Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Europe Solidaire Sans Frontières - Covid-19 — Comment faire face à la pandémie ? Les éléments d’une controverse en Belgique

Mars 2020, par Info santé sécu social

Samedi 7 mars 2020, par DENDOOVEN Lucie, MARIUS Gilbert, WATHELET Marc

Nous reproduisons ci-dessous trois contributions publiées sur le site Europe Solidaire Sans Frontières . Elles abordent la question des mesures qui doivent être prises en Belgique face à l’épidémie de coronavirus. Elles ne se situent pas entièrement sur le même plan. Celle de Marc Wathelet s’incrit dans une démarche militante critique, ce qui n’est pas le cas pour celle de Gilbert Marius. Mais toutes traitent des données scientifiques (sujettes à débat) et de leurs implications pratiques.

Il est probable que ce débat rebondira - en Belgique et dans nos colonnes. Les données médicales et scientifiques ne sont pas statiques, la pandémie évolue et la crise sociale avec.

Lettre ouverte à la Première ministre et à mes concitoyens : « La Belgique n’a pas de plan pandémie »

La Belgique a connu beaucoup de crises politiques, c’est une spécialité locale pour laquelle nous sommes célèbres dans le monde, mais elle fait face aujourd’hui à sa première crise réelle depuis la deuxième guerre mondiale, et elle s’avère très mal préparée pour y répondre de manière efficace.

L’attitude du ministère de la Santé Publique est paternaliste, avec le message : nous sommes préparés, nous avons un plan pandémie, nous avons des groupes d’experts, nous suivons la situation de près, nous contrôlons la situation, nous communiquons comme il faut, et nous ne sommes pas intéressés par la critique indépendante de professionnels de la santé ou de scientifiques.

Pourtant, à part le désintérêt pour l’avis des professionnels indépendants du gouvernement, rien n’est plus faux : nous ne sommes pas préparés, nous n’avons pas de plan de pandémie, les experts du gouvernement démontrent une méconnaissance des caractéristiques de ce nouveau coronavirus, ils suivent la situation de près mais refusent de l’anticiper, et la communication reste incohérente, pour la simple raison qu’ils ne comprennent pas suffisamment la nature du danger auquel nous faisons face.

La Belgique n’a pas de plan pandémie

Cette information surprendra probablement même la Ministre de la Santé, mais la Belgique n’a en fait pas de plan de pandémie ! Au lieu d’en avoir un, la Belgique a un plan d’épidémie et il y a une différence cruciale entre les deux.

Contrairement aux épidémies où les foyers d’infections restent localisés à certaines régions du globe comme c’était le cas aussi bien pour SRAS que pour MERS, dans une pandémie ces foyers continuent de s’étendre de manière incontrôlable dans la plupart des pays.

La conséquence de cette différence est un problème de logistique, les chaînes d’approvisionnement du matériel nécessaire au soin de santé se retrouvent interrompues. Pour cette raison, un vrai plan de pandémie est basé sur le concept de réserve stratégique : tout le matériel nécessaire non seulement pour assurer le fonctionnement normal de notre système de soins de santé, mais aussi pour avoir la capacité d’absorber le surcroît inévitable dans le nombre de patients à traiter, doit être gardé en stock en quantité suffisante s’il n’est pas produit sur le territoire belge.

Nous sommes déjà en pénurie de masques, la Belgique n’a donc pas de plan de pandémie. Contrairement aux affirmations de la Ministre de la Santé nous ne sommes donc pas préparés et il est urgent que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour pallier cette déficience.

Confronter la réalité de la situation

Ceux qui n’ont pas les compétences professionnelles pour juger par eux-mêmes la situation en sont réduits à essayer de déterminer quel expert est le plus près de la réalité de la situation, un exercice en futilité.

Je crois au contraire qu’il est possible d’expliquer d’une manière intelligible au gouvernement et au grand public la réalité de la situation, mais cela nécessite de chacun le petit effort de comprendre les deux chiffres les plus importants en épidémiologie d’un point de vue santé publique. Une fois que cette information est comprise, chacun sera en position d’évaluer la proportionnalité des mesures de santé publique qui ont été prises et qui restent à prendre.

Quelles sont les conditions qui favorisent l’émergence d’une pandémie ?
Un nouveau virus contagieux pour lequel la population ne possède aucune immunité. Plus le virus est contagieux, plus la difficulté de le contenir est grande, plus le risque de pandémie est grand. Le flux d’individus et de marchandises dans le monde moderne, ainsi que la concentration de la population dans les zones urbaines augmentent le potentiel pandémique de virus émergents.

Mesures de santé publique pour contrer la propagation du virus.
La propagation d’un virus est intimement liée à la fréquence des contacts entre individus, plus il y a de contacts, plus la probabilité de transmission augmente. Et donc l’essence des mesures de santé publique pour un virus pandémique est de diminuer autant que possible la fréquence de contacts entre individus, ce n’est pas un secret.

Peut-on contenir la propagation d’un virus au potentiel pandémique ?
Oui, si l’on applique sans délais les mesures de santé publique requises. Hong Kong, Singapore et le Japon, pays qui ont des contacts beaucoup plus étroits avec la Chine, ont pu endiguer la propagation du virus dans leur pays. Ils ont été exposés à l’épidémie de SRAS en 2003 et leurs officiels de santé publique en ont tiré les bonnes leçons. Ils étaient prêts, eux, et cela prouve qu’il est possible d’avoir une réponse efficace à une pandémie.

Contenir un virus pandémique est une course contre la montre

Sur la ligne de départ, nous avons un nouveau virus et les systèmes de santé publique à travers le monde. Le virus démarre le premier, mais lentement, et c’est aux systèmes de santé d’y répondre sans le moindre délai, car la propagation du virus s’accélère de jour en jour. Le virus ne respecte ni frontière, ni calendrier, et il ne fait pas une pause pendant les vacances de carnaval. La ministre de la Santé nous assure que nous sommes 5-6 semaines derrière l’Italie. Nous sommes 22 jours derrière l’Italie. Chaque jour compte.

Dangers habituels et dangers inhabituels

Les gens sont en général bien préparés aux dangers auxquels ils font face régulièrement, parce que ces dangers correspondent à leur expérience habituelle. Personne n’est préparé psychologiquement pour une pandémie, la dernière a eu lieu il y a un peu plus de 100 ans et donc personne n’a l’expérience personnelle d’une pandémie : c’est très difficile pour les gens d’anticiper l’aspect explosif de la propagation d’un agent infectieux, alors qu’il est scientifiquement établi qu’un virus se propage de manière exponentielle.

La multiplication exponentielle

En dehors des financiers, ingénieurs et scientifiques, les propriétés de la fonction exponentielle restent très abstraites pour les membres du gouvernement et le grand public, et je vais essayer de les rendre plus concrètes. Nous sommes tous très familiers avec les fonctions d’addition et de multiplication, car nous les utilisons quotidiennement. La fonction exponentielle est une série de multiplications, et notre intuition est moins développée sur les implications d’une multiplication en série, car il y a peu de phénomènes autour de nous qui suivent cette fonction de manière flagrante.

Pour bien faire comprendre ce qui se passe dans une pandémie, je voudrais faire le lien avec deux phénomènes exponentiels avec lesquels la plupart des gens sont familiers.

L’emprunt à intérêt composé et le bâton de dynamite

Un bâton de dynamite et les intérêts composés sont deux phénomènes exponentiels avec lesquels nous sommes familiers. Qu’est-ce qui se passe quand de la dynamite explose ?

Une molécule de TNT réagit et fait réagir 1000 autres molécules une fraction de seconde plus tard, et c’est 1000 molécules à leur tour font réagir chacune 1000 autres molécules une même fraction de seconde plus tard, et ce million de molécules qui réagissent, produisent un milliard, puis mille milliards etc., à chaque fraction de seconde jusqu’à ce que toute la TNT a réagi en moins d’une seconde. Résultat ? BOUM, le bâton a explosé.

A l’autre extrême du spectre de vitesse, on peut prendre les intérêts composés. Considérons l’achat d’une maison financée par un emprunt avec un taux d’intérêt annuel de 2,5%. Vous vous dites peut-être, 2,5% ce n’est pas grand-chose, mais si vous faites le calcul, sur un contrat de 30 ans vous finissez par payer autant en intérêts que le prix de la maison. Et c’est ça la puissance de la fonction exponentielle, ça grimpe vite, avec un taux annuel de 5%, on paye plus de 3 fois le prix de la maison en intérêts…, le caractère prédateur et amoral de notre système financier est un débat pour un autre jour, mais est un facteur important dans la précarité systémique de la société moderne, qui ne peut qu’être exposé par la crise qui se développe.

Une pandémie est à mi-chemin entre un emprunt à intérêts composés et un bâton de dynamite. Les trois phénomènes sont explosifs, mais à des échelles de temps différentes, de l’ordre de la semaine, de l’année et de la milliseconde.

Les deux chiffres clés en épidémiologie, que veulent-ils dire ?

D’un point de vue santé publique, le chiffre le plus important est le temps de doublement, le lapse de temps requis pour que la population de personnes symptomatiques double, parce que c’est celui qui permet d’anticiper la progression du nombre de cas qui devra être absorbée par le système hospitalier.

Pour un emprunt à 2.5% d’intérêts annuels, le temps de doublement est de trente ans. Pour un bâton de dynamite, le temps de doublement est une toute petite fraction de la milliseconde.

Dans le cas de COVID-19, différents groupes d’experts en épidémiologie concluent que le temps de doublement en absence de mesures de santé publique n’est que de 2,4 jours, ce qui est extrêmement court et explique la progression fulgurante du nombre de cas.

Certains pourraient penser que la progression des cas n’est pas si fulgurante que ça. Pour les détromper, faisons un simple calcul. En une période de doublement, 2,4 jours, le nombre de personnes infectées double. En dix périodes de doublement, 24 jours, le nombre de personnes infectées est multiplié par mille ; on peut compter sur ses dix doigts : 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256, 512, 1024, c’est une fonction exponentielle.

La plupart des gens suivent ce calcul sans trop d’objections. Cependant, si on poursuit la progression de la courbe exponentielle, que trouve-t-on ? En absence de mesures de santé publique, l’épidémiologiste calcule qu’à partir d’un cas COVID-19 on obtient 1000 cas après 24 jours, OK, un million après 48 jours, oups !, et un milliard de cas à partir d’un seul cas après 72 jours… Et personne ne veut y croire ‼ C’est ça la puissance explosive de la courbe exponentielle, c’est ça une pandémie, et ces chiffres sont rejetés parce que nous n’avons pas une expérience personnelle, une mémoire vivante, de la puissance destructrice d’une pandémie.

Un réacteur nucléaire pour expliquer le nombre de reproduction du virus
Tournons-nous vers le deuxième chiffre clé de l’épidémiologie : le nombre de reproduction, qui représente la contagiosité du virus. La fonction exponentielle est une série de multiplications : dans un emprunt à 2,5% sur trente ans on multiplie 1,025 trente fois de suite, c’est-à-dire 1,025 à la puissance 30, et on obtient 2. Le chiffre 1,025 correspond au nombre de reproduction, tant qu’il est supérieur à 1, le coût des intérêts augmente de manière exponentielle avec le temps.

Dans un réacteur nucléaire, la réaction est contrôlée en maintenant le nombre de reproduction des neutrons juste inférieur à un, et la chaleur dégagée par cette réaction peut être convertie en électricité. Si le nombre de reproduction des neutrons dépasse un, l’opérateur doit très rapidement prendre une action pour ramener ce nombre en dessous d’un, sinon les neutrons se multiplient de manière exponentielle, le réacteur devient critique. Résultat ? BOUM : Three Miles Island (USA), Tchernobyl (URSS) et Fukushima (Japon).

Le nombre de reproduction de base du nouveau coronavirus à sa sortie de Wuhan, calculé par les mêmes groupes d’épidémiologistes mentionnés auparavant, est de 7, à savoir qu’un individu en infecte 7 autres en moyenne, et un temps de doublement de 2,4 jours. En présence des premières mesures de santé publique en Chine du 23 janvier, le nombre de reproduction effectif du nouveau coronavirus est réduit à 3,24 ; sa contagiosité diminue, et le temps de doublement augmente pour atteindre 3,5 jours. Il a fallu des mesures de quarantaine extrêmes en Chine pour réduire le nombre de reproduction effectif en dessous d’un et ainsi contrôler la propagation du virus.

L’objectif des mesures de santé publique est de réduire le nombre de reproduction effectif du coronavirus pour l’amener en dessous d’un et ainsi arrêter la propagation exponentielle du virus. Quand le nombre de reproduction de base d’un virus est 7, pensez la contagiosité des oreillons avant la vaccination, il est extrêmement difficile de le réduire en dessous d’un, des mesures extrêmes s’imposent.

La présence d’individus infectés hors de la Chine

Dans une pandémie, la progression du nombre de cas est exponentielle, elle est explosive. Prenons la situation des pays hors de Chine où le virus s’est le plus répandu jusqu’à présent, à savoir la Corée du Sud, l’Italie et l’Iran. Dans ces trois pays il y a assez de cas pour dériver des chiffres qui sont statistiquement significatifs, et où l’on peut avoir le plus de confiance dans la véracité des données.

En Corée du Sud, le nombre de cas double tous les 3,2 jours, en Italie, le nombre double tous les 3,3 jours, en Iran, tous les 1,5 jour. Je vais ignorer l’Iran pour ce chiffre parce qu’il pourrait s’agir d’un artefact d’un processus de dépistage qui était en retard. Pour ce qui suit, je prends le temps de doublement effectif italien en présence des mesures de santé publique en vigueur jusqu’à hier, 3,3 jours, parce que c’est la société la plus proche de la nôtre (ce nombre fluctue entre 3,1 et 3,5 depuis plus de 3 semaines).

Pourquoi nos amis italiens prennent-ils des mesures drastiques ?

L’Italie a 3858 cas au moment d’écrire ces lignes, le 5 mars. Quelle prédiction peut – on faire à partir de ce chiffre ? On peut dire qu’après 10 doublements, ce chiffre va être multiplié par mille ! 10 doublements, à savoir 33 jours, donc si la dynamique de transmission ne change pas de manière drastique en Italie, on peut attendre mille fois plus de cas dans 33 jours, à savoir près de 4 millions de cas !

Un chiffre qui, bien sûr, ne peut que complètement déborder le système hospitalier italien, et c’est pourquoi le gouvernement italien réagit avec des mesures plus drastiques, parce que les mesures prises jusqu’à hier n’affectaient pas le temps de doublement effectif du virus. Les mesures italiennes étaient identiques à celles préconisées par le ministère de la santé en Belgique aujourd’hui, ce qui indique qu’elles ont donc très peu de chance d’endiguer la progression du virus chez nous.

On nous parle d’hystérie collective, et d’une propagation de la peur plus dangereuse que la propagation du virus, en nous présentant la fausse équivalence des comparaisons avec la grippe et avec d’autres maladies infectieuses. De tels discours ignorent la réalité de la puissance destructrice d’un virus pandémique.

Quelle projection peut-on faire pour la Belgique ?

L’épidémiologiste calcule de la même manière, à partir de 50 cas recensés aujourd’hui en Belgique, que dans 33 jours, il y aura 50.000 cas, et une semaine plus tard, 200.000 cas, si l’on n’instaure pas immédiatement les mesures les plus drastiques possible. J’ai transmis un dossier au SPF Santé le 12 février où je détaillais la menace que le nouveau coronavirus faisait peser sur l’intégrité du système hospitalier belge, et je calculais que 110.000 cas symptomatiques, 1% de la population, mettraient ce système en péril grave.

Ce dossier reste toujours sans réponse et il semble qu’il a fallu ma lettre ouverte à la Ministre de la Santé 16 jours plus tard pour que le franc tombe enfin, et que les experts qui la conseillent reconnaissent la présence de ce risque ! Ils ont instantanément minimisé le danger que court notre système hospitalier en calculant que dans 9 semaines, 63 jours donc, le nombre de cas en Belgique ne serait que de 13.000 dont 2500 nécessiteraient une hospitalisation, un nombre qui peut être absorbé par le système hospitalier Belge.

Ce n’est pas la politique de l’autruche qui va nous aider

Il semblerait que le souci principal du ministère de la santé, depuis le début de cette crise, est de rassurer la population en minimisant la nature du danger. On se demande sur base de quels chiffres les experts du gouvernement arrivent à 13.000 cas dans 63 jours ?

Alors qu’au même moment, les chiffres scientifiques qui sont publiquement disponibles indiquent que, si nous ne changeons pas drastiquement les mesures de santé publique, il y aurait déjà 200.000 cas en Belgique dans 40 jours ?

Jusqu’à présent, les actions anti-pandémie du gouvernement peuvent se résumer à trop peu, trop tard, accompagné d’une communication confuse et paternaliste.

Timeo hominem unius libri. Je crains l’homme d’un seul livre, nous instruit St-Thomas d’Aquin. Plus près de nous, George Orwell nous met en garde contre le phénomène de groupthink. Le gouvernement ne peut pas se permettre de continuer à rejeter l’opinion d’experts indépendants, quand le ministère de la santé n’assume pas ses responsabilités et prend décisions désastreuses après décisions désastreuses, en dépit des règles les plus élémentaires de santé publique.

Ce qu’il aurait fallu faire

Dès le 6 février il est devenu clair pour les scientifiques que le nouveau coronavirus était très dangereux parce que son potentiel pandémique est très élevé. Comme il s’agit d’une course contre la montre, la première réponse de santé publique doit être très rapide, et commencer par l’établissement de ce qu’on appelle un cordon sanitaire.

En pratique, il faut supprimer tout échange avec la région infectée, par exemple annuler tous les transports aériens. Il faut être adulte et reconnaître qu’une telle mesure n’est en rien xénophobique vis-à-vis de nos amis chinois ou nos amis italiens, puisqu’elle est temporaire, limitée dans le temps jusqu’à ce que l’épidémie locale soit contrôlée.

La liberté de mouvement ne peut être exercée aux dépens de la survie d’autrui, et il est légitime de la restreindre de manière temporaire dans une situation de crise sanitaire.

Il aurait fallu ensuite profiter de la chance que le virus ait atterri en Europe au sud des Alpes plutôt qu’au nord, pour mettre en place les tests de dépistage spécifiques du nouveau coronavirus dans tous les laboratoires médicaux du pays, et pour les roder sur tous les cas de grippe qui circulaient à ce moment-là.

Excuses, excuses, excuses !

Il aurait fallu recommander l’annulation des vacances de carnaval dans la France et l’Italie, prendre la température des individus à leur retour de régions où le virus circulait, et leur donner des instructions claires sur comment se mettre en quarantaine en attendant les résultats d’un dépistage systématique, et accompagné d’un encadrement social et médical approprié tout au long de la quarantaine, c’est indispensable.

On entend que prendre la température aurait occasionné des files dans les aéroports…, qu’est-ce qui est le plus important, un peu de retard ou laisser le loup entrer dans la bergerie ? On entend que d’identifier les porteurs du coronavirus venant d’Italie était comme rechercher une aiguille dans une meule de foin.

C’est pourtant exactement ça, le travail de fourmi des équipes de santé publique, indispensable pour identifier les premiers cas dès que possible, tracer leurs contacts, et donc gagner ces précieuses semaines qui peuvent faire toute la différence pour notre système hospitalier.

« Ce n’est pas un exercice. Ce n’est pas le moment d’abandonner, ce n’est pas le moment de trouver des excuses, c’est le moment d’y aller à fond », a déclaré le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Qu’attendons-nous ?

Autoriser Batibouw, c’est jouer à la roulette russe

Il aurait déjà fallu annuler tous les événements de foules. Il est simplement absurde d’autoriser un événement comme Batibouw, où une population captive, les exposants, sont exposés à un flux constant de visiteurs. Les conditions de confinement et les interactions sont les conditions idéales pour un épisode de super contagion, comme sur le bateau de croisière Diamond Princess, où le nombre de doublement effectif était de 14,2 ! À savoir une contagiosité supérieure à celle de la maladie la plus infectieuse au monde, le choléra !

Qu’est ce qui se passe si des exposants se retrouvent infectés dans les premiers jours ? La majorité d’entre eux deviendront contagieux avant la fin de l’expo. Une étude indique que la charge virale la veille de l’apparition du premier symptôme est la même que dans les jours qui suivent. Une personne encore asymptomatique est donc tout aussi contagieuse la veille de sa conversion qu’une personne malade, mais comme elle l’ignore, elle ne peut pas prendre les mesures d’isolation qu’elle prendrait spontanément si elle se savait malade. Ces exposants asymptomatiques mais contagieux seraient ensuite capables d’infecter une proportion des milliers de visiteurs qui viennent vers la fin de l’expo dans des conditions de contagiosité dépassant celle du choléra…

Pourquoi prendre un tel risque d’épisode de super contagion, quand il pourrait accélérer de manière dramatique la dynamique de propagation du virus dans notre pays, et ainsi augmenter le risque couru par notre système hospitalier ? C’est simplement irresponsable.

Ce qu’il faut faire maintenant

Il faut que toutes les personnes qui sont revenues d’une région à risque s’identifient auprès des autorités et se mettent en quarantaine, ainsi que ceux qui vivent sous le même toit, même s’ils n’ont pas été dans une région à risque. Le dépistage systématique de tous ces individus doit ensuite être organisé, ainsi que leur assistance sociale et médicale.

Il faut annuler tous les événements de foules et passer en phase trois du plan de ‘pandémie’. Cela inclut des événements comme la prochaine session du Parlement européen. Le député européen écolo, Monsieur Philippe Lamberts m’a posé la question s’il fallait qu’elle se tienne à Strasbourg ou à Bruxelles. Ma réponse était qu’il faudrait plutôt l’annuler, mais le président du Parlement européen a choisi de la déplacer à Bruxelles, un autre risque inutile.

Madame De Block a fait l’excellente suggestion de mobiliser l’industrie pour une production accélérée du matériel le plus nécessaire, à savoir les masques de type N95 ou leur équivalent, les masques FFP2 ou FFP3.

Aux masques, citoyens !

À ce sujet, je voudrai tordre le cou une fois pour toutes au canard répété par des représentants du gouvernement, et des journalistes de l’audiovisuel et de la presse écrite qui s’en font l’écho, à savoir que ce type de masque n’est pas efficace pour protéger le citoyen lambda en bonne santé, au mieux il limite la contamination par les personnes déjà infectées.

De qui se moque-t-on ?! On dit ça parce qu’il y a pénurie de ces masques, voyez-vous il faut les garder pour le personnel médical… S’il protège efficacement le personnel médical, il protégera tout aussi efficacement le public quand ils seront disponibles, non ?

Cela fait partie de cette attitude paternaliste où on justifie de mentir au public « pour leur propre bien » alors que c’est faux. On fustige ceux qui veulent se protéger en achetant ces masques, alors qu’ils ont le droit de se défendre quand le gouvernement a failli à sa responsabilité de protection collective, et alors qu’ils n’ont en fait pu collecter que 19.000 paquets de masques, une goutte d’eau comparés à la quantité que la Belgique aurait dû avoir dans ses réserves stratégiques (400 millions de masques au minimum, il y a 11 millions d’habitants dont un demi-million de membres du personnel soignant qui en font un usage intensif).

Il faut mobiliser le pays !

Il nous faut reconnaître, comme la fait la Chine en janvier, que chaque pays infecté par un virus pandémique est essentiellement dans une situation de guerre, non pas contre une puissance militaire, mais contre une puissance bien plus forte, la nature, sous la forme d’un nouvel agent infectieux dans une population immunologiquement naïve.

L’excellente suggestion par la ministre de la santé de produire plus de masques en Belgique n’a pas rencontré l’enthousiasme de la fédération du textile ou de la fédération de la confection, alors que des masques en textile pour le grand public auraient l’avantage d’être facilement et écologiquement recyclables.

Dans une situation de guerre, il faut pouvoir réquisitionner les outils industriels qui peuvent être reconvertis pour la production de matériel indispensable, comme les masques FFP2. Nos amis chinois ont construit des hôpitaux en un temps record, qui dit que nous ne sommes pas capables de mettre sur pied les chaînes de production nécessaire ?

La Belgique n’est pas prête psychologiquement à faire face à une pandémie et alors que c’est le rôle du gouvernement de la préparer à cette réalité très déplaisante, les membres du gouvernement souffrent aussi de la même difficulté, ce qui complique l’exécution de leurs responsabilités.

Qu’attendre dans l’avenir ?

On espère tous qu’un printemps précoce et un effort massif de tous les Belges permettront à la transmission du virus de fortement diminuer et d’ainsi éviter trop de dégâts à notre système hospitalier. Si la contagiosité de ce nouveau coronavirus décroît suffisamment avec le beau temps, l’été doit être mis à profit pour se préparer très sérieusement au retour très probable de ce virus au mois d’octobre prochain.

Avec une saison de transmission de 6 mois et un virus aussi contagieux, seul le port de masques FFP2 par tout le public peut fournir la protection nécessaire. Les masques en textile et recyclable pour adultes et pour enfants sont indispensables, et une opportunité pour l’essor d’une industrie et des phénomènes de mode qui ne manqueront pas de s’y associer.

C’est difficile d’être ministre de la santé lors d’une pandémie

Je peux difficilement imaginer le stress pour les personnes en position de responsabilité dans cette situation, je compatis, et je les remercie pour leurs efforts. Entre le public, les médias, et les informations contradictoires qui circulent, il est difficile de percevoir ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, leur tâche est immense.

Les chiffres douteux de l’OMS

Ils ne sont pas servis non plus par la désinformation en provenance de l’OMS, qui prétend que les chiffres officiels chinois représentent la réalité de l’épidémie dans ce pays. La progression du nombre de cas en Chine suivait une fonction quadratique avec un coefficient de corrélation pratiquement parfait, r = 0.9995, au lieu d’une fonction exponentielle : il ne peut que s’agir de chiffres artificiels.

En conséquence, l’OMS calcule un temps de doublement artificiellement long, 6,7 jours, et un nombre de reproductions artificiellement petit, 2,5 ! Cette minimisation du potentiel pandémique du nouveau coronavirus est scandaleuse car elle interfère avec la perception du danger par les autorités de santé publique à travers le monde.

De même, la description du mode de transmission du nouveau coronavirus par l’OMS ne reflète pas la réalité qu’il peut être transmis par aérosol, une condition où le virus reste en suspension dans l’air porté par des microgouttes. En conséquence, les mesures d’isolation recommandées ne sont pas assez efficaces.

Sans plus attendre

Une bonne réponse est pourtant possible, copions les pays qui ont eu de bons résultats !

Madame la Première Ministre, la responsabilité vous incombe d’exercer votre prérogative sous la phase 2 de faire passer le pays en phase 3, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection du pays.

Marc Wathelet

• Marc Wathelet est docteur en science. Il a étudié la chimie à l’Université libre de Bruxelles et est titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire. Parti aux États-Unis durant 25 ans, il est passé par Harvard, l’Université de Cincinnati et dans un institut consacré à la recherche sur les maladies respiratoires à Albuquerque.

RTBF- Le coronavirus peut-il être transmis par aérosol, un mode plus invasif ?

Publié le vendredi 06 mars 2020
La question de savoir si le coronavirus peut être transmis par aérosol est importante car elle remet en question les mesures prises par les différents gouvernements ainsi que par chaque citoyen. Effectivement, si éviter les contacts directs avec les personnes infectées et conserver une bonne hygiène, avec un lavage régulier des mains, peut limiter la propagation d’un virus qui ne se transmet pas ou peu par aérosol, ce dernier mode de transmission pourrait changer la donne et les rendre insuffisantes.

Effectivement, la transmission par aérosol implique qu’il suffit de micro-gouttelettes en suspension dans l’air pour infecter une personne. Il faut donc, pour cela, être en contact, relativement proche tout de même et pendant un certain temps, avec une personne contaminée.

« Pas un élément moteur de transmission »

« Avec la transmission par aérosol, le virus se retrouve dans des particules beaucoup plus fines, donc il peut se transmettre beaucoup plus loin. C’est possible dans le milieu hospitalier. Mais en extérieur, c’est autre chose. Et dans le rapport de l’OMS en Chine, les experts chinois, les plus expérimentés pour ce qui est du coronavirus pour le moment, disent noir sur blanc que la transmission par aérosol est possible, mais que ce n’est pas un élément moteur de la transmission », indique Marius Gilbert, chercheur en lutte biologique à l’ULB. Il rappelle d’ailleurs qu’il vaut mieux éviter de toucher les objets en contact régulier avec les gens, comme les poignées de portes ou les claviers de distributeurs par exemple.

Marc Wathelet, un autre chercheur qui a travaillé sur les coronavirus, a un avis très tranché sur la question. Pour lui, le gouvernement mène une politique de l’autruche et ne prend pas les « mesures extrêmes qui s’imposent ». Selon ce dernier, contrairement au Sras et au Mers, le Covid-19 est transmissible par aérosol.

« Toute une série d’indices montre que c’est possible. De plus, la moitié des cas sont dû à une transmission asymptomatique. Donc pas par une transmission par postillon. La personne ne tousse pas, ne sait pas qu’elle est malade. Cela laisse penser que la transmission se fait par aérosol », nous dit-il. « Sur certains cas, aujourd’hui, on ne voit pas d’infections des voies supérieures mais directement une pneumonie. C’est un signe d’infection par aérosol, car les gouttelettes sont beaucoup plus fines », selon lui.

Si tous les scientifiques ne sont pas d’accord sur le sujet, et que l’OMS se montre plus nuancée, Marc Wathelet estime que les autorités ne prennent pas conscience de l’ampleur du problème.

« Dans 40 jours, on sera à 200.000 cas en Belgique »

« Si on suit ce que l’épidémiologie dit, il y aura trop de cas pour que le système hospitalier puisse s’en occuper. Il faut donc prendre des mesures strictes dès maintenant. Je calcule que dans 40 jours, on sera à 200.000 cas en Belgique. Si toute la population ne se mobilise pas immédiatement, on va se retrouver dans une situation très difficile », alerte-t-il, avant d’ajouter que « les gens ne sont pas préparés au concept de pandémie. La dernière, c’était en 1917-1918. On n’a plus mémoire de ça. Le pouvoir public ne fait absolument rien de ce qu’il devrait être fait ».

Pour lui, tous les événements publics comme Batibouw ou autres salons du genre devraient être annulés le temps que l’on trouve une solution pour maîtriser la propagation du virus.

Anne Simon, hygiéniste, nous rappelle pour sa part les gestes élémentaires et indispensables en cette période : « Tout le monde a intérêt à se laver les mains. À quelle cadence ? Ça dépend de ce que l’on a touché. Mais il faut que ce soit un réflexe. Il faut le faire souvent. Il y a deux règles en fait : hygiène des mains et hygiène de la toux », dit-elle. En résumé, il ne faut pas tousser dans ses mains et le mieux est de tousser dans un mouchoir et de le jeter directement à la poubelle. Elle rappelle que le virus est peu résistant à l’air libre, mais peut tout de même perdurer plusieurs heures.

Lucie Dendooven, A. Mrsc.

Journaliste rubrique science-santé au JT de la RTBF
RTBF - Covid-19 : entre banalisation et alarmisme
L’épidémie naissante de Covid-19 touche aux peurs fondamentales de nos sociétés. Dans ce cadre, deux positions caractéristiques se sont développées qui mobilisent chacune une sélection subjective des chiffres relatifs aux décès et à la transmission de cette maladie.

“Ce n’est qu’une grosse grippe”

D’un côté, on trouve la position banalisante : “ce n’est qu’une grosse grippe, la grippe tue beaucoup plus que le coronavirus”. C’est effectivement vrai aujourd’hui, puisque la grippe saisonnière a une incidence qui fluctue entre 5 et 10% de la population et un taux de décès qui s’élève approximativement à 0.1%. En revanche, le Covid-19 est un nouveau virus contre lequel la population n’est pas immunisée. Le pourcentage de personnes infectées pourrait donc être beaucoup plus important que dans le cas de la grippe saisonnière.

Pour comparer la dangerosité des deux virus, il y a donc lieu de rapprocher les taux de décès. Pour le virus responsable du Covid-19, les données en provenance de Chine indiquent un taux de décès de 5.8% dans la ville de Wuhan et de 0.7% dans d’autres régions de Chine [1]. Cette différence peut s’expliquer par la saturation des services de santé dans la ville de Wuhan, entraînant une chute dans la qualité de la prise en charge des patients. Dans de bonnes conditions de soins, le taux de décès serait donc de 0.7%. Un autre argument présenté par la position banalisante est de considérer que le décompte des cas ne tiendrait pas compte d’un très grand nombre de cas asymptomatiques qui n’auraient pas été détectés par les autorités sanitaires chinoises, et qui seraient susceptibles d’abaisser ce taux de décès.

Il est ici utile de considérer ce qui s’est passé dans d’autres pays que la Chine. La Corée du Sud a réalisé une campagne de détection et de prévention sans précédent. À la date du 8 mars, 178.189 personnes avaient été testées, pour 6767 cas confirmés et 44 décès [2]. Le taux de décès de 0.65% confirme celui observé en Chine dans des conditions de bonne prise en charge. Mais ces données nous disent également autre chose : il n’y a pas une grande quantité de patients asymptomatiques non détectés susceptibles de faire baisser le taux de décès. Enfin, l’événement dramatique de contamination au sein du bateau de croisière “Princess Diamond” a également permis d’avoir une mesure très précise des cas asymptomatiques qui ont ici pu être échantillonnés en raison des conditions très particulières de cette épidémie, et indique ici aussi un taux de décès de 0.8% (6/705) chez les patients qui ont été traités au Japon [3].

On le voit, dans de bonnes conditions de traitement, le taux de décès des patient atteints par le Covid-19 est effectivement plus élevé que celui de la grippe saisonnière. C’est donc l’effet combiné d’une grande incidence potentielle et de ce taux de décès, tous deux supérieurs à la grippe saisonnière, qui justifie les mesures fortes qui sont prises pour éviter à la fois une trop grande transmission (qui augmenterait le nombre de personnes infectées) et une saturation des hôpitaux (qui augmenterait le taux de décès par personne infectée).

Mettre la société en quarantaine

À l’opposé de cette position se trouvent les alarmistes qui semblent prêts à mettre l’ensemble de la société en quarantaine en oubliant que toutes les sociétés acceptent de vivre avec un certain nombre de décès évitables, tout en cherchant à les minimiser avec les moyens dont elles disposent. Il y a, vis-à-vis de toutes les maladies, un arbitrage qui se fait entre des intérêts socio-économiques et des intérêts de santé publique et la réflexion de l’autorité publique vis-à-vis du Covid-19 n’a aucune raison d’y échapper. Selon l’European Environment Agency, il y avait, en 2016 et en Belgique, 9380 décès prématurés liés à la pollution de l’air en Belgique [4], très largement plus que la grippe saisonnière, et personne n’a demandé que l’on arrête, d’urgence, tous les véhicules et toutes les industries pour les empêcher.

Au travers de deux interventions publiques, l’une adressée à la ministre de la Santé et l’autre à la Première ministre, Marc Wathelet s’est inquiété publiquement de l’état de préparation de notre pays et de la faiblesse de la réponse à l’épidémie alors qu’elle s’établissait sur notre territoire. Le constat qu’il tire sur l’état de notre préparation est juste. Notre pays s’est surtout assuré de pouvoir détecter les premiers cas importés lorsque l’épidémie était limitée à la Chine, mais a réagi avec un temps de retard à l’évolution rapide de la situation et n’a visiblement pas suffisamment anticipé toute une série de besoins en termes de logistique (masques, réactifs), de procédures et de communication.

En revanche, ces deux contributions portent également un certain nombre d’éléments alarmistes qui décrédibilisent complètement leur propos aux yeux de ceux qu’elles cherchent à convaincre.

À titre d’exemple, la transmission par les aérosols, que M. Wathelet met en avant comme un élément particulier de préoccupation, n’est formellement exclue par personne. Mais il y a un consensus assez large sur le fait que celle-ci n’est pas le moteur général de la transmission et le rapport de la mission de l’OMS en Chine est particulièrement clair à ce sujet. M. Wathelet cite ce rapport lorsque les chiffres vont dans le sens de son propos, mais omet de le mentionner lorsqu’ils le contredisent... quand il ne met pas explicitement en cause l’OMS pour “désinformation”. Seul contre tous les gouvernements qui mettent en place les procédures médicales dans leur pays, il estime que la transmission par les aérosols est sous-estimée, ce qui justifierait que toutes les procédures soient adaptées en ce sens.

Son raisonnement autour du taux de reproduction de base est également partiel, ne retenant que les estimations les plus élevées (4.6 et 7). Ce taux est défini comme “le nombre moyen d’infections secondaires produites lorsque un individu infecté est introduit dans une population dans laquelle tout le monde est infectable”. Mais ce nombre, dès le départ, est le reflet du niveau de contact entre cet individu infecté et cette population, puisqu’une personne infectée sur une île déserte ne contaminera jamais personne. Il ne s’agit donc pas d’un paramètre biologique (comme le temps d’incubation par exemple) mais d’un paramètre qui dépend de la structure sociale et démographique dans laquelle est plongé ce premier individu infecté. C’est une mesure utile pour comparer différentes maladies transmissibles en faisant l’hypothèse d’une structure de contacts constante, mais la mesure de ce R0 est particulièrement sensible aux toutes premières données récoltées. Les épidémiologistes obtiennent donc des estimations relativement variables selon l’épidémie, le lieu où elle se propage, la sensibilité de la détection et l’état de l’épidémie au moment où les premiers cas sont détectés et selon la méthode de calcul.

Si effectivement certains travaux ont fait état de valeurs supérieures à 4, une revue plus complète de la littérature indique que ce chiffre doit se situer entre 2 et 3. La situation italienne est très particulière, en raison de la pyramide des âges. Un article en pré-print de Hilton et Keeling [5], deux mathématiciens épidémiologistes renommés, montre que si l’on prend en compte la structure des âges dans l’infectiosité, ce qui semble raisonnable étant donné l’influence déterminante de l’âge sur le niveau de l’infection et la charge virale, on peut s’attendre à un R0 plus de 2 fois supérieur en Italie qu’en Chine et à des R0 très inférieurs dans certains pays d’Afrique. Notre pays semble, de ce point de vue, également relativement exposé à des R0 supérieurs à celui observé en Chine.

Un trait commun à ces deux éléments est de prendre des observations avérées mais qui constituent plutôt des cas extrêmes. Or une politique de santé publique ne peut se construire que sur la base d’hypothèses réalistes sous peine de prendre des mesures totalement disproportionnées en regard des objectifs à atteindre.

Un travail d’équilibriste...

Suppression de tout échange avec les régions infectées, annulation de tous les transports aériens, annulation des vacances de carnaval en France et en Italie, prise de température systématique de tous les touristes à leur retour : rien ne semble suffisant aux yeux de M. Wathelet pour retarder la transmission sur notre territoire. Il préconise aujourd’hui la mise en quarantaine de toutes les personnes revenues d’une région à risque, ainsi que de ceux qui vivent sous leur toit, même s’ils n’ont pas voyagé, ainsi qu’un dépistage systématique. Tous les travaux de modélisation indiquent qu’une maladie pour laquelle il y a une période d’incubation comme le covid-19 ne peut s’arrêter par des mesures de contrôles de santé aux frontières ou aux aéroport (pour le covid-19, ce chiffre a été estimé ; des contrôles de température laisseraient passer près de 60% des cas). Ce ne serait rien d’autre que de construire une digue pour éviter que le château de sable ne soit entouré trop vite par la marée montante. Des milliers de personnes seraient ainsi privées de leur liberté de mouvement pendant 2 semaines au seul motif d’avoir été dans une zone à risque, ou de faire partie de la famille de quelqu’un se trouvant dans ce cas. Qui accepterait cela ? Et pour quel bénéfice réel ?

M. Wathelet oublie que la bonne gestion d’une épidémie repose entièrement sur l’adoption par le public des mesures préconisées. Pour que cette adoption soit bonne, celles-ci doivent être raisonnables et proportionnées par rapport au risque encouru. Si elles ne le sont pas, elles créent soit la panique, soit la défiance envers l’autorité publique et aboutissent dans les deux cas à des effets souvent contraires à ceux poursuivis initialement. L’observation de la situation italienne nous en donne un excellent exemple. Le gouvernement ayant décrété la quarantaine dans 15 provinces du nord de l’Italie, de nombreux habitants ont quitté ces zones pour rejoindre leurs familles dans le sud, contribuant inévitablement à la propagation géographique de l’épidémie. Quel sera le bilan final de cette mesure ? Personne n’est en mesure de le dire. En temps d’épidémie, les comportements individuels se manipulent avec des pincettes, de manière graduelle et proportionnée.

Quant à la question des masques de protection, on peut effectivement regretter un manque de prévoyance aboutissant à une situation de pénurie pour le personnel de santé. Mais si celle-ci est bien réelle, et qu’elle perdure dans les prochaines semaines, intituler un paragraphe “Aux masques, citoyens !” qui se fait l’écho d’une prise d’armes et considérer que les citoyens “...ont le droit de se défendre quand le gouvernement a failli à sa responsabilité de protection collective”, c’est tout simplement lancer un appel à l’incivilité dans un moment où la collectivité a plus que jamais besoin de la coopération de chacun. C’est irresponsable.

La bonne gestion des épidémies est un travail d’équilibriste qui impose une mise en regard permanente de la prévision d’un risque avec son impact sociétal, tout cela en présence d’incertitudes scientifiques. Il y a lieu de travailler chaque jour à réduire les incertitudes et à faire le tri entre les données pour conserver les plus vraisemblables. Et chaque mesure proposée doit être soigneusement pesée pour évaluer ses effets directs et indirects du point de vue épidémiologique, social et économique. Il n’y a de place ni pour la banalisation, ni pour l’alarmisme.

Gilbert Marius

Notes

[1] Rapport de la mission de l’OMS en Chine : https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/who-china-joint-mission-on-covid-19-final-report.pdfhttps://www.who.int/docs/default-so...

[2] Site du KCDC : https://www.cdc.go.kr/board/board.es?mid=a30402000000&bid=0030

[3] Arashiro et al. (2020) COVID-19 in 2 Persons with Mild Upper Respiratory Tract Symptoms on a Cruise Ship, Japan. Emerging Infectious Diseases 26(6) https://doi.org/10.3201/eid2606.200452

[4] European Environment Agency : Belgium air pollution fact sheet : https://www.eea.europa.eu/themes/air/country-fact-sheets/2019-country-fact-sheets/belgium-air-pollution-country

[5] Hilton & Keeling (pre-print) Estimation of country-level basic reproductive ratios for novel Coronavirus (COVID-19) using synthetic contact matrices https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.02.26.20028167v1

• La Revue nouvelle. 10 mars 2020 :
https://www.revuenouvelle.be/Covid-19-entre-banalisation-et-alarmisme

Un commentaire de Daniel Tanuro

Je n’ai absolument pas les compétences nécessaires pour juger les aspects épidémiologiques de la controverse. Je constate que M. Watelet tord en effet le bâton en sélectionnant sur certains points les chiffres les plus inquiétants. Dont acte. Ceci dit,bien que M. Watelet se campe en opposition au politique et M. Gilbert plutôt en conseiller, et que tous deux s’accordent sur l’impréparation du gouvernement (belge en l’occurence), les deux auteurs ont un point commun : ils ne disent rien des causes et des implications sociales de l’épidémie, autrement dit de la responsabilité de la course au profit capitaliste et du mode néolibéral d’accumulation. Marius Gilbert a mille fois raisons de dire que la politique face à l’épidémie doit convaincre la majorité sociale pour être efficace. Mais comment convaincre cette majorité si la lutte contre l’épidémie va de pair (voire sert de prétexte) à un approfondissement de l’autoritarisme néolibéral et des inégalités sociales qui vont avec ? That’s the question.