Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : en optant pour des mesures de confinement, la France espère gagner un temps précieux

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : en optant pour des mesures de confinement, la France espère gagner un temps précieux

La priorité des experts est d’éviter la superposition du Covid-19 avec l’épidémie de grippe saisonnière, et empêcher le chaos dans les hôpitaux.

Par Chloé Hecketsweiler•

Publié le 1er mars 2020

A ce stade, c’est la mesure la plus emblématique de la lutte de la France contre le coronavirus. L’annulation du semi-marathon de Paris, qui devait se courir dimanche 1er mars, a illustré l’intensification des mesures décidées par l’Etat pour juguler la diffusion du Covid-19, alors que cent cas ont déjà été confirmés sur l’ensemble du territoire, selon des chiffres communiqués samedi 29 février.

Annoncée moins de 24 heures avant le début de la course, alors que la majorité des 44 000 participants avaient déjà retiré leur dossard, elle est aussi le reflet d’une riposte définie en temps réel face à une menace aux contours encore mal définis. D’autres grands événements ont été annulés dans le reste de la France, comme le salon de l’immobilier Mipim à Cannes ou la dernière journée du salon de l’Agriculture.

Ce type de mesures, dites de « distanciation sociale » - réduction des rassemblements, fermeture des écoles, télétravail, limitation des transports -, ont pour objectif de circonscrire le plus longtemps possible l’épidémie, afin de gagner du temps. En effet, le pic de l’épidémie de grippe saisonnière est « derrière nous, mais il y a encore beaucoup de personnes malades, y compris dans nos hôpitaux », a expliqué le ministre de la santé, Olivier Véran, samedi.

La stratégie est selon lui que « les deux événements ne se télescopent pas ». « Nous ne sommes pas sûrs d’y arriver, mais nous faisons tout pour réussir », a-t-il déclaré. Dans la mesure où le virus « circule déjà » en France, il a en revanche levé les mesures de confinement pour les personnes de retour d’une zone à risque.
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« Cela vaut le coup »

Ces mesures sont-elles adaptées ? « On pourrait se dire : « de toute façon le virus est transmissible, il va arriver, c’est inexorable, donc pourquoi tant d’efforts, tant de restrictions ? » Mais cela vaut le coup pour plusieurs raisons, », estime le Dr Daniel Levy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de Santé publique France.

En freinant la diffusion du coronavirus, le gouvernement espère d’abord éviter le chaos dans les hôpitaux. « La grippe, cette année, est particulièrement gentille, mais il y a quand même quelques personnes en réanimation. Si on avait eu à ajouter les malades du Covid-19, cela aurait été un élément de faiblesse extrêmement fort », souligne le Dr Levy-Bruhl, en rappelant la « fragilité » des établissements de soins. Laisser passer l’épidémie de grippe permettrait aussi de mieux repérer les cas d’infections liés au coronavirus, trop souvent confondus avec cette affection saisonnière, ce qui retarde le diagnostic.

Cette période de préparation est d’autant plus importante qu’en l’absence de certitude sur la saisonnalité du Covid-19, il pourrait bien s’installer dans la durée sur le territoire. « On n’est pas en mesure d’être totalement rassurés sur le fait qu’il suffit d’attendre les beaux jours pour que le virus ne trouve plus des conditions favorables à sa circulation », précise le Dr Levy-Bruhl. Les premières recherches, fondées sur la comparaison des régions chinoises aux climats différents, indiquent en effet que la température et l’humidité ont peu d’impact sur la transmissibilité du virus.

Fonction sociale

Le temps gagné doit permettre aux experts de réunir davantage d’information sur la meilleure façon de contrôler le virus et de traiter les malades. Il est trop tôt pour qu’un vaccin soit disponible, mais « plusieurs molécules sont en cours d’expérimentation et on peut espérer qu’une d’elles, voire plusieurs, s’avère être suffisamment efficace pour être utilisée », indique le Dr Levy-Bruhl.

Au-delà de la préparation du système de santé, ces mesures ont aussi pour objectif de préparer la société. « Petit à petit on va s’habituer à des mesures qui modifient notre quotidien. Il faut qu’elles soient progressivement intégrées par la population », considère le Dr Levy-Bruhl, en précisant que dans l’immédiat, il n’y a pas lieu pour la majorité des Français de changer leur vie quotidienne, mis à part en appliquant les mesures de précaution rappelées par le ministère (se laver des mains, éviter les bises et les poignées de main).

Dans l’immédiat, les annulations ne visent que les événements à l’origine d’un important brassage de population. Près de 20 % de coureurs étrangers étaient ainsi attendus pour le semi-marathon parisien. « Assister à un match de football dans un stade ouvert ne participe pas au critère de confinement aujourd’hui tel que nous l’avons défini, a justifié Olivier Véran. Ce sont des matches à l’échelle nationale qui ne mettent pas en jeu des équipes issues de zones à risques, ni nationales ou internationales, donc il n’y a pas lieu d’annuler ces événements. »

Peu de précédents

Sur le papier, les mesures de confinement font partie de la « routine » en cas d’épidémie, mais en réalité elles ont rarement été appliquées. « En 1918 [au début de l’épidémie de grippe espagnole], le gouvernement ne les a pas prises pour ne pas nuire au moral de la population, rappelle Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Il y avait déjà la guerre : ce n’était pas la peine de réduire encore la vie sociale. » Autre exemple : à Vannes (Morbihan) en 1955, lors de l’épidémie de variole : « Là encore le préfet a reculé en disant : on ne va pas faire de Vannes une ville morte. (…). Les renseignements généraux avaient déjà enregistré des plaintes de commerçants qui avaient vu leur chiffre d’affaires chuter de 20 % parce qu’on déconseillait aux gens d’aller faire leurs courses en ville. »

Selon lui, la « quarantaine » classique a une efficacité limitée dans ce contexte. « D’abord il y a toujours des fuites. Ensuite, [en confinant] des personnes asymptomatiques, vous enfermez des gens qui sont indemnes avec des personnes contagieuses, donc vous étendez le mal au lieu de le limiter », estime-t-il. Dans les situations de confinement individuel, d’autres difficultés peuvent apparaître. A Toronto, lors de l’épidémie de SRAS en 2003, on avait ainsi demandé à certaines personnes de rester chez elles pendant dix jours : « à la fin elles se plaignaient de symptômes dépressifs. Cela à l’air anodin, mais cela ne l’est pas complètement », insiste Patrick Zylberman, en rappelant que les infections respiratoires sont d’abord « une histoire de gouttelettes et de postillons. Mettre des palissades, cela ne sert à rien. »