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Médiapart - Enfants pauvres : Blanquer réduit de moitié les fonds sociaux

Octobre 2019, par Info santé sécu social

29 OCTOBRE 2019 PAR FAÏZA ZEROUALA

En débat à l’Assemblée, le budget 2020 de l’Éducation nationale sabre dans les fonds sociaux prévus pour les familles pauvres. Justification du ministère ? Ils ne sont jamais dépensés en intégralité. Mais trop de parents ignorent leur existence ou n’osent pas les réclamer.

Il y a cet élève qui manque de fournitures scolaires, cette adolescente qui saute des repas et aurait besoin d’aide pour payer la cantine, ce collégien qui manque d’un titre de transport. Ces situations de grande pauvreté sont courantes dans les zones les plus défavorisées, dont les établissements scolaires disposent d’une enveloppe pour soulager ponctuellement ces familles.

Seulement, le budget de l’Éducation nationale pour 2020 prévoit une baisse de ces crédits de moitié, comme l’a remarqué Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire sous Vincent Peillon, auteur en 2015 d’un rapport de référence. Le sujet sera débattu mardi 29 octobre au soir, au plus tard mercredi, à l’Assemblée nationale, le groupe socialiste notamment ayant déposé un amendement visant à maintenir ces fonds sociaux.

Dans un billet de blog publié dans le Club de Mediapart, Jean-Paul Delahaye sonne l’alerte : « Le budget consacré aux fonds sociaux des établissements qui avait été porté à 59 millions d’euros par le précédent gouvernement et maintenu à ce niveau en 2018 et 2019, sera de 30,6 millions d’euros en 2020. » Bercy a décidé d’arbitrer en défaveur des enfants pauvres.

Et ce n’est pas la première fois, puisque entre 2002 et 2012, lorsque la droite était au pouvoir, ces fonds sociaux étaient passés de 73 à 32 millions d’euros.

Étouffé par la polémique autour du voile des mères accompagnatrices de sorties scolaires, le sujet a peu ému, ce qui participe de la colère de Jean-Paul Delahaye, effaré que les enfants pauvres ne bénéficient pas davantage de soutien dans un pays qui sait s’indigner dès qu’une ligne d’un programme d’histoire est modifiée.

Cette décision est difficile à comprendre, alors que le président de la République a lui-même lancé un plan de lutte contre la pauvreté – dont l’ambition se heurte déjà à la contrainte budgétaire. Le ministre de l’éducation nationale ne cesse également de répéter sa volonté d’aider les territoires et les élèves les plus démunis. Depuis cette rentrée, des petits déjeuners sont par exemple servis certains jours dans les écoles des zones prioritaires pour réduire les inégalités alimentaires, parce que certains enfants arrivent le ventre vide en classe.

La question est loin d’être anecdotique : on dénombre 1,2 million d’enfants pauvres sur le territoire, soit 10 % des élèves. Un très beau documentaire, Gosses de France (à voir ici), réalisé par Andrea Rawlins-Gaston et diffusé sur France 2, donne la parole à ceux qui vivent cette réalité.

Interrogé sur France Inter, le 16 octobre, Jean-Michel Blanquer a dénoncé une présentation « fallacieuse », tout en confirmant la coupe qu’il justifie par le fait que les fonds ne sont pas dépensés dans leur intégralité. Il explique aussi qu’une partie de ces crédits vont être attribués aux 80 cités éducatives, ce label d’excellence décerné à certains territoires précis.

Fin de l’histoire ? De fait, des reliquats subsistent dans certains établissements, mais ce n’est pas pour autant que les besoins sont comblés. Le phénomène de non-recours aux aides est bien connu des travailleurs sociaux. À Mediapart, Jean-Paul Delahaye explique l’avoir vu sur le terrain lors de la préparation de son rapport, se souvenant par exemple d’un collège en éducation prioritaire à La Réunion où 12 000 euros dormaient sur le compte de l’établissement.

Plusieurs facteurs expliquent que les familles sollicitent peu ces aides. En premier lieu, ce dispositif n’est pas assez connu. Et comme il existe une multiplicité de subventions, notamment au niveau départemental, certains foyers ignorent qu’ils peuvent en cumuler plusieurs.

Jean-Paul Delahaye considère qu’il faut plutôt défendre à tout prix ces fonds sociaux, le montant des bourses des collégiens et lycéens étant dérisoire. Avec environ 450 euros par an, il est en effet impossible de s’acquitter de toutes les dépenses indispensables. Les fonds sociaux peuvent donc pallier certains besoins, et leur utilisation souple, prévue par une circulaire de 1998, les rend pratiques.

Il est ainsi possible d’avoir recours à cet argent pour financer une tenue de sport, des lunettes, ou encore une participation à un voyage scolaire. « Les établissements font beaucoup d’efforts pour que les séjours à l’étranger coûtent le moins cher possible, mais pour une famille dont le reste à vivre est de 5 euros par jour à peine, c’est hors de portée, insiste Jean-Paul Delahaye. Il y a donc ces enfants qui restent à l’écart, et je sais d’expérience l’humiliation qui en résulte et qui ne s’oublie jamais. »

Certaines familles ont honte de demander cette aide, vue comme une aumône. « Si on ne fait pas l’effort d’observation et d’écoute, si on n’accompagne pas à l’échelon académique les établissements dans l’identification si délicate des besoins, alors en effet on dépense peu de fonds sociaux et on a des “reliquats” », écrit encore Jean-Paul Delahaye.

Professeur d’histoire-géographie, Romain raconte que le fonds social, dans son lycée de Sarcelles (Val-d’Oise), est bien doté. Mais comment savoir dépenser cet argent, à qui allouer ces fonds ? Souvent, il a décelé chez ses élèves la peur d’affronter le regard des autres. « Cette année, un élève n’avait pas de fournitures scolaires, confie-t-il. Sa professeure l’a aidé, presque forcé à compléter un dossier. Une fois le matériel arrivé, il ne voulait pas aller les chercher à l’intendance. Les assistants d’éducation ont trouvé un moyen de les lui remettre discrètement. » Les jeunes craignent que cela soit perçu comme une remise en cause de leurs parents, explique encore l’enseignant.

Pour Jean-Paul Delahaye, les personnels comme les CPE, les assistants d’éducation ou sociaux, font pour la plupart leur travail de manière correcte, « de façon discrète et sans intrusion dans la vie privée ». Mais il n’en demeure pas moins que certaines situations sont difficiles à détecter. Ce que confirme Romain : dans son lycée, il y a deux mille élèves et une assistante sociale deux jours par semaine seulement. « Quand on a plus de trente élèves dans la classe, il y a un gros risque de passer à côté. Idem pour les CPE, assistants d’éducation, infirmière, etc. Impossible de tout voir. »

Il se souvient encore de cette jeune fille qui réclamait souvent quelque chose à grignoter à ses camarades, à la pause de 10 h 30. Un jour, il a fini par lâcher : « Il faut manger le matin ! » Il s’est « senti idiot » quand elle a rétorqué : « Il n’y a rien dans les placards. » « Heureusement, ajoute-t-il, les élèves nous alertent parfois sur la situation de leurs camarades. Mais ça leur met beaucoup de responsabilité sur la tête... »

D’autant que nombre de jeunes enseignants ne connaissent pas les fonds sociaux, selon Romain, qui doute que l’accent soit mis sur ce sujet durant leur formation. Dans son établissement, le personnel a ainsi demandé au CPE d’informer les jeunes professeurs, récemment arrivés, de cette possibilité.

Pour éviter le non-recours, Jean-Paul Delahaye plaide, lui, en faveur d’un travail de sensibilisation des directions d’établissement, que les rectorats pourraient accompagner afin qu’ils intègrent un volet social dans leur projet. À ses yeux, même si ces derniers ont déjà mille tâches à remplir, celle-ci relève désormais de l’urgence.