Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : le dispositif à géométrie variable du gouvernement suscite des interrogations

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : le dispositif à géométrie variable du gouvernement suscite des interrogations

Pour freiner l’épidémie du Covid-19 en France, le gouvernement a annulé samedi les grands rassemblements. Mais d’autres lieux très fréquentés n’ont pas été visés par les mesures.

Publié le 2/03/2020

La question n’est plus de savoir si le nouveau coronavirus va se propager à l’ensemble du territoire mais quand. Avec 130 cas diagnostiqués de Covid-19, et des « clusters » – cas groupés – identifiés dans plusieurs régions, la France pourrait franchir le seuil de l’épidémie dans les tout prochains jours.

Dans ce contexte, le gouvernement a changé son fusil d’épaule ce week-end, en mettant fin aux « quatorzaines » imposées aux personnes de retour d’une zone « à risque » et en adoptant des mesures plus globales, comme l’annulation des grands rassemblements. « C’est l’évolution de la doctrine : on est plus aujourd’hui dans une logique de freiner la diffusion du virus », a expliqué Jérome Salomon, directeur général de la santé, lors d’une conférence de presse dimanche 1er mars. « Il n’y a plus beaucoup de sens à différencier les zones où il circule », a-t-il précisé citant l’existence de plusieurs chaînes de transmission et clusters, notamment dans l’Oise, la Haute-Savoie, et à Paris.

A moins de 24 heures du départ, le semi-marathon qui devait rassembler 44 000 participants à Paris, a donc été annulé. Le Salon de l’agriculture a été écourté d’une journée, et le Mimpim, le salon international de l’immobilier qui devait réunir 25 000 professionnels à Cannes début mars, a été reporté à juin. L’édition 2020 du salon Livre Paris, qui devait se tenir du 20 au 23 mars à la Porte de Versailles, a également été annulée. Ces « mesures barrières » figurent dans le plan pandémie grippale de 2011 et reposent sur « une analyse de bon sens », selon l’expression du directeur général de la santé. Mais elles suscitent en creux des interrogations sur le risque d’exposition dans d’autres lieux très fréquentés, qui n’ont pas été visés par le dispositif du gouvernement.

Ces mesures ont du sens

Quid par exemple du parc Disneyland, dont la moitié des visiteurs vient de l’étranger ? Interrogé sur ce sujet, le docteur Jérome Salomon s’est justifié en expliquant qu’« on n’est pas face à un virus qui flotte dans l’air, mais qui se transmet par les personnes qui éternuent, qui se mouchent et qui vous serrent la main (…). Les activités en extérieur où vous êtes à deux mètres les uns des autres ne posent pas problème ». La situation des grands musées n’a pas non plus été clarifiée bien que le Louvre soit resté fermé toute la journée de dimanche, les salariés ayant exercé leur droit de retrait. « Il n’y a pas de mesures drastiques à prendre (…). La situation ne l’exige pas », a assuré Jérôme Salomon, qui n’anticipe pas de fermetures de grands établissements.

Dans l’Oise, les écoles, collèges et lycées de neuf communes resteront en revanche fermés lundi 2 mars, le temps d’identifier d’éventuels cas. Mais de telles mesures ont encore du sens alors que la diffusion du virus est inexorable ? « Cela vaut le coup pour plusieurs raisons », estime le docteur Daniel Levy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de l’agence sanitaire Santé publique France.

En freinant la diffusion du coronavirus, le gouvernement espère d’abord éviter le chaos dans les hôpitaux. « La grippe, cette année, est particulièrement gentille, mais il y a quand même quelques personnes en réanimation. Si on avait eu à ajouter les malades du Covid-19, cela aurait été un élément de faiblesse extrêmement fort », souligne le docteur Levy-Bruhl, en rappelant la « fragilité » des établissements de soins. Laisser passer l’épidémie de grippe permettrait aussi de mieux repérer les cas d’infections liés au coronavirus, trop souvent confondus avec cette affection saisonnière, ce qui retarde le diagnostic.

Cette période de préparation est d’autant plus importante qu’en l’absence de certitude sur la saisonnalité du Covid-19, il pourrait bien s’installer dans la durée sur le territoire. « On n’est pas en mesure d’être totalement rassurés sur le fait qu’il suffit d’attendre les beaux jours pour que le virus ne trouve plus des conditions favorables à sa circulation », précise le docteur Levy-Bruhl. Les premières recherches, fondées sur la comparaison des régions chinoises aux climats différents, indiquent en effet que la température et l’humidité ont peu d’impact sur la transmissibilité du virus.

Trop tôt pour qu’un vaccin soit disponible

Le temps gagné doit permettre aux experts de réunir davantage d’information sur la meilleure façon de contrôler le virus et de traiter les malades. Il est trop tôt pour qu’un vaccin soit disponible, mais « plusieurs molécules sont en cours d’expérimentation et on peut espérer que l’une d’elles, voire plusieurs, s’avère être suffisamment efficace pour être utilisée », indique le docteur Levy-Bruhl.

Au-delà de la préparation du système de santé, ces mesures ont aussi pour objectif de préparer la société. « Petit à petit on va s’habituer à des mesures qui modifient notre quotidien. Il faut qu’elles soient progressivement intégrées par la population », considère le docteur Levy-Bruhl, en précisant que, dans l’immédiat, il n’y a pas lieu pour la majorité des Français de changer leur vie quotidienne, mis à part en appliquant les mesures de précaution rappelées par le ministère (se laver des mains, éviter les bises et les poignées de main).

Dans l’immédiat, les annulations ne visent que les événements à l’origine d’un important brassage de population. Près de 20 % de coureurs étrangers étaient ainsi attendus pour le semi-marathon parisien. « Assister à un match de football dans un stade ouvert ne participe pas au critère de confinement aujourd’hui tel que nous l’avons défini, a justifié Olivier Véran. Ce sont des matchs à l’échelle nationale qui ne mettent pas en jeu des équipes issues de zones à risques, ni nationales ou internationales, donc il n’y a pas lieu d’annuler ces événements. »

Peu de précédents

Sur le papier, les mesures de confinement font partie de la « routine » en cas d’épidémie, mais, en réalité, elles ont rarement été appliquées. « En 1918 [au début de l’épidémie de grippe espagnole], le gouvernement ne les a pas prises pour ne pas nuire au moral de la population, rappelle Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Il y avait déjà la guerre : ce n’était pas la peine de réduire encore la vie sociale. »

Autre exemple : à Vannes (Morbihan) en 1955, lors de l’épidémie de variole : « Là encore, le préfet a reculé en disant : on ne va pas faire de Vannes une ville morte. (…) Les renseignements généraux avaient déjà enregistré des plaintes de commerçants qui avaient vu leur chiffre d’affaires chuter de 20 % parce qu’on déconseillait aux gens d’aller faire leurs courses en ville. »

Selon lui, la « quarantaine » classique a une efficacité limitée dans ce contexte. « D’abord, il y a toujours des fuites. Ensuite, [en confinant] des personnes asymptomatiques, vous enfermez des gens qui sont indemnes avec des personnes contagieuses, donc vous étendez le mal au lieu de le limiter », estime-t-il.

Dans les situations de confinement individuel, d’autres difficultés peuvent apparaître. A Toronto, lors de l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003, on avait ainsi demandé à certaines personnes de rester chez elles pendant dix jours : « A la fin, elles se plaignaient de symptômes dépressifs. Cela à l’air anodin, mais cela ne l’est pas complètement », insiste Patrick Zylberman, en rappelant que les infections respiratoires sont d’abord « une histoire de gouttelettes et de postillons. Mettre des palissades, cela ne sert à rien ».