Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - L’Italie tente le tout pour le tout pour ralentir la propagation de l’épidémie

Mars 2020, par Info santé sécu social

10 MARS 2020 PAR CÉCILE DEBARGE

Mardi matin, toute l’Italie s’est réveillée en quarantaine pour tenter d’endiguer la propagation du coronavirus, qui a fait 366 morts dans le pays. Un enjeu énorme alors que le système sanitaire national est déjà au bord de la saturation.

Palerme (Italie), de notre correspondante.

Luigi Di Maio a été le premier à annoncer la couleur dans la soirée : « Il faudra faire de nouveaux sacrifices. » Quelques dizaines de minutes plus tard, ce lundi, vers 22 heures, le premier ministre Giuseppe Conte a confirmé ce qui semblait se dessiner depuis plusieurs heures : toute l’Italie est placée en quarantaine. « Il va tous falloir renoncer à quelque chose pour protéger la santé des citoyens. Aujourd’hui, c’est le moment d’être responsable », a-t-il annoncé, solennel, 48 heures après un premier décret qui a placé en quarantaine la Lombardie, dans le nord du pays, et quatorze autres provinces. « Plus de temps à perdre », a tranché Giuseppe Conte lors de sa déclaration, plongeant tout le pays dans un isolement qui durera jusqu’au 2 avril.

Le mouvement s’est accéléré après 18 heures. Derrière le pupitre installé à la présidence du Conseil, le chef de la Protection civile, Angelo Borrelli, se prête à l’exercice avec la gravité qu’implique sa fonction. Depuis plusieurs jours, tous les soirs, à la même heure, il fait le décompte, de plus en plus lourd, des victimes du coronavirus en Italie. Lundi soir, les chiffres confirment l’avancée du virus : 7 985 personnes testées positives, soit 1 598 de plus que la veille ; 463 morts et 733 patients en soins intensifs. L’Italie est le deuxième pays au monde le plus touché par l’épidémie Covid-19, deux semaines et demie après la première prise en charge d’un malade positif au coronavirus sur son sol. « Nous sommes entrés dans une phase de retardement », explique Walter Ricciardi, membre du comité exécutif de l’Organisation mondiale de la santé, qui analyse les avancées de l’épidémie de coronavirus en Italie pour le gouvernement. S’il semble désormais impossible de circonscrire l’épidémie, l’objectif est d’en ralentir la propagation afin de laisser le temps aux autorités sanitaires de s’y préparer au mieux, en particulier dans les zones encore peu touchées dans le centre et le sud du pays.

Le message martelé en boucle par les autorités est clair : « Restez chez vous. » Il ne convainc pourtant pas encore tous les Italiens. Ce week-end, les appels à l’auto-isolement se sont multipliés de la part des autorités. Sur les réseaux sociaux, le mot-dièse « Je reste à la maison » a tenté de convaincre les plus récalcitrants au confinement. Car la journée de dimanche a offert un étrange spectacle, à l’image de la confusion des derniers jours. Sur le littoral du Latium, par exemple, les terrasses, baignées par le soleil de fin d’hiver, étaient pleines.

Dans un entretien à La Stampa, Walter Ricciardi s’est emporté contre « ces Italiens qui, dimanche, se sont pressés à la mer pour manger du poisson ou prendre l’apéritif comme si de rien n’était ». Il faut reconnaître qu’en matière de communication, il y a eu quelques ratés. 48 heures avant le premier décret de confinement de la Lombardie, l’un des mots-dièses les plus partagés était « Milan ne s’arrête pas ». Fin février, un spot publicitaire, lancé par le maire de la ville et devenu viral, rappelait aux Milanais, les plus durement touchés par l’épidémie, que « tous les jours, des millions d’habitants de la ville font des miracles […] car ils n’ont pas peur ». Embrassades, apéritifs, réunions de travail, le spot pourrait être aujourd’hui utilisé pour détailler toutes les mesures à éviter prises par le gouvernement. La vidéo partagée par le maire du chef-lieu lombard se concluait par ces mots : « L’Italien ne s’arrête pas. »

Une scène a pourtant profondément choqué et révolté une partie du pays : l’exode chaotique de milliers d’Italiens du Sud, travaillant dans les « zones rouges », vers leurs régions d’origine. Dans la nuit de samedi à dimanche, un projet de décret du gouvernement, qui doit restreindre les mouvements depuis et vers les « zones rouges », fuite. Dans la panique la plus totale, et avant même que ne soit promulgué le décret, les trains, les bus et les avions sont pris d’assaut par les voyageurs. Jusqu’au dimanche en fin de matinée, les convois partent, bondés, vers les régions pour le moment peu ou pas touchés par le virus. Vers des régions, surtout, dont les infrastructures de santé n’ont rien à voir avec celles des riches provinces du Nord. Aux journalistes qui les interrogent, certains répondent avoir demandé l’autorisation de partir à un policier dans la rue, d’autres disent qu’ils préfèrent passer la quarantaine en famille ou au soleil, la plupart d’entre eux sont parfaitement au courant du décret adopté dans la nuit.

À l’autre bout du pays, les maires et gouverneurs de région s’activent dans l’urgence. À Salerno, en Campanie, des ambulances et voitures de police attendent sur le quai les voyageurs. Dans les Pouilles, le gouverneur Michele Emiliano lance un appel à ses concitoyens pour qu’ils se signalent aux autorités : « En six heures, près de 2 000 personnes qui étaient rentrées se sont “auto-dénoncées”, elles sont maintenant chez elles, sont suivies par la protection civile, mises en quarantaine afin d’éviter qu’il n’y ait une épidémie dans les Pouilles. »

C’est le scénario redouté par les autorités : une épidémie sur tout le territoire et un système sanitaire à genoux. « Les places en soins intensifs sont limitées », rappelle à l’antenne de Radio Capital le professeur de microbiologie et virologie à l’université San Raffaele de Milan Roberto Burioni. « Ce qui peut nous sauver, c’est que les malades graves des hôpitaux du Nord puissent être transférés dans des lits d’hôpitaux plus au Sud. Mais si l’épidémie se déclare ailleurs, on est finis ! Où est-ce qu’on les envoie ? », interroge celui qui, depuis le début, tente d’alerter sur le virus, « c’est surtout dans les régions où le virus n’est pas encore arrivé qu’il faut prendre des précautions, on peut avoir un impact pour retarder et diluer l’épidémie ».
En Lombardie, 440 personnes sont en soins intensifs. Samedi, déjà, les médecins lombards des services de soins intensifs avaient adressé une lettre à Giuseppe Conte, expliquant que « cet événement met en danger la survie non seulement des malades de Covid, mais aussi d’une partie de la population qui, dans des circonstances normales, se tourne vers le système sanitaire pour soigner des événements aigus ou chroniques de quelque type que ce soit ».

Lundi, un premier patient, testé négatif au coronavirus, a été transféré de la Lombardie à Pescia, en Toscane. Le gouvernement a adopté un décret-loi vendredi soir pour renforcer le dispositif sanitaire. 20 000 médecins, infirmiers et agents doivent être embauchés, sans que l’on ne sache bien comment. 5 000 appareils de ventilation assistée doivent être achetés dans les plus brefs délais. Dans les hôpitaux les plus sous pression, les patients sont désormais pris en charge selon leurs chances de survie. La Société italienne d’anesthésie, d’analgésie, de réanimation et de soins intensifs (Siaarti) a publié quinze recommandations d’éthique clinique. Le raisonnement « premier arrivé, premier servi » ne doit pas être un critère, détaille le document qui poursuit : « Il faut privilégier les plus grandes chances de rester en vie. » La troisième recommandation a soulevé de vives polémiques dans le pays le plus vieux d’Europe : « Il pourrait être nécessaire d’imposer une limite d’âge pour l’entrée en soins intensifs. » L’âge moyen des victimes décédées après avoir été testées positives au coronavirus en Italie est de 83 ans.