Politique santé sécu social de l’exécutif

Regard.fr - Comment le 49.3 va sauver vos retraites

Février 2020, par Info santé sécu social

L’exécutif va-t-il tenir sa réforme des retraites sans passer par le recours au 49.3 ? Tout semble indiquer le contraire. Une envie de passage en force, au risque de voir ce texte si mal ficelé retoqué par la suite.

Depuis l’arrivée du texte de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale la semaine dernière, c’est le bordel, institutionnellement parlant. Il faut dire que l’opposition a su user de tous les outils à sa disposition – et notamment du fameux droit d’amendement.

Il n’est pas nouveau ni étonnant de voir la Macronie suer à grosses gouttes face aux droits de l’opposition. Au point de ne pas hésiter à répandre quelques fake news. Avant la première lecture du texte, 40.000 amendements ont été déposés, dont 23.000 uniquement par le groupe La France insoumise. Une « obstruction » tout ce qu’il y a de plus légal, n’en déplaise aux députés LREM et à leur gouvernement. Agacés, ces parlementaires sont allés jusqu’à faire circuler auprès des journalistes le chiffre de 700.000 sous-amendements, leur permettant de hurler au « blocage institutionnel de notre pays ». Imaginez ce qu’il faut de nerfs perdus pour que le co-rapporteur du texte éructe à l’opposition : « La République c’est nous, et que vous vous n’êtes rien » !

Dommage, LFI n’a déposé que 141 sous-amendements, explique le président du groupe Jean-Luc Mélenchon, ajoutant : « Je les accuse de vouloir préparer un 49.3 et de vouloir chauffer l’opinion en donnant l’impression du chaos dans l’hémicycle ».

D’ailleurs, ce même Jean-Luc Mélenchon a déclaré sur LCI : « Je suis plutôt pour qu’on fasse baisser le ton, je suis pour un débat avec des normes humaines ». La bataille des amendements est terminée. Et pour cause, la stratégie de l’obstruction après la mobilisation, ce scénario peut-il déboucher sur autre chose que l’adoption du texte, sous quelques formes que ce soit, au risque du 49.3 ?

Une démocratie à la définition mouvante
Car derrière tout le tintamarre parlementaire, une idée perce le brouillard de cette réforme : le passage en force. À vrai dire, tout le monde y pense depuis un moment. L’opposition accuse. La CFDT le redoute. Mais la nouveauté, c’est cette Macronie qui veut l’assumer, à mots à peine couverts. Si l’opposition a des droits légaux et constitutionnels, l’exécutif et la majorité aussi. Parmi eux, le 49.3. Pour le coup, la majorité parlementaire s’offusque nettement moins face à cette idée. Quoique… Le patron des députés LREM Gilles Le Gendre n’a rien contre l’idée du 49.3, mais il préférerait que « ça ne doit pas être un 49.3 couperet, bête et méchant, prenant tel quel le texte initial », comprenez : oui au 49.3, mais en tenant compte des amendements de la majorité. Quel système politique merveilleux où l’opposition est tout bonnement effacée de l’histoire, où les pouvoirs séparés s’épousent au grand jour !

LREM joue la carte suivante : si 49.3 il y a, c’est tout la faute des insoumis et des communistes. Ah bon ? 33 députés auraient un tel pouvoir face à une confortable majorité absolue à l’Assemblée ? Seront dupes ceux qui veulent bien l’être mais même pour certains membres de cette majorité, la magouille semble un peu grosse.

Reste à savoir quand Emmanuel Macron – car il est le seul maître des horloges, n’oublions pas – enclenchera la procédure. Il se dit que le Président veut faire adopter la réforme avant les municipales. Pourquoi donc ? Pour aller vite, tout bonnement ? Il est vrai qu’à ce rythme (un article adopté après une semaine de débat), l’Assemblée ne finirait l’examen du texte qu’à l’automne. Heureusement que la procédure accélérée est invoquée !

Mais on a vu pire : comme le rappelait Adrien Quatennens dimanche dernier, la privatisation d’EDF en 2006, c’était 137.000 amendements et la privatisation de TF1 des semaines de débats. La Macronie croit vraiment avoir affaire à une séquence exceptionnellement dure ? Et depuis quand la vitesse du législatif est-elle un gage de grandeur ? Sans vouloir défendre la droite gaulliste qui a mis en place cette monarchie parlementaire, Michel Debré lui-même vantait le temps long de la création de la loi. Ah, l’Ancien Monde ! Si romantique… Avec Macron, on va plus vite, plus loin, plus fort !

Motion de censure = enfin de la politique !
Il va sans dire que le 49.3, les Français n’aiment pas trop ça. Mais réjouissez-vous, grâce à cela, nous allons enfin vivre un moment purement politique ! Qui dit 49.3 dit motion de censure. Toute l’opposition, de droite comme de gauche, est sur les starting-blocks. Car, qui dit motion de censure – n’allez pas croire que l’Assemblée va renverser le gouvernement et faire capoter la loi, oh, là, comme vous y allez ! – dit discours des présidents de groupe, enfin (mais à la fin) des paroles politiques, projet de société contre projet de société. Car depuis le début, on ne peut pas dire que la politique ait été au rendez-vous - les deux minutes de prise de parole n’ont pas aidé, d’ailleurs. On peut même donner raison à Laurent Berger qui, sur France Inter, déplore que personne n’ait simplement justifié la raison d’être du projet de réforme (équilibre financier mis à part).

Le débat politique ne peut rester au strict niveau du nombre d’annuités, de l’âge-pivot, de la définition de la pénibilité et des masses budgétaires en jeu. Non, il faut que l’on puisse voir, dans les débats, se dessiner les différentes sociétés qui sont prônées par chacune des forces politiques en présence. Dépasser le cadre légicentriste imposé par la droite macroniste pour véritablement entrer dans la définition de la société de demain, tel est le véritable enjeu. Car l’Assemblée nationale a déjà été, de part le passé, le lieu de ce type de débats : comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon lui-même en séance, Jean Jaurès ne s’est pas gêné lorsqu’à la tribune il s’est livré à une puissante définition de ce qu’était le socialisme.

En bout de course, Édouard Philippe semble être le seul à douter de la pertinence du 49.3. C’est son côté juppéiste. Il faut reconnaître au Premier ministre d’être le seul du clan à remonter un peu le niveau – pas pour rien qu’il est à Matignon. Hélas, lui sait ce qui attend la réforme : la censure du Conseil constitutionnel. À ce jeu-là, la figure du Président-Prince ne peut pas gagner. C’est LA bombe à retardement qui attend Emmanuel Macron. Le Conseil constitutionnel censurera-t-il tout ou partie de la réforme ? Comme le recours à 29 ordonnances pour combler le « texte de loi à trous » ou ses innombrables faiblesses comptables ? Ce serait de fait une humiliation sans nom. Deux personnes en détiennent la clé : Laurent Fabius, président du Conseil, et Alain Juppé, membre siégeant. Le premier aura-t-il le courage ? Le second aura-t-il la revanche tenace ? Voilà tout ce à quoi tiennent vos retraites, et surtout celles de vos enfants, si aucun grand récit ne vient les transcender.