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Paris Normandie.fr : Agnès Buzyn, « Je ne supporte pas la médecine à deux vitesses »

Octobre 2018, par infosecusanté

Agnès Buzyn, « Je ne supporte pas la médecine à deux vitesses »

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a passé une partie de la journée de samedi en Seine-Maritime, chez les internes en médecine à Rouen puis à la Maison de Santé Pluridisciplinaire de Croisy-sur-Andelle. Elle assure que l’État respectera ses engagements à l’hôpital psychiatrique du Rouvray

Publié le 14/10/2018 à 17:21

Est-ce facile de poursuivre votre mission alors que vous êtes, comme tous vos collègues du gouvernement Philippe une ministre potentiellement en sursis ?

Agnès Buzyn : Quand on accepte une responsabilité de ministre, on sait que c’est un CDD, que cela peut s’arrêter à tout moment, brutalement. Ce sont des décisions du président de la République et du premier ministre. Ce n’est ni plus ni moins, la situation à laquelle je m’attendais en prenant le poste. On est 100 % à la tâche du premier jour jusqu’au dernier. On sait que cela doit s’arrêter un jour. Ce n’est pas un sujet.

Est-ce que cette histoire de remaniement qui traîne en longueur est empoisonnante ou n’intéresse, comme l’a déclaré Emmanuel Macron que les « journalistes politiques » ?

Je crois que ce qui intéresse avant tout nos concitoyens c’est que le gouvernement travaille et qu’il n’y a pas de vacance du pouvoir y compris au minitère de l’Intérieur. Nous avons, tous, des chantiers en route aujourd’hui. Quand on voit la loi Pacte, la promulgation de la loi sur le droit à l’erreur. J’ai présenté moi-même la première version de la loi sur les retraites, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en Conseil des ministres et devant des commissions parlementaires. Il y a eu trois propositions de loi sur mon champ d’activité qui ont été discutées avant-hier (ndlr : jeudi) à l’Assemblée. Nous sommes totalement mobilisés sur nos sujets. Je travaille activement à la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté et de la transformation de notre système de santé présentés le mois dernier.

Votre mari, Yves Lévy, a été nommé conseiller d’État extraordinaire le mercredi 10 octobre. Est-ce que vous comprenez les critiques qui ont surgi suite à cette nomination ?

Je me suis toujours obligée à ne pas commenter l’activité de mon mari. En l’occurrence, sur ce sujet, je trouve les critiques inappropriées puisqu’il y a une douzaine de postes réservés au conseil d’État pour des missions de cinq ans et elles sont réservées à des experts de haut niveau pour aider les conseillers d’État. Mon mari est parfaitement légitime sur ce poste. Auparavant, ce poste a été occupé par des grands hospitalo-universitaires.

Des conflits durs qui se sont éternisés dans le temps ont été observés ces derniers mois en Seine-Maritime, dans le milieu de la psychiatrie, à l’hôpital du Rouvray et à l’hôpital Janet au Havre. L’État a tardé à apporter des réponses aux personnels en grève. Et au final, les moyens supplémentaires accordés par l’Agence Régionale de Santé (ARS) sont jugés insuffisants par les personnels...

La psychiatrie souffre depuis des années d’un désinvestissement des pouvoirs publics avec notamment un manque de professionnels dans les hôpitaux. C’est une vraie réalité et j’ai fait de la psychiatrie l’une de mes priorités en arrivant au ministère. Avant d’être ministre, c’était déjà ma priorité. Je connais très bien la situation de la psychiatrie française. Je mets des moyens importants pour former plus de jeunes à la psychiatrie, des moyens à l’université. Je vais mettre plus de moyens pour transformer l’offre hospitalière en psychiatrie car beaucoup d’hôpitaux n’ont pas eu assez d’investissements ces dernières années. Cela fait partie du grand plan d’investissement qui est prévu dans mon projet « Ma santé 2022 ».

Nous mettons aussi en place un fonds d’innovation organisationnelle pour proposer aux professionnels d’autres modes d’exercice et d’organisation, avec des actions notamment pour favoriser l’ambulatoire. Puis il y a des postes vacants. Et si ces postes sont vacants aujourd’hui, c’est parce qu’il n’y a pas de professionnels pour les prendre. Ce n’est pas que l’État ne veut pas investir, c’est qu’en réalité, lorsque les postes sont ouverts, nous ne trouvons pas des professionnels pour les occuper. Pour l’année prochaine, j’ai décidé d’ouvrir les formations d’infirmiers en pratique avancée aux champs de la psychiatrie pour avoir des infirmiers de pratique avancée en psychiatrie et qui seront très utiles dans le parcours de soins des malades dans les établissements.

« Le problème, c’est
la capacité à recruter »

Une délégation du Rouvray vous a demandé une audience à l’occasion de votre venue à Rouen. Les avez-vous reçus ?

Une rencontre a eu lieu avec mon directeur de cabinet. Je sais que le problème aujourd’hui c’est la capacité à recruter. Il faut donc le temps du recrutement. Mais je vous confirme que les postes actés dans l’accord qui a été signé sont ouverts.

L’ARS a programmé pour cet automne 2018 la fermeture de la maternité de Bernay. Dans cette commune de l’Eure comme à la Châtre dans l’Indre, personnels de santé et élus locaux s’opposent à la disparition de ce service. Le sort de ces maternités est-il scellé ?

Aujourd’hui, nous avons des hôpitaux à deux vitesses avec des établissements locaux qui prétendent faire un certain nombre de spécialités mais qui n’en ont plus les moyens en termes de ressources humaines et des hôpitaux généraux dans lesquels il y a suffisamment de spécialistes et de plateaux techniques de haute technologie. Aujourd’hui, nous sommes réellement face à une médecine à deux vitesses que je ne supporte pas.

Nous savons bien que dans certains hôpitaux, il y a des risques pour les malades. Et c’est le cas de la maternité de Bernay. L’hôpital de Bernay n’a pas été certifié par la Haute Autorité de Santé. Je vous rappelle qu’il y a moins de 0,5 % des établissements français qui ne passent pas la certification HAS. Cela veut dire que cet établissement pose des problèmes de sécurité bien réels, et notamment cette maternité. Des problèmes de sécurité pour les femmes enceintes et les enfants à naître, et c’est le seul critère. Cette maternité n’atteint pas le seul d’activité minimale pour garantir la sécurité des accouchements et a du mal à recruter des obstétriciens. C’est le cas dans beaucoup d’hôpitaux locaux. Nous avons donc conçu notre réforme pour renforcer les soins de proximité, réinvestir dans ces établissements en les recentrant sur une offre de services qu’ils sont en capacité de rendre à la population sur la gériatrie, la médecine polyvalente, parfois des services d’urgence. Aujourd’hui, l’hôpital de Bernay est en train de se réorganiser exactement dans ce schéma qui est prévu dans la réforme du système de santé.

En revanche, la maternité du Belvédère qui a toute sa place dans le paysage hospitalier normand ne fermera pas.

le numerus clausus pour les étudiants en médecine

Avec votre collègue Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, vous avez porté le projet de faire disparaître le numerus clausus pour les étudiants en médecine. En quoi cela va modifier dans un premier temps la sélection et dans un deuxième temps le paysage médical français ? Les internes que vous avez rencontrés samedi à Rouen sont-ils en phase avec vous ?

Les étudiants ne s’interrogent pas sur ce projet car on leur a confié le soin de nous aider à construire cette réforme. Ils sont donc totalement partie prenante de ce que pourra être la méthode d’entrée dans les études de médecine demain. Il n’y a pas d’inquiétude de leur part. Notre idée est d’éviter ce gâchis humain invraisemblable de la première année de médecine. Notre deuxième idée est de favoriser des profils de compétences diversifiées, d’autoriser des étudiants d’autres disciplines à intégrer médecine en deuxième ou troisième année. Mais aussi de permettre des passerelles sortantes car on voit parfois des étudiants en médecine malheureux au cours de leur cursus. Certains voudraient peut-être faire plus de bio-informatique, d’éthique médicale ou de droit de la médecine. On peut imaginer que certains étudiants aient envie d’entrer en médecine au cours de leur cursus et d’autres d’en sortir. L’idée générale, c’est plus de fluidité dans les parcours avec un socle commun de connaissances.

Les internes en médecine rouennais se posent alors quelles questions aujourd’hui ?

Ils m’ont posé des questions sur la finalité de la réforme, sur les statuts hospitalo-universitaires, la place que l’on donne à l’éthique dans les études de santé. Ils nous attendaient avant tout sur la philosophie, à la fois, de la transformation du système de santé que nous portons et sur la philosophie des réformes que nous mettons en place pour la formation.

« Les hôpitaux ne peuvent pas tout faire »

Autre sujet qui touche directement les Français : les délais d’attente pour décrocher un rendez-vous chez un spécialiste. Un mal qui s’étend aux généralistes y compris dans les grandes villes. On a le sentiment que les plans santé se succèdent mais que le mal s’aggrave...

Notre système souffre d’une désorganisation des soins de ville. On s’aperçoit notamment que les médecins font probablement trop de paperasses, ont aussi tout un tas de tâches répétitives qui pourraient être déléguées à d’autres professionnels. On pourrait recentrer le médecin, et notamment le médecin généraliste sur la haute valeur ajoutée de ses pratiques, sur l’aspect purement médical. Nous avons décidé de créer 4 000 postes d’assistants médicaux.

Cela fait une moyenne de 40 assistants médicaux par département. C’est un traitement homéopathique ? Et surtout les contours de ce nouveau métier restent flous ?

C’est une nouvelle fonction dont nous allons définir le périmètre. C’est en négociations avec les professionnels. C’est donc encore un peu tôt... Mais schématiquement, eur mission sera d’améliorer la tenue du dossier médical, de vérifier que les vaccins et les dépistages sont à jour, aider à la coordination du parcours de soins et prendre quelques constantes ( tension, poids...).

Ces postes seront réservés à des médecins en exercice regroupé et pluriprofessionnel, afin que leur présence ait un véritable effet levier. Je veux faire regagner du temps médical à l’ensemble des médecins.

Vos prédécesseurs ont favorisé la création de maisons de santé pluridisciplinaires pour lutter contre les déserts médicaux et favoriser l’accès aux soins. Est-ce toujours le remède miracle ?

Ces maisons de santé sont de bonnes réponses dans certains bassins de vie mais ce n’est pas du tout adapté par exemple aux quartiers de politique prioritaire de la ville où très probablement des centres de santé où les médecins et personnels ont des activités salariées constituent la meilleure réponse.

Il y a également des bassins de vie où la densité de population est telle qu’on ne peut pas imaginer regrouper des professionnels mais on peut leur demander de s’organiser en réseau, c’est ce qu’on appelle les communautés professionnelles territoriales de santé. Quelles que soient les formes d’organisation, l’important est d’améliorer le service rendu à la population, l’accès au médecin traitant, l’accès aux urgences de ville, etc.

Est-ce que l’on peut se résoudre à voir des professionnels de santé quitter l’hôpital public pour le privé ?

Il y a deux façons de voir la situation des hôpitaux publics : soit on trouve le système formidable tel qu’il est, mais juste qu’il manque de moyens et qu’il suffit donc d’ajouter des postes. Soit on se dit, est-ce que le système a été pensé comme il le fallait ? Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de moyens puisque la réforme s’accompagne de 3,4 milliards € d’investissement. Mais outre les moyens, nous pensons que nous n’avons pas fait de choix concernant les hôpitaux publics ces dernières années. Or la réforme prévoit la gradation des soins : tous les hôpitaux ne peuvent pas tout faire. L’Etat va investir et organiser les niveaux de spécialité des hôpitaux sur les territoires. Par ailleurs, l’une des raisons de la fuite des médecins hospitaliers vers le privé est technique, c’est à dire qu’on ne leur donne plus les moyens d’exercer tellement on a désinvesti à l’hôpital.Nous allons donc remettre des moyens techniques dans les hôpitaux et mieux les repartir.