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Lequotidiendumedecin.fr : Revel (CNAM) : « l’objectif est d’ouvrir des dizaines de millions de DMP dans les quatre prochaines années »

Novembre 2018, par infosecusanté

Revel (CNAM) : « l’objectif est d’ouvrir des dizaines de millions de DMP dans les quatre prochaines années »

Loan Tranthimy, Martin Dumas Primbault

06.11.2018

Agnès Buzyn annonce ce mardi la phase de généralisation du dossier médical partagé (DMP), que tous ses prédécesseurs ont échoué à mettre en œuvre.

Dans un entretien au « Quotidien », Nicolas Revel, directeur général de la CNAM, aux manettes sur ce chantier sensible, tire les leçons des échecs passés et livre ses recettes pour créer des « dizaines de millions » de dossiers médicaux partagés (DMP) dans les quatre prochaines années. Il mise sur l’extrême simplicité d’ouverture et d’alimentation. Et s’adresse aux médecins.

LE QUOTIDIEN : L’assurance-maladie a expérimenté pendant 18 mois le DMP dans neuf territoires pilotes. Quelles leçons en tirez-vous ?

NICOLAS REVEL : Nous avons essayé de comprendre pourquoi ça n’avait pas marché la première fois. Dix ans après son lancement, il n’y avait que 500 000 DMP ouverts et seulement la moitié contenait une information médicale.

Pour convaincre le plus grand nombre, il fallait en faciliter l’ouverture en multipliant les voies possibles. Jusqu’à présent, seuls les médecins étaient en capacité d’en créer pour leurs patients. Ils n’en ont pas le temps. Les patients pourront désormais ouvrir leur DMP en ligne mais aussi dans leur caisse primaire ou en pharmacie. Ce n’est pas anecdotique : les CPAM enregistrent 30 millions de passages par an et les pharmaciens ont montré avec le dossier pharmaceutique leur capacité à créer des dossiers individuels en très grand nombre.

J’envisage d’étendre le dispositif conventionnel conclu avec les pharmaciens aux infirmières libérales. Elles sont en contact quotidien avec des patients lourds qui peuvent avoir des problèmes pour se déplacer en officine ou à l’accueil d’une caisse primaire. Ce point reste toutefois à finaliser dans le cadre de la négociation en cours.

En s’appuyant sur ces nouvelles voies de créations, le DMP peut monter en charge rapidement. Nous avons à ce jour près de 8 000 pharmacies qui ouvrent des DMP, plus d’une centaine de plus s’équipent chaque jour. Nous sommes déjà proches des 100 000 DMP créés chaque semaine, alors que la campagne nationale n’est pas encore lancée. L’objectif est d’ouvrir des dizaines de millions de DMP, non pas en deux mois mais dans les quatre prochaines années.

Comment faire enfin décoller le DMP ? Comment impliquer les médecins ?

Pour que la dynamique de création s’entretienne dans la durée, il faut que patients et professionnels de santé y trouvent de l’information utile. Avant, pour qu’un DMP soit alimenté, il fallait que le professionnel de santé lui-même y pousse une information. Depuis que nous avons repris le chantier, nous avons créé les conditions techniques pour l’alimenter automatiquement.

Deux années d’historique des remboursements médicalisés sont ainsi intégrées immédiatement à la création et actualisées à chaque nouvel événement. Les DMP sont ainsi d’emblée riches d’un premier niveau d’information utile. C’est dès lors plus facile d’inciter les professionnels de l’enrichir à leur tour, dès lors qu’ils voient qu’il y a déjà de la matière.

En plus de l’historique que nous apportons, il est clair que le volet de synthèse médicale des généralistes, les bilans de kinésithérapie, les bilans d’orthophonie, les comptes rendus d’hospitalisation, les analyses de biologie, les comptes rendus d’imagerie sont autant de documents très utiles. Et il y en aura beaucoup d’autres à l’avenir, je ne suis pas limitatif.

Je suis convaincu de l’utilité du DMP. D’abord pour les patients qui sont aujourd’hui sans solution pour accéder à leurs informations médicales. Mais aussi pour les professionnels de santé, en ville ou à l’hôpital, par exemple quand on reçoit un patient pour la première fois, a fortiori en urgence. Les médecins hospitaliers nous le disent. C’est un outil très utile pour les médecins de ville, qu’il s’agisse de patients orientés ou de passage.

Le DMP, c’est pour les patients et les professionnels ! Ce n’est pas pour l’assurance-maladie. Si nous avons la responsabilité de son déploiement, nous ne sommes pas autorisés à accéder à ses données.

Seuls 18 % de médecins libéraux ont alimenté le DMP pendant ces 18 mois d’expérimentation. N’est-ce pas très insuffisant ?

Au contraire, c’est un début encourageant car même dans ces 9 départements pilotes, il y a eu assez peu de communication. Il y a un cercle vertueux à enclencher. Plus il y aura de DMP créés, plus il deviendra un objet quotidien pour les professionnels et plus les médecins, en ville comme à l’hôpital, l’alimenteront. Ce chiffre n’est donc pas inquiétant même s’il faut l’améliorer. S’il restait à 18 % dans trois ans, ce serait décevant.

On embarquera un plus grand nombre de professionnels à mesure que les DMP seront alimentés par plus d’acteurs. Le médecin généraliste par exemple peut avoir le sentiment que le DMP ne lui servira pas tout de suite… Il a sa propre information sur son patient et accède facilement à l’historique des remboursements grâce à amelipro. Mais il a vocation à alimenter le DMP pour une raison toute simple : c’est utile aux autres professionnels de santé pour une meilleure coordination des soins. C’est aussi utile aux patients qui doivent pouvoir accéder aux informations qui les concernent.

Quelles sont les pistes d’amélioration de l’outil ?

Le DMP devra s’améliorer de manière continue et rapide dans les prochaines années. Cela relèvera pour partie des éditeurs de logiciels qui développent des interfaces pour rendre la consultation et l’alimentation les plus simples et pratiques possibles.

Mais nous devrons, nous aussi, répondre aux attentes des professionnels et des patients. Par exemple, la création d’un moteur de recherche à l’intérieur du DMP est un besoin que nous avons identifié. On va évidemment être attentifs à ce que les médecins, les patients ou les établissements de santé vont nous dire.

Tout ne sera pas parfait du premier coup. Mais les évolutions que nous avons apportées en termes de création et d’alimentation étaient indispensables pour pouvoir relancer le DMP. Le temps est maintenant venu de démarrer. C’est le sens de la campagne de communication que nous lançons cette semaine.

Envisagez-vous de nouvelles incitations financières pour les médecins ?

Nous avons déjà avec le forfait structure une rémunération liée au fait d’avoir un logiciel métier compatible avec le DMP. Je n’ai en revanche jamais envisagé de déclencher une rémunération chaque fois qu’un hôpital, un laboratoire, un médecin ou un infirmier verse une information dans le DMP. Ça n’a pas de sens, ce n’est pas sain et ça ne me paraît pas raisonnable. Ce d’autant que ces alimentations ne se feront en masse que si elles sont simples, voire automatiques. Le DMP est un service rendu au patient et un investissement collectif pour construire ensemble une meilleure prise en charge.

Faut-il rendre le DMP obligatoire ?

C’est une vraie question. Ce n’est pas en tout cas le choix qu’a fait le législateur. C’est bien le patient qui fait le choix d’ouvrir son DMP et c’est pour cette raison que tous les acteurs doivent mettre à sa disposition une information qui lui est due.

Avez-vous estimé le coût du dispositif pour l’assurance-maladie ?

Nous avons un budget annuel de 15 millions d’euros. Il va légèrement progresser dans les cinq prochaines années à mesure de la montée en charge. Il regroupe le coût de gestion de l’infrastructure avec l’hébergement et la sécurisation des données et notre politique de développement de l’outil. C’est déjà inclus dans notre budget quinquennal. La rémunération des professionnels comme les pharmaciens n’y est pas incluse mais il s’agit d’une dépense ponctuelle, le temps de la phase de création.