Politique santé sécu social de l’exécutif

Libération - Les infirmiers débutants ont-ils vu leur salaire augmenter de 200 euros sous Macron, comme l’affirme Edouard Philippe ?

Octobre 2019, par Info santé sécu social

Depuis le début du quinquennat, le salaire des infirmiers en début de carrière a légèrement augmenté. Mais cette revalorisation n’atteint pas du tout la somme totale de 200 euros.

Par votre question, vous faites référence aux propos du Premier ministre Edouard Philippe tenus dans une longue interview accordée au JDD du 6 octobre dernier. A une question sur la revalorisation des salaires des personnels des hôpitaux, Edouard Philippe répond : « Depuis le début du quinquennat, nous avons ajouté 6 milliards d’euros au budget des hôpitaux ; nous revalorisons aussi les salaires : pour une infirmière débutante à l’hôpital, c’est 200 euros de plus par mois depuis le début du quinquennat. »

Le corps des infirmiers en soins généraux relève de la fonction publique. Par conséquent, leur salaire s’inscrit dans le cadre d’une grille indiciaire : cela veut dire qu’à chaque échelon est attribué un indice majoré, qui détermine la rémunération mensuelle brute. Cette grille est publique et consultable sur le site de la fonction publique.

Une augmentation sous le précédent quinquennat
Qu’y voit-on ? D’une manière générale, on constate effectivement une augmentation dans les salaires. En fait, cette revalorisation correspond à une mesure prise sous le précédent quinquennat : le protocole relatif aux « parcours professionnels, aux carrières et à la rémunération de la fonction publique », dit PPCR, est un système de transfert de prime en points d’indice. Ce transfert s’étale sur plusieurs années et prendra fin en 2020. Problème : cette augmentation bien réelle ne correspond pas - et de loin - aux 200 euros avancés par le Premier ministre dans le JDD.

Alors passons aux calculs. Puisque Edouard Philippe se réfère à la situation des infirmiers débutants à l’hôpital, concentrons-nous sur le premier échelon du grade 1 des infirmiers en soins généraux. Comme l’ont démontré nos confrères de France Info, en 2017, l’échelon 1 du grade 1 correspondait à un indice majoré de 373, soit une rémunération de 1747,87 euros (les salaires sont consultables sur ces deux sites de référence, ici et là) En 2019, l’indice majoré s’est établi à 388, ce qui donne un salaire brut mensuel de 1818,18 euros. L’augmentation de salaire d’un infirmier en tout début de salaire, depuis le début du quinquennat, est donc très exactement de 70,31 euros bruts mensuels. En 2020, selon nos calculs, cette augmentation représentera au total environ 79 euros.

Colère des syndicats
Le propos du Premier ministre est d’autant plus faux qu’on élargit la notion d’infirmier « débutant ». En effet, on peut cumuler plusieurs années d’ancienneté et être toujours en début de carrière. De plus, dans la fonction publique, il faut attendre deux à trois ans pour changer d’échelon. Sur l’échelon 2, l’indice majoré passe de 392 à 397, soit une augmentation de seulement 23,43 euros brut. En 2020, ce salaire passera à 1893,14 euros, soit une augmentation de 56,23 euros par rapport à 2017. Autre échelon, mêmes calculs : au 3e échelon, on passe de l’indice majoré 412 à 416, soit une différence de 19 euros. En 2020, cela correspondra à une augmentation de 47,19 euros, au total, depuis le début du quinquennat.

Du côté des syndicats, la déclaration du Premier ministre suscite colère et incompréhension. Céline Laville, présidente du syndicat Coordination nationale infirmière (CNI), se situe elle-même sur l’échelon 2 du grade 1. Elle confirme à CheckNews une augmentation de 23 euros sur sa fiche de paie personnelle depuis 2017 : « Il y a eu une augmentation, on ne peut pas le nier. Mais je ne sais pas du tout d’où sort le chiffre de 200 euros donné par le Premier ministre. Il faut vérifier avant de dire des bêtises, » assène-t-elle.

Une déclaration hors-sol ?
Une incompréhension partagée par le syndicat national des professionnels infirmiers. Thierry Amouroux, porte-parole, confirme lui aussi nos calculs et ajoute : « La colère est forte, on se moque de nous. Il y a un vrai malaise dans la profession aux urgences, dans les Ephad, en psychiatrie… Sous-entendre que nous avons été largement revalorisés alors que nous sommes sous-payés : pour nous c’est choquant, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est une déclaration complètement hors-sol. »

CheckNews a sollicité le cabinet du Premier ministre, pour savoir sur quoi se fondent les 200 euros avancés par Edouard Philippe. Aucune réponse ne nous est parvenue pour l’instant.