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Médiapart - Logement : Macron dans les pas de Thatcher

Avril 2018, par Info santé sécu social

4 AVRIL 2018 PAR ROMARIC GODIN

Le gouvernement veut accélérer les ventes aux occupants de logements sociaux. Une politique portée par Margaret Thatcher et David Cameron outre-Manche. Avec des conséquences dramatiques.

Une des mesures du projet de loi Elan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) touchant le logement social rappelle étrangement un précédent historique. Le gouvernement d’Édouard Philippe entend favoriser la vente des logements sociaux, en passant de 8 000 par an actuellement à 20 000 (le chiffre de 40 000 avait même été évoqué). On multiplierait donc par 2,5 le rythme des ventes, avec pour ambition de renflouer en partie les caisses des bailleurs sociaux, vidées par la baisse des aides personnalisées au logement (APL). Or, lors de l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni en 1979, un des points les plus mis en avant de son programme était le « right to buy », le droit pour un locataire de racheter son logement social.

En 1979, le Royaume-Uni est, avec la France, un des pays phares de la politique de logement social. Née après la Première Guerre mondiale à l’initiative du premier ministre libéral Lloyd George, la politique sociale du logement britannique s’est développée après le second conflit mondial, sous l’impulsion du gouvernement travailliste de Clement Attlee. On construit alors près de 200 000 logements sociaux par an dans le pays et leur développement fait rapidement l’objet d’un consensus puisque cette politique est poursuivie par les conservateurs, revenus au pouvoir en 1951. Progressivement, le Royaume-Uni dispose d’un stock important de logements sociaux, gérés principalement par les municipalités. À la fin des années 1970, ils logent un tiers de l’ensemble des ménages britanniques.

Mais dans les années 1970, la crise frappe le Royaume-Uni et les gouvernements commencent à freiner les constructions et à favoriser les ventes aux occupants. Certains politiciens travaillistes ne s’opposent pas à cette tendance. En 1977, le gouvernement travailliste de James Callaghan reconnaît même que « la possession de sa propre maison est un désir fondamental et naturel ». Profitant de ce changement culturel majeur, Margaret Thatcher défend une politique plus agressive sur ce dossier. Elle ne voit dans ces ventes que des avantages : le développement de la propriété individuelle, un des fondements de sa politique, mais aussi la réduction des dépenses publiques.

Une première loi est votée en 1980. Elle offre aux occupants des réductions de 33 à 50 % par rapport aux prix du marché. Margaret Thatcher fait elle-même la promotion de la mesure à la télévision et met en scène sa visite à la famille Parker, d’Ealing, dans l’ouest londonien, la première à profiter de la mesure. Un temps bloquées par les municipalités travaillistes, les ventes explosent dans les années 1980, passant pour la seule Angleterre de 7 000 en 1970 à 174 700 en 1982. Ce niveau sera maintenu jusqu’au début des années 1980. Les ventes sont particulièrement soutenues dans la région de Londres.

À la différence de la France d’aujourd’hui, le Royaume-Uni de l’époque ne manque pas de logements sociaux, ce qui a pu soutenir la justification économique de cette politique. Mais les conséquences seront dévastatrices pour le pays. Rapidement, le produit des ventes ne permet plus de compenser les pertes des loyers pour les bailleurs sociaux, qui subissent parallèlement la pression du gouvernement. En dix ans, les loyers sociaux pèsent 55 % plus lourd dans le budget des occupants. Dans une étude de 2008, deux économistes, Colin Jones et Alan Murie, soulignent que « sans la politique de vente aux occupants, les bailleurs sociaux auraient dégagé des excédents et la hausse des loyers réels n’aurait pas été nécessaire ». Le phénomène est encore aggravé par la loi de 1988, suite logique de celle de 1980, qui augmente la part du secteur privé dans le logement social et dirige les aides publiques vers la construction privée.

Progressivement, les bailleurs sociaux réduisent donc les constructions et les dépenses d’entretien. Le nombre de nouveaux logements recule de 75 % sur la seule année 1990, avec seulement 23 000 logements neufs construits, soit trois fois moins qu’au début de la décennie précédente. La qualité des habitations se dégrade et, avec la hausse de la population dans les années 1990 et 2000, le manque de logements commence à se faire sentir cruellement.

Parallèlement, les acheteurs ont de plus en plus de mal à faire face à leurs remboursements et beaucoup finissent par vendre leur logement, acheté à vil prix. Or cette demande supplémentaire n’a pas couvert l’explosion de la demande, liée à la fois aux investisseurs étrangers, au secteur financier et à la croissance démographique. Les prix s’envolent et cette inflation rend les plus-values des bénéficiaires du « right to buy » un peu illusoires. Il leur faut de nouveau se loger, cette fois au prix du marché… Pour les autres, le taux d’effort devient considérable, notamment pour les plus jeunes. Ceux qui ont entre 18 et 36 ans dépensent aujourd’hui un tiers de leurs revenus hors impôts pour se loger, contre 10 % dans les années 1960. Prix en hausse, logements abordables en baisse, demande croissante : toutes les conditions de la crise actuelle du logement sont réunies dès le début des années 1990. Et la contribution de la politique de Margaret Thatcher n’y est pas pour rien.

Étrangement, le consensus politique ne remet pas en cause les mesures prises par le premier gouvernement Thatcher. Les administrations travaillistes de Tony Blair et Gordon Brown ne modifient pas sensiblement la politique du logement. Les nouvelles constructions de logements sociaux remontent légèrement dans les années 1990, mais demeurent depuis sous les 50 000 par an. En 2010, les conservateurs, de retour au pouvoir avec David Cameron, relancent les ventes aux occupants de logements sociaux en augmentant les décotes sur les prix de vente, puis en les étendant aux bailleurs sociaux associatifs. Ils décident également de baisser les allocations logement, espérant ainsi réduire les loyers, dans un prélude à l’une des obsessions du gouvernement Philippe. Rien de plus logique : le modèle économique du pays s’est fondé sur les investissements étrangers dans la finance et l’immobilier. La hausse des prix des logements est devenue le moteur d’une croissance de plus en plus mal répartie.

Cette politique est à nouveau un échec patent. Les bailleurs sociaux réduisent encore leur production, tandis que la baisse des allocations ne réduit en rien les loyers, mais augmente le nombre des sans-abri. Les personnes ayant recours aux hébergements d’urgence ont progressé de 60 % entre 2011 et 2017. Le logement abordable manque cruellement (à Londres, un dixième des ménages seulement peuvent espérer acheter un domicile) et la qualité du logement social se dégrade. En juin 2017, le drame de la tour Grenfell, où un incendie cause la mort de 71 personnes, met au jour cette réalité. Le bailleur social de la tour avait en effet, pour des raisons financières, choisi des standards de sécurité incendie plus faibles. Politiquement, la crise du logement commence à coûter cher aux conservateurs et n’est pas pour rien dans la poussée de Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste.
L’actuelle première ministre Theresa May a donc tenté pour la première fois de renverser la vapeur en promettant 2 milliards de livres pour financer de nouvelles constructions. Une prise de conscience bien faible, puisque cela correspond seulement à 25 000 logements neufs. On est donc loin du compte. En attendant, le gouvernement travailliste du pays de Galles vient d’interdire la vente de logements sociaux aux occupants. À rebours des intentions d’un gouvernement français qui semble peu intéressé par les désastreuses conséquences de cette politique.