Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM (Journal International de Médecine) - Exclusif : les professionnels (jusqu’ici) satisfaits de la gestion du Covid-19 par le ministère de la santé

Mars 2020, par Info santé sécu social

Paris, le lundi 2 mars 2020

Les professionnels de santé se montrent quasiment systématiquement critiques vis-à-vis de la gestion des alertes épidémiques par les pouvoirs publics. Outre le souvenir cuisant qu’a laissé la prise en charge de la grippe H1N1 chez les médecins de ville, scandalisés par leur éviction du parcours de vaccination, la façon dont les autorités ont réagi face à la plupart des crises de ces dernières années a été considérée comme inadaptée. Les sondages réalisés sur notre site ont ainsi mis en évidence que près de trois quart des professionnels de santé ont estimé insuffisante la réponse des gouvernements face au Zika ou à l’épizootie de grippe aviaire en 2006, quand huit ans plus tard, ils étaient un peu moins nombreux mais néanmoins plus de la moitié à avoir le même jugement concernant Ebola.
Une très faible proportion de praticiens jugent les réactions ministérielles excessives
L’épidémie de Covid-2019 fera-t-elle exception ? Les résultats de l’enquête réalisée sur notre site du 2 au 25 février et qui a suscité un nombre presque record de réponses (1 052 ce qui témoigne comme l’audience de tous nos articles sur le sujet de l’intérêt marqué des professionnels de santé) pourrait le laisser croire. Il apparaît en effet que plus de la moitié de nos lecteurs ayant pris part au sondage considèrent « adaptée » la réaction du ministère de la Santé face à l’émergence du nouveau coronavirus. Ils sont a contrario 10 % à la qualifier d’excessive, une proportion faible eu égard à la teneur majoritaire des messages des infectiologues aujourd’hui dans les médias (y compris sur le JIM) qui se montrent rassurants vis-à-vis de l’épidémie, ce qui pourrait inciter à souhaiter des dispositifs mesurés. Par ailleurs, 28 % des professionnels de santé indiquent au contraire qu’ils perçoivent la réponse des pouvoirs publics comme « insuffisante » et 6 % s’interrogeant probablement sur l’évolution de l’épidémie ont préféré ne pas se prononcer.


Estimez-vous que la réaction du ministère de la santé face à l émergence d’un nouveau coronavirus en Chine est
 Adaptée : 56%
 Excessive : 10%
 Insuffisante 28%
 Ne se prononcent pas : 6%
Nombre total de votants 1052


Avant la crise : jusqu’ici tout va bien
Ces résultats surprenants doivent-ils conduire à conclure à une adéquation, assez inédite, (d’autant plus qu’une crise de confiance certaine frappe le gouvernement), entre les professionnels de santé et les autorités sanitaires ? Pas si sûr. D’abord, on se souviendra qu’avant que le virus H1N1 ne connaisse une réelle circulation en France, quand notre pays était encore en phase préparatoire, la perception des professionnels de santé était plutôt bienveillante quant aux mesures déployées par le gouvernement qui a été si sévèrement critiqué ensuite. Ainsi, un sondage réalisé en mai 2009 sur notre site révélait qu’une courte majorité de professionnels de santé (50 %) jugeait que le gouvernement avait « bien géré la situation ».

Par ailleurs, ce nouveau sondage a été lancé alors que les répercussions en France étaient encore très restreintes et on a pu observer qu’au fur et à mesure que le nombre de cas progressait, en particulier la semaine dernière, la proportion de praticiens évaluant de manière positive les réactions du ministère de la santé diminuait.

Gestion calamiteuse
Surtout, les représentants des professionnels de santé se montrent pour la plupart peu confiants. Le Collectif InterHôpitaux invite ainsi le gouvernement à mieux tenir compte des situations problématiques liées d’une part au placement en quarantaine de certains soignants (comme à Creil et à Compiègne) et d’autre part aux conséquences de la désertification médicale sur l’accueil des malades. De son côté, la Fédération des médecins de France (FMF) n’hésite pas à parler d’une « gestion (…) particulièrement calamiteuse ». Le syndicat énumère ainsi les dysfonctionnements de ces dernières semaines : des personnes potentiellement contaminées (parce que cas contacts) faisant « la queue en file d’attente resserrée aux Contamines-Montjoie le lendemain de l’annonce du dépistage de ce foyer » ou le fait que de retour de zones à risque, certains militaires aient eu « droit à une permission » sans être invités à s’isoler ! Le syndicat parle encore du maintien difficilement compréhensible la semaine dernière du match de foot Lyon-Turin et surtout il dénonce : « On assiste à une pénurie de masques protecteurs notamment pour les soignants ».

Où sont les masques ?
Les affres de la distribution de masques aux professionnels de santé pourraient bien en effet rapidement transformer le regard porté par ces derniers sur la qualité de la réponse gouvernementale. Annoncés la semaine dernière et devant être positionnés dans les officines, les masques chirurgicaux et FFP2, mais aussi les solutions hydro-alcooliques et les lunettes de protection (voir les thermomètres à usage unique) ne sont toujours pas disponibles, et sont désormais annoncés pour « la semaine du 2 mars ». Les médecins généralistes (pour l’heure la communication de la Direction générale de la santé concernant les médecins n’évoque pas le cas des spécialistes auprès de qui des sujets contaminés seront amenés à consulter) doivent recevoir cette semaine un bon de retrait envoyé par la caisse nationale d’assurance maladie pour pouvoir retirer les matériels en officine. Ils ne devraient cependant pas recevoir, dans un premier temps, des masques FFP2, mais uniquement des masques chirurgicaux : les informations de la DGS du 28 février rappellent en effet que « les masques FFP2 sont réservés aux professionnels de santé en contact étroit avec un malade confirmé »... difficile cependant de savoir avant de prendre en charge le patient s’il est ou non un patient confirmé !

Quelle prise en charge ?
Outre cette incertitude concernant leur approvisionnement en matériel, les professionnels de santé pourraient également se montrer démunis quant à la prise en charge des cas suspects. Le stade épidémique en France n’ayant pas encore dépassé le stade 2, les médecins en présence d’un cas suspect doivent informer le 15. Cependant, des déclarations de certains responsables, dont Martin Hirsch patron de l’Assistance publique / Hôpitaux de Paris évoquent aujourd’hui la possibilité de recommander aux patients ne présentant pas de formes graves de rester chez eux : une attitude probablement justifiée cliniquement, mais qui tranche avec les recommandations ministérielles, ce qui ne peut manquer de susciter confusion et inquiétude.

Plus besoin de quatorzaine pour les personnes de retour d’une zone à risque ?
De la même manière, les praticiens pourraient éprouver quelques difficultés à répondre aux questions des patients concernant différentes mesures pratiques. S’agissant par exemple des arrêts de travail à établir pour les personnes revenant des zones à risque et pour lesquelles un isolement à domicile est envisagé, ce sont les praticiens de l’Agence régionale de Santé qui seront chargés de les signer… mais ce sont les praticiens de ville qui auront la charge de transmettre les données aux institutions ; une surcharge administrative malvenue dans le contexte actuel. Par ailleurs, ces mesures d’isolement suscitent en elles-mêmes de nombreuses interrogations. Ainsi, les enfants revenus de voyage dans des zones à risque ont été priés la semaine dernière de ne pas se rendre à l’école pendant quatorze jours : une mesure levée désormais. En effet, le stade 1 de l’épidémie ayant été dépassé puisque « Le virus ne vient plus seulement de Chine et d’Italie » et « circule déjà au sein de plusieurs regroupements de cas en région », certaines mesures propres à cette phase dont la quatorzaine des personnes revenant d’une zone à risque ne sont plus en vigueur ! S’il existe une cohérence théorique, en pratique, les médecins devront user de toute leur pédagogie pour faire comprendre aux patients pourquoi les mesures qui s’appliquaient la semaine dernière sont aujourd’hui révolues alors que l’épidémie semble être "plus grave" ; et ce d’autant plus que dans les départements concernés par un foyer les écoles sont désormais fermées.

Semi-marathon : interdit, matchs de Ligue 1 : maintenus ; le Louvre : incertitude
Le même sentiment d’incohérence pourrait étreindre les médecins et dès lors altérer leur jugement positif de la gestion face aux restrictions touchant les rassemblements. Le gouvernement explique appliquer une logique cohérente en précisant qu’en dehors des zones concernées par un foyer, sont interdits « tous les rassemblements de plus de 5000 personnes en milieu confiné » et ceux « en milieu ouverts, quand ils conduisent à des mélanges avec des personnes issues de zones où le virus circule possiblement ». Ces critères expliquent l’interdiction du semi-marathon parisien mais le maintien de certains matchs de Ligue 1, qui ne suscitent guère l’intérêt des spectateurs étrangers. Néanmoins, alors que les personnels du Louvre ont exercé leur droit de retrait, beaucoup pourraient effectivement juger pertinente cette demande de précision concernant la définition « d’espaces confinés ».

Autant de points qui marquent la nécessité d’une parfaite cohérence dans l’ensemble des mesures adoptées et également une réponse rapide aux besoins des professionnels de santé, qui sont sans doute les points essentiels pour garantir la bonne participation de tous.

Aurélie Haroche