Politique santé sécu social de l’exécutif

Le Généraliste - Un projet de forfait payé aux urgences qui réorienteraient les patients vers la ville fait hurler les médecins

Octobre 2018, par Info santé sécu social

Amandine Le Blanc | 17.10.2018

L’examen du PLFSS 2019 a débuté mardi à l’Assemblée nationale en commission des affaires sociales. En plus de la soixantaine d’articles du texte originel, quelque 600 amendements sont aussi discutés.

Ce mercredi matin, la commission des affaires sociales a d’ores et déjà adopté un amendement déposé par le rapporteur du PLFSS 2019, le député LREM Olivier Véran… et il ne fait pas plaisir à tout le monde. L’amendement n°659 prévoit en effet la mise en place d’un « forfait de réorientation », entre 20 et 60 euros par patient, versé aux services d’urgence, quand ceux-ci redirigent les patients qui n’ont pas besoin d’une consultation urgente vers un cabinet de ville, une maison médicale de garde ou une consultation hospitalière spécialisée.

« L’activité des urgences hospitalières en France augmente de 2 à 3 % par an en France en moyenne. On estime qu’entre 25 et 30 % des patients qui sont pris en charge aux urgences ne relèvent pas du tout des urgences, a expliqué Olivier Véran pendant la discussion ce matin. C’est la plupart du temps de la médecine générale avec inquiétude du patient, il y a aussi ceux qui peinent à trouver un médecin en ville », a-t-il ajouté. Le député isérois a également justifié cette proposition de forfait par le fait que le système de financement actuel aux urgences n’incitait pas à la réorientation.

Suppression du ticket modérateur en ville

Il a donc prévu plusieurs volets à cette mesure. Au lieu de donner à l’hôpital un forfait urgence d’une centaine d’euros on lui versera donc le forfait réorientation. « Si malgré tout, alors qu’il y a une solution alternative, le patient rentre par les urgences, l’hôpital ne percevra plus le forfait urgence mais une consultation spécialisée moins bien valorisée », a-t-il précisé. Enfin pour éviter un renoncement aux soins, s’il est réorienté, il n’y aura pas de reste à charge pour le patient, le ticket modérateur sera supprimé. « On estime avec les études, qu’on peut ainsi réorienter 6 millions de patients par an », affirme Olivier Véran.

Un forfait pour ne pas soigner

La proposition a été soutenue notamment par le député Thomas Mesnier, médecin urgentiste et auteur du rapport sur les soins non programmés, qui a lui aussi souligné « le biais criant provoqué par le financement à l’activité dans les services d’urgence ». En revanche l’opposition n’a pas forcément fait le même accueil à l’amendement. Certains à l’image de Jean-Pierre Door, député du Loiret (LR), souligne que cela ne résout pas le véritable problème qui est celui de la démographie médicale : « Il faut absolument avoir les garanties d’une prise en charge en ville, or vous connaissez l’état actuel de la démographie de la médecine de ville ». Jean-Louis Touraine (LREM) a lui insisté sur l’importance pour les patients d’être vu par le médecin, que ce soit lui qui fasse le « tri ».

Plusieurs députés ont aussi critiqué la mesure dans sa philosophie. « C’est une mesure de nature encore à augmenter le renoncement aux soins. On va payer l’hôpital pour envoyer les gens ailleurs. Aux urgences les équipes sont formées pour accueillir tous ceux et celles qui viennent frapper à leurs portes, là vous modifiez la philosophie même de l’accueil au sein des urgences », a fustigé le député communiste des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville. Une vision partagée par Jean-Pierre Door, « on vous renvoie et on se fait payer, ce n’est pas la mission du service public, moi ça me choque ».

Les médecins libéraux en colère

Ces différentes critiques sont les mêmes que celles formulées par les professionnels de santé, à l’image de la CSMF qui pose également la question de la responsabilité pour la personne qui va procéder à la réorientation. « Comment imaginer qu’un directeur d’établissement de soins préférerait facturer un forfait d’orientation plutôt qu’un forfait d’urgence qui lui rapporterait une somme bien supérieure ? » note aussi le syndicat. La CSMF suggère plutôt de créer « un forfait de prise en charge d’une urgence de ville lorsque des médecins libéraux sont organisés pour répondre à ce besoin de la population ». Également vent debout contre cette mesure, qualifiée d’« insulte aux médecins libéraux et en particulier aux médecins généralistes », l’UFMLS réclame un « forfait de réorientation pour tous ».

L’amendement, qui avait reçu le soutien d’Agnès Buzyn, a été adopté en commission. La prochaine étape est l’examen les bancs de l’assemblée nationale, à partir de lundi prochain.

Le retour du tiers payant généralisé, le conventionnement sélectif, la suppression du secteur 2 faisaient également partie des amendements discutés, mais portés par des groupes de l’opposition. Leur espérance de vie est donc beaucoup plus limitée.