Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : pourquoi le taux de létalité varie d’un pays à l’autre

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : pourquoi le taux de létalité varie d’un pays à l’autre

La première des choses est d’interpréter avec précaution les calculs sur le taux de létalité, qui peut être surestimé ou sous-estimé.

Par Paul Benkimoun

Publié le 06/03/2020

Le Covid-19 « est une maladie sérieuse. Il n’est pas mortel pour la plupart des gens, mais il peut tuer ». C’est le constat qu’a énoncé devant la presse, jeudi 5 mars, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus. Deux jours auparavant et dans le même cadre, il avait indiqué : « Globalement, environ 3,4 % des cas de Covid-19 signalés sont décédés. En comparaison, la grippe saisonnière tue généralement moins de 1 % des personnes infectées. »

Alors que la barre des 100 000 cas a été dépassée et que le nombre cumulé de décès avoisine les 3 400 dans le monde, une autre statistique est à souligner : sur les plus de 57 000 personnes ayant été infectées, pour lesquelles on connaît l’issue de la maladie, environ 6 % sont décédées, les 94 % autres patients ayant guéri.

Le Covid-19 ne semble pas avoir la même gravité et la même létalité partout où existent des foyers et des chaînes de transmission. C’est ce que l’on observe en Chine, mais aussi hors de ce pays. Les données recensées à la date du 6 mars par le site de l’université américaine Johns-Hopkins permettent de calculer la proportion des personnes infectées qui décèdent. Ce taux de létalité varie fortement.

En Chine, le Hubei, la province où est située la ville de Wuhan, berceau de l’épidémie et qui totalise plus de 67 000 cas confirmés, affiche un taux de létalité de 4,3 %, quand les provinces touchées plus tard sont loin d’avoir un tel niveau : 1,7 % pour le Henan, 0,5 % pour le Guandong, 0,4 % pour le Hunan et même 0,08 % pour le Zhejiang.

Pas de mutations significatives

Hors de Chine, l’Italie, pays le plus touché en Europe avec 3 858 cas, le taux de létalité s’élève à 3,8 %, six fois plus que la Corée du Sud (0,6 %, avec plus de 6 200 cas), et davantage qu’en France (1,6 % avec 7 décès) ou le Japon (1,7 %, avec 6 décès). Quatrième pays le plus touché après la Chine, la Corée du Sud et l’Italie, l’Iran a un taux de létalité de 3 %.

Comment expliquer ces disparités ? La première des choses est d’interpréter avec précaution les calculs sur le taux de létalité. Ils sont tributaires de la qualité et de la fiabilité des données. Même sans que cela soit délibéré, elles sont parfois loin d’être exhaustives, surtout en début d’épidémie, où l’on comptabilise essentiellement les cas les plus sérieux, ce qui fait surestimer la gravité. Mais les campagnes de tests intensives, comme c’est le cas en Corée du Sud, identifient des cas bénins d’infection qui vont « diluer » les cas graves et diminuer le taux de létalité.

Le taux de létalité n’est pas une donnée constante pour une maladie. « Dans toute épidémie, il existe une tendance à surévaluer le taux de létalité dans un premier temps, puis, au fur et à mesure que l’on détecte plus largement les personnes infectées et que la prise en charge des formes sévères s’améliore, ce taux baisse. Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, nous partions d’un taux de létalité à 70 % ; il est par la suite descendu à 40 % », explique le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique du réseau REACTing de l’Inserm, destiné à préparer et coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes.

L’éventualité d’une virulence modifiée du SARS-CoV-2, évoquée par une publication chinoise, n’est pas confirmée par les virologues français que Le Monde a sollicités : ils n’ont pas constaté à ce jour de mutations significatives dans les séquences génétiques disponibles du nouveau coronavirus.

« L’enjeu essentiel est de préparer le système de santé »

Au-delà des incertitudes sur la manière dont le taux de létalité peut être surestimé ou sous-estimé, les écarts constatés entre les provinces chinoises illustrent l’équation fondamentale des épidémies, dont les deux variables sont, d’une part, les capacités du système de soins à faire face et, d’autre part, le facteur temps.

Parce que l’épidémie de Covid-19 a flambé à Wuhan, avec une croissance exponentielle, au moment où les médecins ne savaient pas à quel virus ils avaient affaire et comment traiter cette maladie, que la logistique de réanimation n’était pas déployée à la hauteur de l’afflux de cas graves, l’infection par le SARS-CoV-2 a fait beaucoup de dégâts. Une fois engorgés, les hôpitaux n’ont plus réussi à compter les cas, ce qui tend à augmenter le taux de létalité. Le décalage dans le temps a laissé aux autres provinces et aux autres pays le temps de mieux se préparer.

Un système de santé fragile sera vite incapable de sauver des malades sévèrement atteints. Les pays possédant un système de santé robuste et organisé ne sont pas à l’abri pour autant. « Tous les hôpitaux, les nôtres compris, sont calibrés pour un certain niveau d’activité. En cas d’afflux massif et brutal de patients en détresse respiratoire aiguë, même si les équipes sont compétentes et disposent du matériel nécessaire, elles peuvent vite être prises de court. Surtout si en plus les infections se multiplient chez les soignants, comme on le voit en Lombardie [Italie] en ce moment », décrit le professeur Charles-Hugo Marquette, chef du service de pneumologie du CHU de Nice.

Une fois passés les premiers temps de l’épidémie, « l’enjeu essentiel est donc de préparer le système de santé à faire face à une épidémie qui va durer, à prendre des mesures permettant d’éviter un afflux brutal d’un grand nombre de cas sérieux ou graves qui pourraient submerger les capacités de prise en charge », estime le professeur Delfraissy. L’interrogation ne porte pas tant sur le nombre de lits de réanimation qui seront disponibles, que sur la capacité à maintenir pendant des semaines une mobilisation qui risquerait de compromettre la prise en charge des autres pathologies. D’autant qu’il faudra tout faire pour éviter la propagation de l’infection parmi les soignants.