Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : comment la France se prépare à la phase 3 de l’épidémie

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : comment la France se prépare à la phase 3 de l’épidémie

En prévision de l’afflux de malades, le système de santé s’organise. Pour éviter tout risque de contamination de patients entre eux, de nombreux hôpitaux ont mis en place des centres de consultation dédiés.

Par Chloé Hecketsweiler et François Béguin•

Publié le 06/03/2020

Ce n’est désormais plus qu’une question de jours. Plus rapidement sans doute qu’anticipé, la France se prépare à passer au stade 3 de l’épidémie de coronavirus. Ce cap sera atteint « dans quelques jours, une ou deux semaines maximum », a estimé, jeudi 5 mars, le professeur de médecine Jean-François Delfraissy, à l’issue d’une réunion d’experts avec le président Emmanuel Macron à l’Elysée.

Jeudi 5 mars à 16 heures, 423 cas étaient recensés, dont 138 nouveaux cas confirmés et trois nouveaux décès rapportés, soit la plus forte augmentation de cas et de décès en une journée depuis le début de la crise. Il devrait donc bientôt être impossible de retracer les chaînes de transmission, et d’identifier des « clusters » (des cas groupés) précis, ce qui marquera l’entrée en phase 3. « Il y a un moment où, nous le savons tous (…), une épidémie est de toute façon inexorable », a déclaré le chef de l’Etat jeudi soir.

Ce ne sera pour autant pas un « grand soir ». A ce stade, aucune mesure nationale de quarantaine, de fermeture d’écoles ou de restriction de circulation n’est envisagée, comme le prévoit, de façon très théorique, le Plan de prévention et de lutte rédigé en 2011 en cas de pandémie grippale. Les mesures devraient être décidées région par région. « On ne paralysera pas la vie économique et sociale du pays », promet le ministre de la santé, Olivier Véran, dans un entretien à Libération vendredi 6 mars. « Quand l’épidémie est là, il s’agit surtout d’organiser le système d’alerte et de soin, et d’assurer la continuité des services de l’Etat, sans empêcher les citoyens de vivre. »

Eviter trop de victimes

En matière de prise en charge des patients, il ne s’agira plus de contenir le virus mais d’éviter qu’il ne fasse trop de victimes. « En phase épidémique, la priorité sera la protection des personnes fragiles et le maintien des capacités de réanimation », insiste Aurélien Rousseau, le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, où 91 cas ont été confirmés. A ce stade, personne n’arrive cependant à mesurer l’ampleur de la vague à venir. « On s’attend à recevoir des patients plus nombreux et plus graves, mais on ne sait pas combien, et on ne sait pas à quel degré de gravité », reconnaît François Crémieux, le directeur général adjoint de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Pour éviter tout risque de contamination de patients entre eux, de nombreux hôpitaux ont mis en place des centres de consultations dédiés, autonomes des services d’urgences habituels. A l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil, des tentes ont été installées à l’extérieur de l’hôpital.

Des lits supplémentaires ont également été dégagés. A l’AP-HP, on annonce disposer d’une centaine de lits à Bichat et la Pitié-Salpétrière, les deux hôpitaux de référence, et de 500 lits répartis sur tous les établissements du groupe. A l’hôpital Tenon, à Paris, un petit pavillon a été réaménagé pour pouvoir accueillir les patients infectés par le coronavirus. Bientôt, un chemin, avec des pas tracés à la peinture au sol, guidera les patients depuis l’entrée jusqu’à ce lieu, comme c’est déjà le cas à l’hôpital Bichat.

Sur toute l’Ile-de-France, c’est au total 1 500 lits dans les services de maladie infectieuse ou de médecine qui devraient être disponibles. « On s’adaptera à l’évolution de l’épidémie, si on en a besoin de davantage, on se réorganisera », annonce François Crémieux. Des opérations non-urgentes pourraient alors être déprogrammées pour libérer des lits. « L’un des enjeux de la phase 3 sera de disposer de lits de réanimation en nombre suffisant », ajoute-t-il.

Renoncer à isoler les soignants

En prévision de l’afflux de patients, les hôpitaux ont renoncé à isoler les soignants qui auraient été en contact avec des malades du Covid-19. Les 70 soignants de Tenon mis en quarantaine la semaine dernière sont ainsi revenus travailler. « Pour les patients, le rapport bénéfice-risque est clair : il vaut mieux avoir des soignants sous surveillance plutôt que vider les services de leurs compétences », estime le professeur Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales. « Nous voulons éviter le décrochage de services entiers, comme on a pu le voir à Creil et Compiègne le week-end dernier », confirme Aurélien Rousseau. Dans ces deux hôpitaux, près de 200 soignants avaient été confinés après un contact avec des cas confirmés. Côté médecins, des infectiologues récemment retraités se sont portés candidats pour renforcer les équipes.

En phase épidémique, la majorité des personnes atteintes seront vues par les médecins de ville. Sauf cas grave, « il ne faudra pas appeler le 15 si on a des symptômes, explique François Braun, président de Samu-Urgences de France et chef du pôle Urgences de l’hôpital de Metz. Ça va être une phase plus simple. On ne va pas prélever tout le monde : quelqu’un ayant un symptôme grippal sera considéré comme ayant le coronavirus. »

Le masque porté par le médecin et le patient

Appelés à devenir ces prochaines semaines des acteurs de première ligne, les médecins généralistes sont moins optimistes. Ils estiment ne pas avoir reçu d’indications claires sur la marche à suivre face à l’afflux probable de patients. Ils s’inquiètent également de leur faible niveau de protection. Si dix millions de masques chirurgicaux issus des stocks de l’Etat ont commencé à être mis à disposition des professionnels de santé, mardi, dans toutes les pharmacies françaises, ce nombre a été jugé insuffisant. Pour que la protection soit efficace, le masque doit être porté à la fois par le médecin et le patient. « Dans ces conditions, les 50 masques qu’on nous a alloués vont disparaître en deux jours », s’alarme le docteur Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), en soulignant que ces masques doivent être changés toutes les trois heures.

Les médecins regrettent par ailleurs de ne pas avoir accès à des masques FFP2, aujourd’hui réservés aux hospitaliers. « La France vient seulement d’en passer commande alors que l’épidémie a commencé il y a un mois et demi », regrette M. Ortiz. « On n’est pas armés, mais on va faire avec, on va faire mine de croire que les masques chirurgicaux distribués par l’Etat sont aussi efficaces que les FFP2 dont disposent les hospitaliers », lance Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France (FMF).

Pour limiter les risques de contamination du médecin et entre malades dans les salles d’attente, des réflexions sont en cours pour assouplir le cadre du remboursement des consultations à distance. Patrick Bouet, le président de l’Ordre des médecins, a appelé mercredi à la mise en place rapide d’une « procédure temporaire et dérogatoire » qui permettrait aux médecins de « faciliter le recours à la téléconsultation », avec une prise en charge par l’Assurance maladie. « On peut imaginer de façon dérogatoire des consultations téléphoniques via Skype ou FaceTime », précise Jean-Paul Ortiz.

En l’absence d’auscultation, les médecins craignent cependant les ratés : « Cette approche approximative fait courir un risque au patient car on peut passer à côté d’une infection pulmonaire », souligne Jacques Battistoni, le président de MG France, le premier syndicat chez les médecins généralistes. « Passe encore pour les patients qu’on connaît mais, pour les autres, c’est un risque. »