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Le Monde.fr : Un plan pauvreté pour rééquilibrer le quinquennat de Macron

Septembre 2018, par infosecusanté

Un plan pauvreté pour rééquilibrer le quinquennat de Macron

LE MONDE

13.09.2018

Par Virginie Malingre et Isabelle Rey-Lefebvre

Emmanuel Macron connaît l’importance des symboles. Puisque la lutte contre la pauvreté est annoncée comme une priorité, le président de la République a décidé de présenter lui-même, jeudi 13 septembre, les mesures que son gouvernement a arrêtées. Puisqu’elles doivent marquer une rupture dans la manière dont le pouvoir s’attaque à ce fléau, il a choisi de le faire au Musée de l’homme, ce lieu consacré à « l’évolution des sociétés ».

Au passage, le chef de l’Etat cherche une nouvelle fois à se démarquer de François Hollande, qui, en décembre 2012, avait confié à son premier ministre, Jean-Marc Ayrault, la tâche de détailler ses ambitions en la matière.

Comme l’a souvent répété Emmanuel Macron, il s’agit d’« enrayer les inégalités de destin qui se perpétuent de génération en génération », de permettre à ceux qui y sont « assignés » de « sortir de la pauvreté » et, ce faisant, de « s’émanciper » des déterminants sociaux. L’Elysée a donc décidé de consacrer 8 milliards d’euros, entre redéploiements et crédits nouveaux, sur quatre ans, à la lutte contre la pauvreté.

Les 4 axes du « plan pauvreté » : Petite enfance, emploi, aides sociales et logement

Un programme ambitieux, fait d’annonces nouvelles, mais aussi d’autres déjà actées, qui s’articule autour de trois axes : l’action pour la petite enfance, où se mettent en place de nombreux blocages qui empêchent quelqu’un né dans une famille pauvre de sortir de la précarité, l’accompagnement au retour à l’emploi et la simplification du système de protection sociale. Il prévoit, entre autres, l’obligation de formation jusqu’à 18 ans, des aides à la garde d’enfant pour les publics précaires, l’accompagnement renforcé des chômeurs de longue durée, ou encore un meilleur accès aux soins pour les populations à bas revenus.

« Notre système social, avec beaucoup de prestations monétaires, a permis de stabiliser la pauvreté même en cas de crise. Pas de renverser le destin des jeunes les plus touchés et de rompre avec la reproduction de la pauvreté, explique Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Les plans successifs ne parviennent pas à éradiquer la précarité. Il faut sortir de cette impuissance publique. »

Dans cette logique, le gouvernement préfère ne pas revaloriser le RSA et ne pas l’étendre à de nouvelles catégories, notamment les jeunes de 18-25 ans, comme le réclamaient la plupart des associations. En revanche, il affecte 200 millions d’euros à un fonds pauvreté dans lequel les collectivités locales pourront puiser pour aider les allocataires à revenir vers l’emploi. En contrepartie, elles devront prendre des engagements précis.

« Une inflexion plus sociale »

Au plus bas dans les sondages après un été calamiteux et à l’approche des élections européennes de mai 2019, Emmanuel Macron veut se départir de cette image de « président des riches » qui brouille ce « en même temps » auquel il doit en partie son élection. Après une première année où ses efforts ont surtout porté sur la libéralisation de l’économie – « il fallait un choc de confiance économique », explique un conseiller du président –, l’exécutif veut désormais mieux se faire entendre sur le volet plus social de son action.

« Il n’y a pas de virage social, explique-t-on à l’Elysée. Dès le début du quinquennat, nous avons pris des mesures destinées à améliorer la vie des gens, comme le dédoublement des classes de CP et CE1 ou les emplois francs. »

Certes, mais les Français ont davantage retenu les ordonnances travail, la baisse de 5 euros des APL ou la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Dans une note adressée à l’Elysée le 4 juin, les économistes Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion et Philippe Martin, qui ont inspiré le programme économique d’Emmanuel Macron, regrettaient « l’image d’un pouvoir indifférent à la question sociale » et prônaient « un rééquilibrage » à gauche. Et, ces derniers mois, plusieurs voix au sein de la majorité plaidaient pour un affichage plus social.

« Plus que l’on espérait au début »

D’autant que le plan pauvreté, lancé en grande pompe depuis l’Elysée le 17 octobre 2017, avait été retardé à deux reprises, laissant planer une inquiétude sur son périmètre. Une première fois en avril, « parce qu’Emmanuel Macron le voulait plus ambitieux. De fait, aux mesures destinées à lutter contre la pauvreté des enfants, il a souhaité que l’on ajoute une deuxième jambe, sur l’insertion et l’accompagnement vers l’emploi », explique un spécialiste du sujet, qui a suivi le dossier de près. En juillet, l’Elysée avait décidé en pleine Coupe du monde de reporter ses annonces à la rentrée, jugeant que le moment serait politiquement plus opportun.

« On a obtenu plus que ce que l’on espérait au début du processus », commente l’un des protagonistes du monde social. « Ce plan est un véritable effort, et marque une inflexion plus sociale de la politique actuelle, même si les jeunes de 18-25 ans sont un peu les oubliés de cette stratégie », se félicite François Soulage, président du collectif Alerte, qui réunit 34 associations de lutte contre l’exclusion. Olivier Noblecourt s’est « battu comme un lion » pour obtenir des arbitrages favorables dans un contexte budgétaire qui ne l’est pas, ajoute Véronique Fayet, présidente du Secours catholique.

Le plan pauvreté est donc la première étape d’une série de chantiers (hôpital, retraites, dépendance, assurance-chômage et santé au travail) qui doivent permettre d’inventer « l’Etat-providence du XXIe siècle », selon les mots du président. Mais aussi de reconquérir une opinion que l’action du gouvernement a pu jusqu’ici laisser perplexe.

« Refondation sociale »

C’est également l’occasion pour Emmanuel Macron de mieux faire comprendre aux Français son projet d’« émancipation » de la société.

« Selon l’endroit où vous êtes né, la famille dans laquelle vous avez grandi, l’école que vous avez fréquentée, votre sort est le plus souvent scellé », expliquait le président devant le Congrès, le 9 juillet. Le cœur même d’une politique sociale n’est pas d’aider les gens à vivre mieux la condition dans laquelle ils sont nés et destinés à rester, mais d’en sortir. »

« La notion d’émancipation ne parle pas aux gens, admet l’un de ses proches. C’est quasiment un concept philosophique. Et on ne va pas faire de l’action présidentielle un traité de philosophie. » Le président a lui même contribué à brouiller son message, dans la vidéo où on le voit dénoncer « le pognon de dingue » que la France consacre aux minima sociaux. Publiée sur Twitter par son équipe de communication dans la nuit du 12 juin, elle a, selon les termes de ce conseiller, « massacré » son discours du lendemain devant le congrès de la Mutualité, dans lequel il expliquait « la refondation sociale dont nous avons besoin » et annonçait le « reste à charge zéro » d’ici à 2021 pour certaines lunettes, prothèses dentaires et audioprothèses. Ce jeudi, le président espère sans doute faire oublier ce qu’un autre de ses fidèles qualifie d’« immense gâchis ».