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Le Monde - Assurance-chômage : le gouvernement veut plus de 3 milliards d’économies sur trois ans

Septembre 2018, par Info santé sécu social

Les partenaires sociaux savent désormais ce que le gouvernement attend d’eux pour réformer l’assurance-chômage : entre 3 et 3,9 milliards d’euros d’économies supplémentaires en trois ans et un nouveau paramétrage du régime, destiné à favoriser les embauches pérennes. Cette feuille de route, quasi définitive, a été dévoilée, vendredi 21 septembre, par Antoine Foucher, le directeur du cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, aux organisations de salariés et d’employeurs, qui copilotent le dispositif.

Un objectif plutôt mal accueilli par les représentants des syndicats et certains leaders patronaux, qui dénoncent une approche purement comptable, ayant pour conséquence première de dégrader les droits des demandeurs d’emploi.

La rencontre de vendredi au ministère du travail, qui a duré un peu plus de deux heures et demi, inaugure « l’acte III de la rénovation de notre modèle social », selon les éléments de langage distillés par l’exécutif. Après les ordonnances de septembre 2017 refondant le code du travail et la loi « avenir professionnel » promulguée il y a quelques jours, qui transforme l’apprentissage et la formation continue, Mme Pénicaud poursuit ses « réformes systémiques du marché du travail », souligne l’entourage de l’ex-DRH de Danone. La « vision » sous-tendant tous ces chantiers est résumée – et martelée – en une phrase : « Lutter contre le chômage en favorisant l’emploi durable pour répondre aux besoins en compétences des entreprises. »

Le ministère du travail trouve que le contexte actuel n’est « pas satisfaisant », avec une « dualité (…) qui s’accentue » entre les titulaires d’un CDI et les personnes « abonnées » aux CDD courts – le nombre de ces contrats ayant explosé depuis une quinzaine d’années. Dans le même temps, on assiste à « un allongement de la durée des situations de “permittence” » (enchaînement de petits boulots et de périodes d’inactivité). La part des personnes qui cumulent, « depuis plus de deux ans », une allocation-chômage et un salaire, ne cesse de progresser : de 9 % en 2014, elle est passée à 15 %, fin 2017, précise-t-on au ministère.

Enfin, il y a de plus en plus de sociétés en butte à des difficultés de recrutement, en particulier dans le BTP et dans l’industrie. Pour le ministère, ce ne sont ni les salariés ni les patrons « qui sont en cause, mais les règles » inscrites dans la convention de l’Unédic – l’association paritaire gérant le dispositif.

« Accélérer le désendettement »
Une autre question préoccupe le gouvernement : la dette du régime. Elle devrait atteindre près de 35 milliards d’euros en 2018. Un niveau « inédit », explique l’entourage de Mme Pénicaud. L’Unédic devrait, certes, de nouveau dégager des excédents à partir de 2020 (+1,3 milliard d’euros) mais aux yeux de la ministre du travail, il faut tirer partie du « retour de la croissance » pour « accélérer le désendettement » de l’assurance-chômage, de manière à éviter que les droits des demandeurs d’emploi soient réduits, en cas de coup dur pour notre économie. C’est pourquoi l’exécutif réclame aux partenaires sociaux d’alléger les dépenses de 1 à 1,3 milliard d’euros par an, en moyenne, sur trois ans. Des sommes qui s’ajoutent aux quelque 800 millions d’euros d’économies par an prévues par la convention Unédic de 2017.

Le patronat et les syndicats auront la possibilité de manier tous les curseurs, mais ils devront en toucher au moins quatre. Parmi eux, il y a notamment les dispositions qui permettent à un demandeur d’emploi de percevoir à la fois une prestation et du salaire, ainsi que celles relatives au « rechargement » des droits à une allocation. La combinaison de ces deux corps de règles a contribué, d’après l’exécutif, à l’essor du nombre d’inscrits à Pôle emploi qui exercent une activité – et à la dégradation des comptes de l’Unédic.

Mme Pénicaud veut aussi une refonte du système appliqué aux personnes ayant plusieurs patrons (les nounous, par exemple) – le dispositif actuel prévoyant le versement d’une allocation si elles perdent un employeur. De même, la réflexion devra être engagée sur les « inégalités » qui prévalent entre les inscrits à Pôle emploi dans leurs « capacités » à rebondir sur le marché du travail : quand les droits à l’assurance-chômage sont sur le point de s’épuiser, les personnes les plus qualifiées ont un « taux retour à l’emploi beaucoup plus fort » que les moins qualifiées, rapporte l’entourage de Mme Pénicaud. L’instauration d’allocations dégressives « peut être une manière » de traiter cette situation, mais « ce n’est pas la seule », insiste un conseiller de la ministre.

« Des économies sur le dos des demandeurs d’emploi »
Quant au bonus-malus, promesse de campagne d’Emmanuel Macron qui vise à pénaliser les entreprises abusant des contrats courts, il n’est plus explicitement mentionné. Sur cette thématique, le ministère du travail manie désormais les périphrases : il appartiendra aux partenaires sociaux de définir des « modalités » pour « responsabiliser les employeurs ». Des précautions de langage qui cherchent à ne pas indisposer le patronat, vent debout contre une telle idée.

Interrogés vendredi devant l’entrée du ministère du travail, les représentants des organisations d’employeurs et de salariés ont, pour la plupart, tous fait part de leurs critiques. Il s’agit d’« une réforme à l’envers (…), parce qu’on part d’un objectif budgétaire pour fixer [un cadre dans lequel] on va reparamétrer l’assurance-chômage », a déploré Jean-Michel Pottier, de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

« L’état d’esprit [de l’exécutif], ce sont des économies, des économies, des économies, sur le dos des demandeurs d’emploi », a scandé Michel Beaugas (Force ouvrière), en notant, au passage, que le bonus-malus « n’apparaît pas ». Le ministère du travail veut remettre en cause « les droits rechargeables [qui] seraient responsables de la précarité, ce que nous avons fortement dénoncé, car c’est totalement faux », a déclaré Marylise Léon (CFDT).

Un « document de cadrage » sera envoyé dans quelques jours aux partenaires sociaux afin de tracer les orientations de la réforme. A eux, ensuite, d’indiquer s’ils acceptent d’ouvrir des discussions sur cette base. Pour Denis Gravouil (CGT), un tel exercice revient à « nous dire : “A l’intérieur de cette prison, vous êtes libres de négocier” ».