Le droit à la contraception et à l’IVG

JIM - Grève des IVG : comment se tirer une balle dans le pied ?

Mars 2019, par Info santé sécu social

Paris, le jeudi 14 mars 2019

Une exagération des réseaux sociaux ? Une lecture trop rapide et orientée ? Non. De telles suppositions pouvaient être légitimes hier à l’annonce de l’intention qui aurait été formulée par le Syndicat national des gynécologues obstétriciens français (SYNGOF) d’appeler à une grève des IVG. Pourtant, il ne s’agissait nullement d’une interprétation déformée de Twitter ou d’observateurs mal informés : le SYNGOF a bien adressé à ses adhérents un mail où il les prévient : « Préparez-vous (…) à ce que le syndicat vous donne l’ordre d’arrêter les IVG si la Ministre de la santé refuse de nous recevoir ». Motif de cette colère : les inquiétudes des obstétriciens concernant certaines failles du « fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, des diagnostics ou de soins dispensés par les professionnels de santé exerçant à titre libéral » créé en 2012 et l’apparent refus des pouvoirs publics de répondre à ces craintes.

Inadmissible
Difficile d’imaginer méthode plus contre-productive pour espérer se faire entendre. Car si le « scandale » que le SYNGOF prédisait de la part du secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a bien eu lieu avant même un commencement de grève, les difficultés rencontrées par les gynécologues sont loin d’avoir été mises au premier plan. Elles ont même été largement oubliées. Le tollé face à ce mépris du respect du droit à l’IVG a été général, d’autant plus quand l’ancien patron du syndicat (dont le nouveau président a récemment assimilé IVG et homicide…), le docteur Jean Marty n’a pas hésité à affirmer aux journalistes du magazine Causette que « pouvoir être secourus par ce fonds est tout aussi légitime que vouloir recourir à une IVG » ! Le ministre de la Santé, Agnès Buzyn a ainsi sévèrement dénoncé le « caractère inadmissible » des menaces du SYNGOF et a rappelé que le « sujet de préoccupation » des gynécologues-obstétriciens ne « pourra être traité efficacement que dans la sérénité nécessaire et l’esprit de responsabilité de chacun ». En écho à ce message du ministre de la santé, la plupart des organisations médicales, de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) à l’Ordre des médecins en passant par le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) ont affiché leur stupéfaction et leur réprobation. Néanmoins, certaines de ces instances ont tenu à rappeler que « le problème assurantiel de certains gynécologues obstétriciens » est « considérable » (selon l’expression du CNGOF) ou encore qu’il « n’est pas acceptable de mettre en faillite des professionnels, qui pendant l’ensemble de leur activité, ont été assurés sont les règles en vigueur » (CSMF).

Une loi Kouchner imparfaite
Pour considérable qu’il puisse être, ce problème complexe (et dont les chances de médiatisation étaient donc restreintes, comme l’a fait d’ailleurs remarquer le SYNGOF qui n’a donc reculé devant la provocation) ne concernerait pour l’heure pas plus d’une quinzaine de praticiens. Pour en saisir les enjeux, il faut remonter à 2002, époque à laquelle de nombreux médecins et notamment les gynécologues étaient menacés de ne plus pouvoir être professionnellement assurés, en raison du refus des assureurs d’assumer des risques de plus en plus lourds compte tenu de l’évolution des jurisprudences. Une solution avait été trouvée en 2002 à travers la loi dite Kouchner. Cependant, le texte était loin d’être parfait exposant certains praticiens à des « trous de garantie » en cas de dépassement des plafonds et à des risques « d’expiration » en cas de plainte déposée dix ans après la cessation d’activité des praticiens.

Une loi de finances de 2012 aux corrections également limitées
Pour corriger ces manquements, la loi de finances pour 2012 a mis en place un « fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, des diagnostics ou de soins dispensés par les professionnels de santé exerçant à titre libéral ». Néanmoins, des détails de cette loi de finances ont contribué à de nouvelles limites. Les gynécologues expliquent (dans un projet d’amendement qu’ils voudraient voir soumis dans le cadre de l’examen du projet de loi de santé) que « le fonds ne peut pas intervenir dans deux hypothèses : si une réclamation a été portée contre un praticien avant qu’il ait, dans l’année 2012, "conclu, renouvelé ou modifié" son contrat d’assurance ; lorsqu’un praticien a cessé toute activité avant l’échéance de son contrat en 2012 (…) ou dans les années précédentes ». Ces cas ne concerneraient aujourd’hui qu’entre une dizaine et une quinzaine de gynécologues faisant l’objet de réclamations, pour lesquels les risques financiers sont très importants (le SYNGOF parle de « faillite »).

Une quinzaine aujourd’hui, tous demain ?
Les restrictions du fonds ont été signalées depuis plusieurs années aux pouvoirs publics par le SYNGOF qui n’a jamais été entendu. Ainsi, en 2017, Marisol Touraine a refusé « l’extension du champ d’intervention du fonds » estimant que son équilibre financier serait alors menacé. Le SYNGOF refuse une telle justification. L’organisation affirme notamment que « le gouvernement actuel a fait la démonstration que le fonds pouvait supposer de nouvelles charges ». Néanmoins, l’évocation de la fragilité potentielle du fonds ne peut être qu’inquiétante et renforcer la détermination des gynécologues obstétriciens, qui ont vu s’accumuler les signaux préoccupants, comme la suspension des réunions de l’Observatoire du risque médical. Ainsi, le SYNGOF écrit dans le mail où il avance la possibilité d’une grève des IVG que le problème pourrait potentiellement « dépasser (…) les 15 malheureux en difficulté ». Où l’on voit comment le silence et les atermoiements des autorités ont pu nourrir une appréhension qui n’est pas nécessairement justifiée et qui en tout état de cause ne saurait nullement légitimer la méthode envisagée.

Aurélie Haroche