Politique santé sécu social de l’exécutif

Le Monde.fr : Réforme des retraites : le gouvernement à l’heure de l’apaisement

Novembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : le gouvernement à l’heure de l’apaisement

A huit jours de la mobilisation contre la réforme, l’exécutif semble prêt à arrondir les angles et à repousser, notamment, la mise en place du nouveau système.

Par Cédric Pietralunga , Alexandre Lemarié et Olivier Faye

Publié le 28/11/2019

Prendre à partie un jour, apaiser le lendemain… A huit jours de la mobilisation contre la réforme des retraites, qui menace de bloquer tout ou une partie du pays, l’exécutif cherche encore la bonne stratégie à adopter pour ne pas se fracasser sur le « mur du 5 décembre », pour reprendre une expression en vogue dans les couloirs du pouvoir.
Après les propos volontiers musclés contre les « pleurnichards » – dixit le président (La République en marche, LRM) de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand – et les intérêts « corporatistes » qui ne veulent pas d’une suppression des régimes spéciaux – dixit la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn –, l’heure est aux mots plus doux.

Mercredi 27 novembre, le premier ministre, Edouard Philippe, a résumé sa philosophie de la réforme : « L’universalité, oui, la brutalité, non. » Comprendre : l’exécutif est désormais prêt à arrondir les angles pour respecter la promesse de campagne d’Emmanuel Macron.

Dans une allocution prononcée à l’issue du conseil des ministres, le chef du gouvernement a ainsi tenu à remercier les organisations syndicales, qu’il venait une nouvelle fois de recevoir, lundi et mardi. « Les échanges (…) ont été très riches et d’une très grande qualité », a-t-il loué, assurant que « le dialogue se poursuit, il avance à son rythme, contrairement à ce que disent parfois ceux qui préfèrent une logique de précipitation, voire une logique de confrontation ». « Nous prendrons le temps qu’il faut pour y arriver », s’est-il engagé.

« Trouver le bon curseur »
Mais le premier ministre ne s’est pas contenté de passer la pommade. Edouard Philippe s’est aussi dit ouvert à l’idée de repousser la mise en place du nouveau système. Jusqu’ici, la réforme devait s’appliquer aux générations nées après 1963, qui se trouveront à cinq ans de la retraite en 2025, date à laquelle le nouveau système doit entrer vigueur.

« S’il faut que la réforme s’applique à des personnes un peu plus éloignées de la retraite que ce qui était envisagé jusqu’ici, afin de prendre en compte les choix individuels faits par nos concitoyens, je suis prêt à en discuter avec les organisations syndicales », a indiqué le chef du gouvernement. L’essentiel à ses yeux étant de « trouver le bon curseur » entre « deux extrêmes » : une bascule à partir de la génération 1963, d’un côté, et l’adoption de la « clause du grand-père », de l’autre, qui réserverait le nouveau système aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail.

Le premier ministre a aussi énuméré une liste de compromis possibles avec les organisations syndicales, sur des sujets comme les pensions de réversion, la pénibilité, le cumul emploi-retraite ou encore la prise en compte des primes dans le calcul des pensions des fonctionnaires. La veille, M. Philippe avait déjà manifesté sa volonté d’ouverture vis-à-vis des partenaires sociaux. « On assume le temps long, celui de la concertation », avait-il lâché devant les députés de la majorité, lors d’une rencontre à huis clos. « On ne peut pas faire du dialogue social sans apaiser, on ne va pas faire du “SNCF bashing” si on veut que ça marche. L’acte 2 du quinquennat, c’est la concertation », explique-t-on à Matignon.

Autant de compromis qui doivent permettre d’amener la réforme à bon port. « Nous ne transigerons pas sur l’objectif (…), nous allons mettre un terme aux régimes spéciaux », a rappelé le locataire de Matignon, mercredi, assurant qu’il s’agit là de « la conséquence mécanique de l’instauration d’un régime universel ».

Urgence à rectifier le tir

Cette attitude est vue d’un bon œil au sein de la majorité. « C’est une excellente manière d’adresser une main tendue aux nombreuses organisations qui veulent une réforme et souhaitent en discuter : la CFDT, l’UNSA et la CFTC notamment », estime le député (LRM) de la Vienne, Sacha Houlié. « La mobilisation du 5 décembre aura lieu quoi qu’il en soit. Il ne s’agit pas pour le premier ministre de présenter des concessions mais bien de confirmer, concrètement, que les négociations et les discussions sont porteuses de solutions », avance la députée (LRM) de Paris, Laetitia Avia.

Selon certains cadres de la majorité, encore échaudés par les propos virils des derniers jours, il y avait urgence à rectifier le tir. « Le 5 décembre ne sera pas une mobilisation des régimes spéciaux contre la réforme mais un mouvement de mobilisation sociale plus large, prévient un poids lourd du groupe LRM à l’Assemblée nationale. On ne peut pas avoir un discours consistant à dire qu’il y aura des vainqueurs et des vaincus de la réforme. Dans ces cas-là, c’est souvent le gouvernement qui est vaincu. »

Ce virage sur l’aile représente l’énième épisode d’une séquence illisible pour l’opinion, après des semaines de propos contradictoires tant sur le fond – instauration ou non d’un âge pivot ou de la « clause du grand-père » – que sur la posture – fermeté ou ouverture.

« L’exécutif est tombé dans les travers d’une mauvaise communication en recourant à la logique du ballon d’essai et en utilisant des mots qui font peur, alors que les retraites ne sont pas un jeu… Cela a donné l’impression à beaucoup de Français qu’ils allaient y perdre », observe le sondeur Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP.
« Les polémiques autour des régimes spéciaux et de la “clause du grand-père” avaient failli nous faire perdre le sens de la réforme : le système des retraites actuel est injuste et à bout de souffle, fait valoir le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, Patrick Mignola. On ne peut pas, en responsabilité, contester l’obligation de le modifier, mais on peut naturellement en discuter les modalités et les délais pour s’adapter à la situation de chacun. »

Gagner la bataille de l’opinion
Suffisant pour faire baisser la pression ? Le pouvoir se met en tout cas en position de tenir face à la mobilisation. « Le 5 décembre, on passe dans un autre monde », prévient un conseiller ministériel. Edouard Philippe réunira, vendredi, à Matignon, les principaux ministres du gouvernement pour faire le point, secteur par secteur, sur les mesures à prendre afin d’éviter un blocage du pays.

« Le gouvernement mettra tout en œuvre pour accompagner au mieux les Français », a promis le premier ministre. « Il faut organiser les transports, l’approvisionnement en médicaments, le maintien de l’ordre, cela demande pas mal de calages », énumère un proche.

Pour tenter de gagner la bataille de l’opinion, les ministres sont par ailleurs invités à « monter sur le pont » et à saturer l’espace médiatique à partir du 5 décembre. Raison pour laquelle Edouard Philippe tient à réunir tout son gouvernement en séminaire, dimanche, pour « s’assurer que tout le monde a le même niveau d’information ».

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le pouvoir tente – en même temps – de dédramatiser la hauteur du mur qui se dresse face à lui. « Il faut sortir de cette peur de l’an mille. Il n’y a pas de crainte, d’attente, de paralysie ou d’enfermement », souffle-t-on ainsi à l’Elysée, où l’on assure qu’« il y a une vie après le 5 décembre ». « L’emballement médiatique fait son effet, mais l’essentiel n’est pas là. Je ne crois pas à la convergence des luttes », abonde Olivia Grégoire, députée (LRM) de Paris.

De l’avis de chacun, l’essentiel reste de trouver un chemin pour mener à bout cette réforme sur laquelle Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont investi une bonne part de leur capital politique. Le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, doit poursuivre les concertations jusqu’au 9 ou 10 décembre. Le premier ministre présentera « dans les jours qui suivront » les arbitrages sur le projet de loi qui devrait être présenté en début d’année, assure-t-on au sein de l’exécutif. Comme le résume un conseiller gouvernemental, « dans tous les cas, ce qui est important, c’est de passer la réforme. Sur la méthode, c’est encore à voir… ».

Cédric Pietralunga , Alexandre Lemarié et Olivier Faye