Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Les hôpitaux français face au coronavirus : « C’est un bazar incroyable pour un nombre de cas encore faible »

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Les hôpitaux français face au coronavirus : « C’est un bazar incroyable pour un nombre de cas encore faible »

Face à l’arrivée quasi certaine de beaucoup de patients, les personnels sanitaires s’inquiètent du peu de moyens, et de temps, dont ils disposeront pour gérer l’épidémie.

Par François Béguin
Publié le 29/02/2020

Après l’annonce, vendredi 28 février, de dix-neuf nouveaux cas de contamination par le coronavirus, et le passage en stade 2 (sur 3) de l’épidémie, les établissements de santé se préparent à faire face à une arrivée importante de nouveaux malades.
« On rentre dans le dur, prévient Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat, l’un des trois centres de référence en Ile-de-France. Tous les ans, la grippe saisonnière fait un peu tanguer le navire des hôpitaux. Là, ça ne va pas tanguer, ça va être la tempête. On est en face d’une épidémie qui va affecter tout le système et va imposer très vite une réorganisation totale de la prise en charge. »
Cette crise sanitaire survient dans un contexte particulier pour l’hôpital public. Il y a quelques semaines, plusieurs centaines de chefs de service avaient démissionné de leurs fonctions d’encadrement pour dénoncer le manque de lits et d’effectifs. Selon eux, c’est aujourd’hui un système hospitalier « fragilisé par des années d’économies déraisonnables et inadaptées » qui s’apprête à affronter la tempête.

« Un bazar incroyable »

Un panneau indique la salle de dépistage des coronavirus, à l’Institut méditerranéen d’infection de l’hôpital La Timone, à Marseille, le 27 février. DANIEL COLE / AP
La surchauffe touche d’ores et déjà certains services, comme la régulation du Centre 15 ou l’infectiologie. Depuis la flambée de nouvelles contaminations en Italie, ces services sont confrontés à des sollicitations incessantes.

« On est complètement débordés, le temps de répondre à un appel, il y en a dix autres en attente, raconte Alexandre Bleibtreu, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière, un autre hôpital de référence francilien. Alors que nous ne devrions être contactés que par le SAMU-Centre 15, des gens appellent directement parce qu’ils ont peur et veulent passer le test pour être rassurés. Certains se présentent même en personne. » Dans certains hôpitaux, comme au CHU de Tours, des pics à près de 90 appels par jour sont enregistrés.

A l’hôpital Saint-Louis, à Paris, l’infectiologue Matthieu Lafaurie s’inquiète de ce climat « anxiogène » :
« On est dans l’irrationnel. Bichat et la Pitié sont débordés et nous demandent de l’aide alors qu’il n’y a à ce jour pas ou peu de patients hospitalisés. Comment allons-nous faire quand au cœur de la pandémie nous aurons beaucoup plus de personnes à hospitaliser avec pas assez de personnel de façon chronique ? C’est un bazar incroyable pour un nombre de cas recensés encore faible. »

Dans les services d’urgences déjà soumis à une forte fréquentation, on redoute cet afflux de nouveaux patients. Aux urgences de Valence, où il manquera dans quelques jours près de la moitié de l’effectif médical, en raison de départs de médecins, Hélène Balagué s’apprête, avec ses collègues urgentistes, à devoir gérer une « double crise » : « On a déjà des délais d’attente monstrueux. En rajoutant le coronavirus, ça va être la catastrophe », redoute-t-elle.

« Gros problèmes d’effectifs »

Le personnel médical effectue une extraction d’un échantillon de SARS-CoV-2 à l’hôpital La Timone, à Marseille, le 27 février. DANIEL COLE / AP
Dans un hôpital périphérique des Pays de la Loire, une infirmière membre du Collectif Inter-Urgences se demande ce qui se passera si des patients « pas régulés par le 15 se présentent comme ça, au contact des autres pour les admissions ». « On sera tous en quarantaine ? Et nos familles ? Et la continuité du service ? Nous avons déjà de gros problèmes d’effectifs. »

Jeudi 27 février, les autorités sanitaires ont pris la décision spectaculaire de confiner près de 200 membres du personnel soignant des hôpitaux de Creil et Compiègne, dans l’Oise, et de fermer une unité de réanimation, après un risque de contact avec une personne infectée.

« Le risque de contamination des hôpitaux est un des sujets qui nous préoccupe le plus », a reconnu vendredi Aurélien Rousseau, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France lors d’une conférence de presse commune avec le préfet de police de Paris, Didier Lallement, la maire de Paris, Anne Hidalgo, et le préfet de région, Michel Cadot. « Il n’y a pas de risque zéro : ce qu’on a vu à Creil, on peut le voir partout ailleurs », a-t-il mis en garde.

Face à l’arrivée désormais quasi certaine d’un nombre important de patients touchés par le coronavirus, les autorités sanitaires mettent les hôpitaux en ordre de bataille. A la Pitié-Salpêtrière, quatorze lits d’hospitalisation ont par exemple été réservés uniquement aux malades atteints par le coronavirus, certains patients ayant été pour cela transférés vers d’autres unités. Dans les hôpitaux labellisés, des circuits dédiés de diagnostic et de prise en charge autonomes et éloignés des urgences, tout comme des cellules de crise, ont été mis en place. A l’hôpital d’Arras, le chef de pôle des urgences, Pierre-Luc Maerten, explique à La Voix du Nord avoir « dédié une partie de l’hôpital à cette activité coronavirus pour éviter que les patients se croisent ».

« On voit la vague arriver »

Des hôpitaux de « deuxième ligne » sont par ailleurs désignés dans chaque région. « Nous demandons à la totalité des hôpitaux, notamment ceux de proximité, de se préparer à augmenter leurs capacités afin de recevoir les patients si jamais les capacités des CHU étaient dépassées », a annoncé, mardi 25 février, Michel Laforcade, le directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. En Ile-de-France, les établissements de Pontoise, Melun, Versailles et de Corbeil-Essonnes « sont en préparation et seront activés sur décision en fonction de l’évolution de la situation », a fait savoir vendredi l’ARS.

Au sein même des hôpitaux, les soignants se préparent à cet afflux de patients. « On se tient prêts collectivement », explique Jean-François Alexandra, praticien en médecine interne à Bichat. Son service ne sera pas directement concerné mais pourra servir à délester les patients « non coronavirus » du service d’infectiologie. Objectif de cette « deuxième ligne » interne à l’hôpital :
« Faire le maximum pour se tenir prêt à pallier le surcroît d’activité des services en première ligne. »

Au CHU de Tours, Louis Bernard, le chef du service des maladies infectieuses, anticipe déjà le scénario des prochaines semaines. « On voit la vague arriver, on s’y prépare et on prépare aussi les étapes d’après. A un moment, en situation épidémique, nos dix-sept lits d’hospitalisation ne suffiront peut-être pas, le but sera alors de laisser le maximum de cas en dehors de l’hôpital. Quand on sera en dépassement des structures d’accueil, l’isolement se fera à la maison. » Ces prochaines semaines et ces prochains mois, met en garde Xavier Lescure, à Bichat, « il faudra maintenir la qualité de la prise en charge de tout ce qui ne sera pas du coronavirus. Ce sera la vraie difficulté ».