout comme, entre autres, une opération de réhabilitation de la maternité à compter de septembre prochain. En attendant, l’organisation générale des soins demeure encore compliquée, les personnels doivent faire avec des conditions de travail difficiles, et une certaine défiance à l’égard de la direction est perceptible. Enquête.

Incendie à l’hôpital de Pointe-à-Pitre Guadeloupe
Compte tenu des résidus de suie toujours présents dans les gaines d’aération de certains secteurs, l’établissement va surtout ce printemps procéder à un « grand nettoyage »

Le 29 novembre dernier un incendie, circonscrit à l’étage technique de l’établissement, a toutefois fortement impacté l’ensemble du plateau technique du CHU de Pointe-à-Pitre, soit les blocs opératoires, les urgences, le laboratoire d’imagerie ainsi que la maternité.

L’établissement avait alors fait l’objet d’une évacuation des bâtiments concernés, dont près de 450 patients, entraînant par la même un éclatement des filières de soins, des services comme des équipes soignantes.

Éclatement des services, des filières, des équipes
Les blocs opératoires ont ainsi été dispatchés sur trois sites (CH de Basse-Terre + 2 cliniques), le pôle mère/enfant éclaté (la maternité est depuis centralisée à la Polyclinique de la Guadeloupe aux Abîmes) et les urgences délocalisées au sein des consultations externes du CHU, un local non approprié selon Gaby Clavier, représentant du personnel. Le site est néanmoins provisoire puisque fin mars, tout le déchocage va pouvoir être ramené sur place indique de son côté Pierre Thépot, le directeur général du CHU. Quant à l’unité d’hospitalisation de courte durée, celle-ci est pour l’heure déplacée sous une tente.

Reste qu’aujourd’hui, l’organisation générale des soins demeure encore compliquée.

« Une course contre la montre »
Depuis près d’un mois, certains services, en l’occurrence ceux de médecine, le laboratoire d’imagerie ainsi que quelques lits en post-chirurgie, ont cependant progressivement réinvesti les lieux. Une décision mal comprise par le Collectif de défense du CHU de Guadeloupe compte tenu de l’opposition du CHSCT, de la préfecture et des recommandations du service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Certes l’avis du préfet [était] défavorable sauf à mettre en place des mesures compensatrices (problèmes de portes coupe-feu), explique le directeur général, ce qui a été fait, levant ainsi les réserves formulées. Et d’ajouter encore : L’urgence est de remettre en service le bloc opératoire. Pour ce faire, trois livraisons successives de blocs opératoires sont déjà calées, en l’occurrence fin mars, fin mai et courant octobre, sachant par ailleurs que des blocs mobiles devraient en outre être opérationnels après le 23 mars et ce jusqu’à fin octobre. Quant à la maternité, une opération de réhabilitation, avec une remise aux normes, est lancée. Le démarrage des travaux est prévu pour septembre prochain, pour une durée de six mois environ, poursuit ce dernier.

Reste qu’aujourd’hui, l’organisation générale des soins demeure encore compliquée. Le CHU guadeloupéen fonctionne pour l’heure à 90 % de ses capacités, dont 80 % in situ, observe-t-il encore, sachant que plus d’une centaine de lits ne sont pas encore réactivés (près de 80 sur la Tour sud + maternité).

De plus, certaines filières de soins sont toujours "éclatées", comme le pôle mère/enfant et la chirurgie, et le CHU guadeloupéen doit aussi faire face à des difficultés d’approvisionnement (en médicaments, dispositifs médicaux). C’est le cas au CHU comme dans d’autres établissements, tempère toutefois Pierre Thépot, précisant qu’ il y a surtout eu beaucoup de matériel médical endommagé et que c’est donc une course contre la montre pour équiper les blocs opératoires.

À ce jour, on dénombre ainsi plus de 400 arrêts de travail. « 30 % des personnels de soins sont en arrêt maladie » précise le représentant du personnel.

Nettoyage industriel sur site occupé
Compte tenu des résidus de suie toujours présents dans les gaines d’aération de certains secteurs, l’établissement va surtout ce printemps procéder à un grand nettoyage même si les analyses effectuées s’avèrent très rassurantes note le directeur général. Il devrait a priori être réalisé étage par étage, évitant de fait des délocalisations lointaines. Pour le collectif, ce nettoyage des locaux aurait dû être fait auparavant tout comme la décontamination de tous les services et de tous les équipements et principalement du circuit aéraulique.

La qualité de l’air est en effet pointée du doigt et génère beaucoup d’inquiétudes chez les personnels. Depuis leur réintégration sur site, de nombreux agents souffrent effectivement de maux divers tels céphalées, vomissements, vertiges, éruptions cutanées... L’air respiré (avec des relents de vapeurs toxiques) semble ainsi en accusation, surtout le circuit aéraulique qui serait, selon le Collectif, enrobé d’amiante et pollué par des dépôts non identifiés.

La santé des personnels impactée
À ce jour, on dénombre ainsi plus de 400 arrêts de travail. 30 % des personnels de soins sont en arrêt maladie précise le représentant du personnel. Environ 70 personnes auraient été incommodées par les résidus de suie mais cela est en régression aujourd’hui note de son côté Pierre Thépot, les autres arrêts étant davantage à mettre en lien avec la pénibilité d’aller travailler sur d’autres sites parfois éloignés ou avec l’absentéisme latent dans les hôpitaux.

Reste que pour le Dr Mona Hedreville, cardiologue et membre du collectif , on constate une hausse des maladies respiratoires chez les personnels (asthme…). Du monoxyde de carbone a été retrouvé dans le sang d’un chef de service aujourd’hui en arrêt de travail ! On suppute en outre une hausse de la mortalité chez les patients même si nous n’avons pas de statistiques. À ce propos, l’ARS, en lien avec la Direction générale de la santé (DGS) et Santé Publique France, a annoncé le lancement d’un programme de diagnostic et de prise en charge de ces syndromes collectifs inexpliqués.

D’après le Collectif, médecins et personnel non médical seraient aussi épuisés voire en burn-out au point de démissionner. Quant aux internes, d’après la cardiologue, ils ne renouvelleront pas leurs stages en mai prochain.

L’impact de l’incendie sur le bâti est également un point qui demande aussi à être éclairci.

Des causes du sinistre pour l’heure encore inconnues
Si la qualité de l’air respiré sur le site interroge aujourd’hui, il en est de même s’agissant des causes exactes du sinistre, ainsi que sur les raisons de la propagation des fumées toxiques dans tout l’établissement. Depuis des années nous dénonçons le manque de fiabilité des systèmes électrique/incendie et des ascenseurs, déjà défaillants avant l’incendie, explique Gaby Clavier. À ce propos, le Collectif de défense du CHU de Guadeloupe considère que si l’ARS avait respecté ses obligations et ses engagements, un incendie circonscrit à l’étage technique du CHU n’aurait certainement pas entraîné l’évacuation de tout le CHU. Pierre Thépot n’a pour l’heure aucun commentaire à faire sur les causes de ce sinistre – évalué à plusieurs dizaines de millions d’euros–, l’enquête judiciaire comme les expertises des assureurs étant en cours.

L’impact de l’incendie sur le bâti est également un point qui demande aussi à être éclairci. Qu’en est-il donc de l’état de la structure qui date de 1976 et qui ne serait plus aux normes parasismiques, mais aussi des murs ? L’urgence de la construction d’un nouveau CHU est ainsi une priorité. Financée par l’État à hauteur de 580 millions d’euros (travaux + équipement), l’opération est d’ailleurs sur les rails. Le démarrage des travaux est prévu au dernier trimestre 2018 pour une durée de quatre ans environ précise le directeur général.

De la défiance à l’égard de la direction du CHU
Pour l’heure, trois mois après l’incendie, le CHU guadeloupéen n’est plus en cellule de crise, laquelle est désormais transformée en une cellule de coordination (avec l’ARS, les chefs de pôle et un représentant des usagers) qui se réunit deux fois par semaine. Il reste cependant confronté à une perte de confiance de certains personnels. La situation est très grave. Certains personnels de laboratoire font d’ailleurs valoir leur droit de retrait depuis près d’un mois. […] Nous n’avons pas aujourd’hui les moyens de travailler avec cette crise sanitaire, déplore le Dr Hedreville. Mardi 27 février, le Collectif de défense du CHU a appelé les personnels de santé et la population à une journée d’information et de mobilisation afin de défendre le CHU et la santé publique de Guadeloupe.