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Le Quotidien du Médecin - Plan santé : « C’est la bonne réforme, je n’ai pas d’inquiétude », affirme Agnès Buzyn Cyrille

Septembre 2018, par Info santé sécu social

Emmanuel Macron a dévoilé ce mardi matin le plan de transformation du système de santé, à la ville comme à l’hôpital. Pour « le Quotidien », la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, commente l’essentiel des 54 mesures annoncées par le président de la République.

Le QUOTIDIEN DU MEDECIN : Votre plan repose sur 54 mesures, mais n’annonce pas de grande loi de santé. Pourquoi ?

AGNES BUZYN : Une partie des mesures figurera dans la loi. Mais mon sujet, c’est l’urgence de la situation ! Faire une grande loi, c’aurait été prendre le risque de devoir attendre au moins un an avec le calendrier législatif. Or, cette réforme est indispensable au vu du mal-être des soignants et de la population qui perd confiance dans le système. Mon objectif n’est pas de laisser mon nom à une loi, mais que le système se transforme vite.

Vous annoncez un ONDAM à +2,5 %. Était-ce indispensable pour rassurer le secteur ?

C’est une réforme d’ampleur, nous allons réclamer beaucoup d’efforts aux professionnels. On va demander aux communautés de professionnels libéraux de se structurer en répondant à un cahier des charges précis. Les hôpitaux de proximité vont également se réorganiser. Mon objectif n’est pas la coercition, et on ne peut pas réformer sans financer l’effort de transformation. Avec un ONDAM à 2,5 %, on disposera de 400 millions d’euros supplémentaires cette année et au total, ce seront plus de 3,4 milliards d’euros qui seront consacrés, d’ici 2022, à Ma Santé 2022, dont près d’1 milliard d’euro en faveur de l’investissement hospitalier et 1,6 milliards d’euros pour la structuration des soins dans les territoires, en ville et à l’hôpital

Selon votre plan, l’exercice isolé devra être l’exception à la fin du quinquennat. Pensez-vous que les médecins libéraux soient prêts à cette révolution ?

Je conçois que les médecins en toute fin d’exercice n’aient pas envie de s’inscrire dans cette réforme du regroupement. On ne sera pas coercitifs à leur égard. La grande majorité des médecins libéraux soutient cette logique de collectif territorial. Les jeunes sont demandeurs, ils ont intégré les missions de santé publique. Ce mouvement est inéluctable. Cela n’oblige pas forcément à un regroupement physique dans un lieu unique et cela peut consister à s’intégrer à un réseau, à un parcours de soins, à une meilleure répartition des tâches.

Bref, je ne demande pas à tout le monde d’aller travailler en maison de santé pluri-professionnelle ou en centre de santé ! Mais nous donnerons une incitation financière forte aux communautés professionnelles territoriales de santé pour faire mieux en termes de parcours de soins dans chaque bassin de population.

Précisément, vous confiez à ces communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) six missions prioritaires dont la réponse aux soins non programmés. N’est-ce pas un pari risqué dans la mesure où ces CPTS sont embryonnaires ?

Les CPTS sont balbutiantes car elles n’ont pas été promues et qu’elles n’avaient pas de cahier des charges ! On va définir leurs missions – garantie d’accès au médecin traitant, accès à des consultations de spécialistes dans les délais, réponse aux soins non programmés, maintien à domicile des personnes fragiles, etc. – et surtout on va financer les CPTS de façon pérenne, dans un cadre conventionnel. Aujourd’hui, les professionnels ne sont pas incités à s’inscrire dans une responsabilité territoriale. Mais ce sera donnant-donnant. Si les professionnels ne s’engagent pas, ou s’ils ne tiennent pas le cahier des charges, ils ne seront pas rémunérés davantage. C’était le défaut des CPTS jusqu’à présent, il n’y avait aucun levier ou moyen d’incitation.

Une des mesures fortes en ville, c’est la création de postes d’assistants médicaux mais vous les réservez aux cabinets de groupe…

Cela est effectivement une condition importante, car nous continuons de promouvoir l’exercice regroupé. Nous avons prévu le financement de près 4 000 postes pour 2022. L’objectif est de rendre du temps médical à des collectifs de médecins. Selon nos calculs, cela pourrait dégager 15 % de temps médical et 2 000 médecins équivalents temps plein. L’objectif est d’être opérationnel dès 2019 pour les premiers recrutements. En contrepartie, la communauté de médecins s’engagera à prendre davantage de patients.

Avec 21 millions de passages, comment allez-vous soulager les urgences ?

L’engorgement des urgences est le symptôme de plusieurs dysfonctionnements. En amont avec la difficulté d’accéder à des soins non programmés : les CPTS devront y répondre. Le « bed management » (gestion de lits, NDLR) doit évoluer car il ne prend pas assez en compte les autres établissements des GHT. Nous misons aussi sur la télémédecine avec les EHPAD. Et nous allons créer 500 à 600 équipes mobiles gériatriques, une par hôpital de proximité, pour prévenir l’hospitalisation en urgence des personnes âgées.

Vous voulez « labelliser » 500 à 600 hôpitaux de proximité. Est-ce une restructuration qui ne dit pas son nom ?

Nous n’allons pas créer ces hôpitaux : ce sont des établissements existants que nous allons labelliser et réorganiser. Il s’agit d’hôpitaux locaux qui ont parfois des activités trop diversifiées, qu’ils n’arrivent pas à assumer. L’idée, c’est de réinvestir dans ces hôpitaux locaux pour les aider à se concentrer sur quelques activités : la médecine polyvalente, gériatrique, un plateau technique (biologie et radiologie), des consultations avancées de spécialités, des équipes mobiles, des soins SSR. Le cahier des charges sera clair, il y aura un label et des financements dédiés. Aujourd’hui, les professionnels de ces hôpitaux locaux ont le sentiment d’être dépecés, on va au contraire les redynamiser et les rendre visibles.

Mais fermerez-vous des services ?

Oui, il y aura des services fermés lorsqu’ils ne parviennent pas à fonctionner avec un niveau de qualité et de sécurité suffisant. En proximité, on ne peut pas tout maintenir.

Nous assumons une vraie gradation des soins selon trois niveaux : des hôpitaux de proximité de grande qualité, des centres hospitaliers de spécialités intercommunaux ou départementaux avec des plateaux techniques renforcés et des établissements disposant d’activités ultra-spécialisées ou de pointe comme les greffes dans les CHU.

Les CHU ont 60 ans cette année. Allez-vous les supprimer ?

Ils ont toute leur place dans cette gradation des soins. Ils sont positionnés dans ce paysage comme hôpitaux hyperspécialisés. Une réflexion est en cours pour les faire évoluer, les arbitrages seront pris en fin d’année.

Vous réhabilitez le service hospitalier. Qu’est-ce que cela signifie en termes de gouvernance ? Les pôles ne marchent pas ?

Les pôles ne sont pas inutiles, mais on s’est rendu compte que la disparition des services, voulue par la loi HPST [Bachelot, NDLR] était factice. Or, c’est là que se passe la vie des professionnels de santé. C’est l’unité de travail et de réflexion médicale. Je veux réhabiliter le service comme l’unité de gestion du projet médical et des ressources humaines. Nous allons revaloriser financièrement les fonctions de management, y compris celle de chef de service.

Vous souhaitez créer un statut unique de praticien hospitalier et supprimer le concours de PH. Qu’est-ce que cela change pour la carrière ?

Praticien attaché, temps plein, temps partiel, c’est d’une complexité extrême ! Nous allons simplifier le statut des praticiens hospitaliers et des contractuels pour une meilleure gestion des ressources humaines. Nous proposons de recruter des PH sur leur titres et leurs travaux, ce qui, en réalité, est déjà le cas. Le concours de PH n’a pratiquement aucune valeur ajoutée.

Par ailleurs, aujourd’hui, certains PH souhaitent travailler une ou deux journées en libéral, en clinique. Avec ce nouveau statut, ils pourront négocier le temps de travail qu’ils souhaitent dédier à l’hôpital. Cette possibilité de carrière mixte permet de renforcer l’image de l’hôpital. Je rappelle que le secteur public hospitalier est en manque d’attractivité. On ne peut pas laisser partir tous nos professionnels dans le privé !

S’agissant des nouveaux financements, votre réforme propose deux forfaits par pathologie (diabète, insuffisance rénale) à l’hôpital. N’est-ce pas très timide ?

Pour 2019, nous étions prêts pour inscrire ces deux premiers parcours dans le budget de la Sécu (PLFSS). Il y aura ensuite un déploiement progressif. La part de financement au forfait dépendra d’une discipline à l’autre. Nous allons travailler avec les professionnels pour élargir ces financements forfaitaires. Nous voulons baisser la part de tarification à l’activité (T2A) à 50 % au global dans les établissements. Je précise que nous démarrons par l’hôpital mais la ville sera progressivement concernée par la tarification au parcours.

Vous annoncez la suppression du numerus clausus. Par quoi le remplacer ?

Là, il nous faut une loi ! Des négociations auront lieu avec les étudiants. Nous voulons éviter l’immense gâchis humain de la PACES, et de tous ces très bons élèves qui se retrouvent en échec alors qu’ils ont un potentiel fou. Les jeunes sont sélectionnés sur du bachotage, des maths, de la physique. Ils se retrouvent projetés dans le monde hospitalier, connaissent la souffrance humaine, la dépression, voire le suicide. 25 % des étudiants au total abandonnent en cours de route.

Nous voulons diversifier les parcours, sélectionner de nouveaux profils, des étudiants provenant des sciences humaines et sociales, des ingénieurs. Nous allons donc créer davantage de passerelles entrantes et sortantes. Mais pas question d’ouvrir les vannes quantitativement, on ne peut pas former plus de 9000 à 10000 médecins par an. Mais nous laisserons davantage de souplesse aux universités pour former les jeunes.

Le succès de cette réforme dépend de l’adhésion des professionnels. Ne craignez pas des résistances ?

Les professionnels se sentent prêts. Je suis convaincue que c’est la bonne réforme. Je n’ai pas d’inquiétude.