Politique santé sécu social de l’exécutif

JIM - Le « zéro reste à charge »…risque de coûter cher !

Octobre 2018, par Info santé sécu social

Paris, le mercredi 24 octobre 2018

La mise en place du « reste à charge zéro » pour une partie des soins d’optique, auditifs et dentaires fait depuis hier l’objet de l’attention des députés, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2019.

Beaucoup d’éléments conduisent à redouter que la « conquête sociale essentielle » vantée par le Président Macron pourrait ne pas être à la hauteur de la formule.

Au commencement était le zéro
En pratique le reste à charge zéro concernera un panier de soins définis et devra être pleinement effectif en 2021.

Chez l’opticien, des montures sans reste à charge seront proposées pour un prix de 30 euros maximum. Le professionnel devra proposer 17 modèles pour adultes et dix pour enfants, chacun en deux coloris. Les verres devront être antireflet, durcis et amincis. Leur tarif maximum dépendra du type de correction. Il sera également possible de « panacher » des verres sans reste à charge et une monture plus chère, ou inversement. Le montant remboursé dépendra alors du contrat de l’assuré, sachant que la participation des complémentaires sera plafonnée à 100 euros pour une monture, contre 150 euros aujourd’hui, afin de leur permettre de « recentrer » leur intervention sur les verres. Les lunettes pourront être remplacées tous les deux ans.

Pour les soins dentaires, le reste à charge zéro sera appliqué pour les prothèses céramiques concernant les dents visibles de devant, et métalliques pour les dents non visibles. Au total, on estime que 45% des pivots, bridges, couronnes devraient être pris en charge à 100%.

Pour les audioprothèses, le reste à charge zéro concernera tous les types d’appareils, avec au moins 12 niveaux de réglages et un suivi une fois par an, mais avec un seuil maximal fixé à 950 euros. Ces modèles seront renouvelables tous les quatre ans.
« Prothèse de qualité CMU » pour tout le monde !
Les trois secteurs concernés s’interrogent chacun sur les conséquences néfastes que pourrait avoir cette réforme.

Ainsi, du côté des lunetiers beaucoup estiment que le "reste à charge zéro" va favoriser le "Made in China" et les lunettes à bas coût. Même son de cloche concernant les soins dentaires : la Fédération des syndicats dentaires libéraux affirme que les patients auront des prothèses de mauvaise qualité. Son président parle même d’une « céramique de lavabo ». « Le ’panier zéro’, clairement, c’est la prothèse de qualité CMU pour tous les assurés. On est face à cette problématique d’offrir un maximum de prothèses au détriment de la qualité ».

Enfin, les audioprothésistes redoutent que le reste à charge zéro soit « financièrement intenable à court terme ». Ainsi, selon une étude réalisée par le cabinet Xerfi à leur demande, le projet entraînerait « une forte baisse du résultat net moyen » des centres d’audioprothèses et la possible disparition « à 5 ans » d’un cabinet sur six.

« Une réforme pour rien » ?
Mais au-delà de ces critiques, dont certaines ont leur limite (l’accès à des équipements d’une faible qualité pourrait néanmoins satisfaire ceux qui n’avaient jusqu’alors que difficilement accès à ces mêmes équipements, voire même leur permettre de prétendre à de meilleurs produits), la question du financement par la mutuelle demeure épineuse. Le Président de la République avait assuré qu’il n’y aurait « pas de marché de dupes » sur les tarifs des complémentaires et que « cette réforme ne saurait engendrer d’augmentation spécifique du coût d’acquisition d’une complémentaire santé pour les assurés. »

Mais une étude du cabinet conseil en assurance santé Santiane, publiée par Le Parisien ce lundi, vient doucher ces espoirs.

Ainsi, à partir de simulations concernant un échantillon de 100 000 assurés, il anticipe une hausse globale des remboursements de 7 % qui se répercutera mécaniquement sur les tarifs des prestations des complémentaires.

En outre, ce surcoût n’aurait pas les mêmes conséquences selon l’âge des assurés. Le comparateur affirme que les plus de 60 ans, principaux consommateurs des soins concernés par la réforme, verront leurs dépenses de complémentaires santé augmenter de 9,5 %. Un couple de seniors devrait ainsi débourser 200 euros de plus par an.

Pour les moins de 60 ans, cette hausse se limiterait à 2,5 %
Marie-Annick Lambert, de France Assos Santé prévoit même que « si la hausse de ces cotisations est trop forte, les personnes âgées vont renoncer à leur mutuelle, donc le reste à charge zéro ne s’appliquera pas. Ce sera alors une réforme pour rien » !

Reste à charge zéro à cotisation inchangée : une utopie
S’il faudra attendre pour connaître les répercussions réelles de la réforme, Santiane n’est pas le premier à prédire de tels effets. En mai, le cabinet de conseil Mercer France estimait que la réforme allait provoquer un surcoût de 5,6 à 8,9 % pour les contrats de mutuelle collective d’« entrée de gamme » au sein des entreprises. La semaine dernière, il a revu sa prévision et table désormais sur une hausse globale de 4,8 % pour ces mêmes contrats.

Le président de Santiane, Pierre-Alain de Malleray, résume : « penser qu’une telle transformation se ferait à cotisation inchangée pour les ménages relève de l’utopie pure, personne n’y croit. La chose s’explique simplement : si vous mettez à la charge des mutuelles des dépenses supplémentaires, celles-ci augmenteront leurs prix pour les couvrir ».

La macronie y croit encore
De son côté, le rapporteur général du PLFSS, Olivier Véran, a répondu au constat de Santiane. Pour lui, « la part de l’effort des complémentaires ne sera que de 250 millions », une somme qu’il juge dérisoire par rapport aux cotisations annuelles. De plus, le député regrette les difficultés à faire comprendre aux « gens » que « le reste à charge zéro est une avancée sanitaire et sociale majeure ».

Le gouvernement espérait même qu’il s’agissait là d’un moyen d’atténuer les effets de la hausse de la CSG pour les retraités, effective depuis le début de l’année. Ainsi, Agnès Buzyn y voyait une promesse d’amélioration du pouvoir d’achat des personnes âgées…

Mais, comme nous l’avons vu, rien n’est moins sûr…

Frédéric Haroche