Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

L’Humanité - Masques de protection, la pénurie perdure

Mars 2020, par Info santé sécu social

Mal­gré les pro­messes ré­pé­tées de l’exé­cu­tif, les équi­pe­ments n’ar­rivent en­core qu’au compte-gouttes pour le per­son­nel mé­di­cal et ce sont ra­re­ment les mo­dèles les plus pro­tec­teurs. Pour les autres pro­fes­sions ex­po­sées, il n’y a tou­jours rien.

Le compte n’y est tou­jours pas. Plus d’un mois et demi après l’ap­pa­ri­tion en France des pre­miers cas de co­ro­na­vi­rus, les masques de pro­tec­tion adap­tés sont tou­jours en nombre in­suf­fi­sant pour le per­son­nel mé­di­cal et in­exis­tant pour les autres pro­fes­sions ex­po­sées au risque de conta­mi­na­tion. Le Pr Phi­lippe Juvin, chef des ur­gences à l’hô­pi­tal Georges-Pom­pi­dou, l’a en­core mar­telé mer­credi : « Ce qu’il faut ré­soudre, ab­so­lu­ment ré­soudre, c’est la ques­tion des masques. » Les li­vrai­sons an­non­cées le même jour par la di­rec­tion gé­né­rale de la santé ne com­ble­ront pas le manque : 18 masques par se­maine pour les mé­de­cins, 6 pour les sages-femmes et les ki­né­si­thé­ra­peutes et 9 pour les pro­fes­sion­nels de l’aide à do­mi­cile et en­core, seule­ment dans les 35 dé­par­te­ments à risques. Pas grand-chose pour des pro­fes­sion­nels en sur­chauffe qui voient plus de 20 pa­tients par jour. Mer­credi à 11 heures, à Mul­house, une des villes les plus tou­chées, il n’y avait plus de stock. Parti cher­cher ses masques, le gé­né­ra­liste Pa­trick Volt a filmé les car­tons vides et le mot d’ex­cuse du per­son­nel de l’agence ré­gio­nale de santé sur une vidéo mise en ligne. « On est bien­tôt à cinq se­maines d’épi­dé­mie et on ne voit rien ar­ri­ver. Les bras m’en tombent »,lance-t-il en re­par­tant les mains vides.

« Les autorités ont été défaillantes. Rien n’a été anticipé »
La quan­tité n’est pas le seul pro­blème. Parmi les 12 mil­lions qui sont, selon le gou­ver­ne­ment, en train d’être li­vrés, au­cuns ne sont des mo­dèles FFP2 (masque de sé­cu­rité à haut ni­veau de fil­tra­tion), les plus pro­tec­teurs. La plu­part sont des masques chi­rur­gi­caux, utiles sur­tout pour em­pê­cher de conta­mi­ner les autres. In­suf­fi­sant pour les soi­gnants. « J’ai reçu avant-hier un pa­quet de 18 pour la se­maine, soit trois par jour. Il s’agit de masques chi­rur­gi­caux. Heu­reu­se­ment, il nous res­tait un stock de FFP2 da­tant de l’épi­dé­mie de grippe H1N1 de 2009, et je les uti­lise pour aller voir les per­sonnes âgées en vi­site à do­mi­cile », té­moigne Jean-Jacques Crap­pier, gé­né­ra­liste au Mans. Il n’y en a même pas pour sa se­cré­taire. Les autres pro­fes­sions comme les li­vreurs, les cais­sières ou les tra­vailleurs so­ciaux n’ont, elles, que leurs yeux pour pleu­rer. « Des masques se­ront dis­po­nibles dans les phar­ma­cies à par­tir de mardi 17 mars au soir dans les 25 dé­par­te­ments les plus tou­chés, dans un pre­mier temps, puis dans les autres dé­par­te­ments à comp­ter de mer­credi », avait pro­mis lundi le pré­sident de la Ré­pu­blique. Les usines de pro­duc­tion tournent à plein ré­gime, l’ar­mée a an­noncé qu’elle en li­vre­rait 5 mil­lions et la Chine en a pro­mis 1 mil­lion. Pas assez, es­time le Dr Jean-Jacques Crap­pier, qui s’est livré à un petit cal­cul : si l’épi­dé­mie dure quatre mois, à rai­son de 3 masques par jour, il fau­drait 250 mil­lions de masques je­tables pour équi­per les 65 mil­lions de Fran­çais.

Com­ment ex­pli­quer une telle pé­nu­rie  ? Ré­pon­dant le 3 mars à la ques­tion d’un dé­puté LR, le mi­nistre de la Santé avait été clair : « Il a été éta­bli que la France n’avait pas be­soin de consti­tuer un stock d’État des masques FFP2. Du fait de cette dé­ci­sion prise en 2011, l’État n’a donc pas de stock de masques FFP2. » À cette époque, Ro­se­lyne Ba­che­lot, mi­nistre de la Santé, a com­mandé masques et vac­cins en masse pour faire face à la grippe H1N1. L’épi­dé­mie s’avé­rant moins grave que prévu, le ma­té­riel est resté en plan. Cette si­tua­tion vaut à la mi­nistre des raille­ries, mais aussi un rap­port de la Cour des comptes épin­glant le gas­pillage. L’oc­ca­sion, dans un contexte de coupes bud­gé­taires du sec­teur de la santé et d’au­to­no­mi­sa­tion fi­nan­cière des éta­blis­se­ments hos­pi­ta­liers, d’opé­rer un vi­rage. C’est dé­sor­mais aux hô­pi­taux, déjà à la gorge fi­nan­ciè­re­ment, de consti­tuer leur propre ré­serve, pen­dant qu’est pro­gres­si­ve­ment ré­duit le bud­get de l’or­ga­nisme cen­tral jusque-là censé gérer les stocks. Ré­sul­tat, plus rien n’est prévu.

En pleine crise du co­ro­na­vi­rus, la len­teur à l’al­lu­mage du gou­ver­ne­ment n’a pas per­mis de com­bler ce re­tard. Ce n’est qu’en fé­vrier, un mois après l’ap­pa­ri­tion des pre­miers cas, qu’une com­mande de 200 mil­lions de masques est faite. D’au­tant plus tar­dif que le gros de la pro­duc­tion se trouve en Chine, où les usines tournent au ra­lenti, à cause du co­ro­na­vi­rus.

Le gou­ver­ne­ment a beau re­con­naître des « dif­fi­cul­tés lo­gis­tiques », les soi­gnants ac­cusent : « Les au­to­ri­tés ont été dé­faillantes. Rien n’a été an­ti­cipé,ana­lyse le Dr Crappier.​Quand on sera sor­tis de cette crise, il fau­dra rendre des comptes quant à ces se­maines de déni qui ont coûté des vies. »

par Ca­mille Bauer , Jo­seph Korda ,