Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : dans les hôpitaux du Grand Est, « la situation est très difficile »

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : dans les hôpitaux du Grand Est, « la situation est très difficile »

La région la plus touchée de France a franchi la barre du millier de cas déclarés. Le pic épidémique n’y est pas encore atteint, mais les hôpitaux sont au bord de la saturation.

Par Samuel Laurent•

Publié le 16 mars 2020

Samedi 14 mars, la région Grand Est, la plus touchée de France, a franchi le cap du millier de cas, avec 1 085 personnes positives au Covid-19. La progression s’accélère, avec 175 nouveaux cas en une seule journée. Trois nouveaux décès ont par ailleurs été annoncés, portant le total à 24 dans cette région. Sur les réseaux sociaux, des personnels soignants font état d’immenses difficultés à de nombreux niveaux, notamment concernant les urgences et la régulation opérée par le Samu, dont le numéro était totalement saturé samedi soir en Moselle, rendant très difficile le travail de répartition des patients.

Sur le terrain, les soignants annoncent des difficultés croissantes, avec des services de réanimation au maximum de leur capacité d’accueil. Guilaine Kieffer-Desgrippes, présidente de l’Union régionale des médecins libéraux, explique que « le CHRU a repoussé toutes les opérations non essentielles, mais il y a un début de saturation, les cliniques vont cesser toutes leurs activités ambulatoires pour que leur personnel puisse être sollicité. Il y a aussi un afflux de patients en ville, on a toujours une grosse problématique d’absence de masques. On a commencé à créer des filières pour séparer les patients, mais cela pose des problèmes logistiques, on aurait besoin de masques pour les patients ».

Et de marteler qu’il faut écouter les consignes. « Il faut le répéter, c’est catastrophique d’aller boire un verre en terrasse, il faut comprendre qu’un peu de civisme c’est moins de morts à la clé. »

L’Agence régionale de santé a donné pour consigne aux soignants d’éviter de répondre à la presse, mais un urgentiste strasbourgeois confirme que la situation commence à se tendre dangereusement : « C’est une réorganisation permanente, on n’a pas assez de lits en réanimation, on doit en affecter d’autres. On a monté des lits “Covid” mais ils sont déjà tous pleins. Il a fallu déprogrammer tout ce qui n’était pas essentiel, c’est en cours, mais malgré cela, les lits risquent de manquer. » Le mouvement syndical Collectif inter-hôpitaux publiait samedi après-midi un témoignage faisant état d’un manque de ventilateurs destinés à l’intubation des patients en état de détresse respiratoire, obligeant à « limiter les malades sur l’intubation ».

« On est à flux tendu »

Le Haut-Rhin concentre les inquiétudes. Pour Jean-François Cerfon, président du conseil départemental de l’Ordre des médecins, « on arrive à saturation, on a 25 personnes sous ventilation à Colmar ». Toutes les opérations non urgentes ont été déprogrammées, des lits supplémentaires ont été ouverts, mais cela ne suffit pas : « Nous n’avons plus de marge, on est à flux tendu, c’est un casse-tête permanent » pour trouver des lits, explique l’anesthésiste réanimateur, qui craint « trois semaines très dures ».

« On va avoir une marée noire, un crash test la semaine prochaine »

S’il refuse de « jouer les Cassandre » et assure que l’heure des choix dramatiques – sélectionner les patients à intuber – n’est pas encore venue, Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg et ex-président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, est tout aussi inquiet : « La vérité, c’est qu’on est dans une région où la situation est très difficile. »

La faculté de médecine a mobilisé ses étudiants, internes ou externes, sur la base du volontariat, pour venir aider dans les CHU. « Ils sont extraordinaires de courage et de mobilisation, loue M. Sibilia, qui salue aussi le courage des médecins de ville. Certains nous proposent de fermer leur cabinet pour venir nous aider. »

Une aide bienvenue tant « la situation est dramatique : notre capacité de réanimation est d’environ 100 lits et ils sont tous occupés, à moitié par des cas de Covid-19. On va augmenter la capacité pour passer à 200 lits, car on va en avoir besoin ». Pour lui, « on va avoir une marée noire, un crash test la semaine prochaine ». Car, assure-t-il, « on n’est pas encore au sommet du pic épidémique ». Les moyens, notamment les masques, sont relativement disponibles encore, au moins dans les services dédiés, mais « si la hausse continue, on va être dans une situation difficile ».

Et le professeur de médecine de rappeler, comme ses confrères, que le confinement et le respect des consignes – éviter de sortir et de se rassembler – est « un volet majeur dont une partie de la population, qui est un peu dans le déni, n’a pas pris la mesure. Tout ce qui fait qu’on peut éviter de créer une chaîne humaine, casser les transmissions, arrêter les réunions, les dîners entre amis, etc. », est indispensable. « C’est entre nos mains, exhorte-t-il. Pour l’Alsace, c’est presque trop tard, mais on peut encore sauver ce qui peut l’être ailleurs. »