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Lequotidiendumedecin.fr : Jérôme Salomon (DGS) : « Passer du tout curatif au préventif, d’une approche très médicale à sociétale... »

Mai 2018, par infosecusanté

Jérôme Salomon (DGS) : « Passer du tout curatif au préventif, d’une approche très médicale à sociétale... »

Coline Garré

| 02.05.2018


Le spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, le Pr Jérôme Salomon, est depuis début janvier 2018 le directeur général de la santé. Conseiller en charge de la sécurité sanitaire sous Marisol Touraine de 2013 à 2015, passé chef de projet d’un groupe de travail sur la maladie de Lyme en mars 2017, il fait du virage préventif sa priorité numéro 1, sans pour autant oublier ses anciens dossiers. Entretien.

« LE QUOTIDIEN » : Quel est votre rôle et quelles sont vos priorités dans la stratégie nationale de santé (SNS) ?

PR JÉRÔME SALOMON : La Direction générale de la santé pilote le premier axe de la SNS 2018-2022, dédié à la prévention. Le plan national de santé publique (PNSP), « priorité prévention », doit permettre de transformer le système de soins français en un système de santé, de passer du tout curatif au préventif, d’une approche très médicale à sociétale, de promouvoir une démarche populationnelle de la conception à la fin de vie, et d’agir sur tous les déterminants de santé, dans tous les milieux, à tous les âges.

Nous participons aussi aux enjeux de l’accès aux soins, à la réduction des inégalités sociales et territoriales, et des inégalités d’accès à l’information. Il s’agit de tirer profit des innovations technologiques qui, utilisées à bon escient, sont des leviers de lutte contre les inégalités.

La Plan priorité prévention, présenté par le Premier ministre le 26 mars, est-il une révolution ?

Oui, c’est un signal très fort qui met la priorité sur le préventif avec 450 millions sur 5 ans. C’est surtout une bascule conceptuelle. Le service sanitaire va changer les mentalités des futurs professionnels de santé, en leur faisant comprendre que la prévention est plus importante que le soin et que l’éducation par les pairs fonctionne. Les étudiants formés à la promotion de la santé iront dans des zones défavorisées convaincre les jeunes d’arrêter de fumer. Ces 60 demi-journées permettront de nouer un lien de confiance. Les enfants sans repères santé pourront leur poser des questions sur tous les sujets, cannabis, contraception, etc. Plus de 50 % des jeunes ne mettent pas de préservatif entre 15 et 20 ans ; en matière de connaissances sur le VIH, on en est revenu aux années 1980 ! Quant aux étudiants, cela changera leur façon de travailler.

Les derniers chiffres de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) s’avèrent quelque peu décevants sur la prévention. Comment changer les comportements des médecins en exercice ?

On observe déjà un changement générationnel : les médecins travaillent beaucoup plus collégialement.

La transformation du système de santé, annoncée par le Premier ministre, sera l’occasion d’ouvrir le chantier de la formation et celui de la tarification, en particulier de la prévention. Une consultation complexe de promotion de la santé doit être tarifée comme une consultation complexe, pour une thérapeutique lourde. Il faut adapter les rémunérations des professionnels.

Comment faire de la prévention à l’école, alors que la démographie des médecins scolaires est en chute libre ?

Le médecin scolaire n’est pas le pivot de « l’école promotrice de la santé », telle que défendue par Jean-Michel Blanquer. Mais il vient en appui, avec l’éducation nationale, pour construire des démarches organisées qui impliquent associations, parents, professeurs volontaires, ambassadeurs en santé, services sanitaires… Des conventions seront tissées entre les acteurs sur du temps long. L’environnement des enfants changera, ils entendront parler de santé tout le temps et seront à même de faire changer les comportements à la maison.

D’aucuns ont estimé que le plan « Priorité prévention » ciblait encore trop les comportements individuels, au détriment de l’environnement. Autre critique : l’absence de mesures pour lutter contre l’alcool. Que répondez-vous ?

Nous ciblons les principaux déterminants de santé : le tabac, l’usage de substances psychoactives. Il y a une réflexion internationale sur les écrans, avec la règle des 3 (pas de télé avant 3 ans), 6 (écrans), 9 (portable), 12 (réseaux sociaux). Il n’y a pas eu de grand plan alcool dans le PNSP car les mesures, portées par la MILDECA, seront annoncées en juin.

Le PNSP évoluera : c’est un métaplan, qui va s’enrichir d’un plan national santé environnement, du programme national nutrition santé, de la réduction des risques, du 2e programme national de réduction du tabagisme, d’une réflexion sur la santé au travail. Dans un an, il sera réévalué en interministériel, les indicateurs pourront évoluer.

Une épidémie de rougeole sévit en Europe et en France. Le Haut conseil de la santé publique suggère l’introduction d’une obligation temporaire pour la vaccination des professionnels de santé. Allez-vous trancher dans ce sens ?

Nous en appelons à la responsabilité des soignants, individuelle et collective. C’est un enjeu d’exemplarité et de crédibilité. Cela sera bientôt un problème déontologique. Nous avons diffusé l’avis du HCSP sur notre site et sur nos services DGS-Urgent, et MARS (message d’alerte rapide sanitaire), pour inciter les professionnels de santé et de la petite enfance à vérifier et mettre à jour leur statut.

Cet hiver, la question reviendra avec la vaccination antigrippale…

Nous y réfléchissons. La difficulté, avec la grippe, est qu’il faut faire beaucoup de pédagogie pour expliquer que les stratégies sont révisées chaque année sur la base d’un pari vaccinal, que l’efficacité vaccinale reste partiellement satisfaisante. En tant qu’ancien président de CLIN, j’ai passé des heures à faire ce travail de pédagogie. Dans mes nouvelles fonctions, je suis frappé par le fait que les gens, malgré l’abondance d’informations, manquent de données fiables.

La réponse à la grippe, c’est le vaccin ; ce sont aussi des mesures barrières encore mal utilisées en France : le lavage des mains, le port de masque, l’usage d’antigrippaux.

Plus largement, comment restaurer la confiance des Français dans la vaccination ?

L’extension de l’obligation vaccinale pédiatrique est un signal de confiance : cela signifie que les pouvoirs publics ont confiance dans la vaccination.

Il faut ensuite de la pédagogie, car nous allons être confrontés aux effets indésirables de la vaccination (qui existent comme pour tout médicament) avant d’en tirer les bénéfices. Il faudra expliquer pourquoi, et communiquer, grâce au site vaccination-info-service. Une campagne via des blogueurs a eu du succès car ce n’était pas nous. On entend beaucoup les lanceurs d’alerte, et c’est très bien, mais nous manquons d’experts indépendants, qui pourraient prendre le temps d’informer, à froid.

Je suis enfin persuadé que les jeunes du service sanitaire sauront faire changer les mentalités.

Comment mieux dépister les cancers ?

Après les dépistages organisés du sein et du cancer colorectal, nous mettons en place un dépistage organisé du cancer du col de l’utérus, qui ciblera, via la CNAM, les femmes dans la tranche d’âge à risque qui n’ont pas fait de frottis ces trois dernières années.

La consultation de prévention des cancers du sein et du col de l’utérus à 25 ans, prise en charge à 100 % par l’assurance-maladie, a été adoptée lors du PLFSS pour 2018. Nous attendons les recommandations de la Haute autorité de santé pour sa mise en œuvre.

Sans oublier les informations diffusées dans le cadre de la consultation de santé sexuelle entre 15 et 18 ans ; on pourra notamment évoquer la question de la vaccination anti-HPV, chez les filles, et potentiellement chez les garçons.

Pour le cancer colorectal (taux de participation de 33,5 %, N.D.L.R.), le dispositif fonctionne, mais les gens ne vont pas chercher leur test, faute d’une culture de la prévention. Nous allons encore simplifier le processus.

En matière d’alcool et de nutrition, quelle est la place des industriels dans la politique d prévention ?

Dans l’élaboration de la politique, aucune. Mais ils ont leur place dans la mobilisation sur le nutriscore : 55 entreprises y ont adhéré à ce jour.

On change d’ère. Avant, la Santé ne recevait personne. Depuis Davos, où le Président de la République a plaidé en faveur de leur responsabilité sociale, les industriels sont de plus en plus intéressés par des actions citoyennes.

S’ils veulent promouvoir le bien manger ou dire aux femmes enceintes de ne pas boire, pourquoi pas. Cela ne me choque pas, tant que cela ne devient pas une promotion du tabac et de l’alcool. On reste attentif au respect de la loi Évin.

Le protocole national de diagnostic et de soins pour la maladie de Lyme devait être publié ce mois d’avril. Où en est-on ?

On a travaillé dessus depuis juillet 2017 au sein de la HAS, en mettant tout le monde autour de la table. Toute la difficulté est la rédaction d’un texte et la recherche du consensus. Certains trouveront qu’on a été trop loin, trop à l’écoute des associations, d’autres, pas assez.

Mais c’est un vrai progrès : on répond à la demande des patients, face à l’errance, à la souffrance, et au déni. On dit qu’il faut leur proposer des solutions. La publication du protocole est imminente ; mais du ressort de la HAS, autorité indépendante, sur laquelle on ne peut faire pression.

Comment lutter contre les maladies vectorielles ?

Nous savons que dans les prochaines années, il y aura des épidémies d’arboviroses sur tout le territoire métropolitain ; c’est l’une des conséquences du changement climatique auquel nous nous préparons.

La France subit actuellement une épidémie de dengue à la Réunion, et les services de lutte antivectorielle sont pleinement mobilisés. Sur le territoire métropolitain, la surveillance du moustique tigre, présent dans 42 départements, commence ce 1er mai. Il faut rappeler les gestes simples de prévention : éradiquer les gîtes larvaires, lutter contre les eaux stagnantes et dormir sous des moustiquaires.

Quel sera votre rôle dans la révision de la loi de bioéthique ?

Nous attendons les conclusions des États généraux de la bioéthique, le président de la République décidera le choix du périmètre, puis nous nous mettrons en ordre de bataille pour rédiger le projet de loi, qui sera un chantier interministériel.

Nous proposerons des pistes d’évolution, notamment en termes de recherche. Par exemple : le dépistage néonatal va évoluer, les experts et la HAS sont déjà saisis.

Il faudra encore et toujours faire œuvre de pédagogie : certaines mesures (sur les cellules souches, les chimères, la thérapie génique) sont techniques. Il nous faudra expliquer à tous ce qu’on est en train de faire.