Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : en France, un confinement sûrement prolongé, avant la mise en place de tests à grande échelle

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : en France, un confinement sûrement prolongé, avant la mise en place de tests à grande échelle

Le conseil scientifique sur le Covid-19 a estimé que la mesure devra durer jusqu’à au moins fin avril. Le dépistage massif de la population fait partie des scénarios de sortie de crise.

Par Chloé Hecketsweiler et François Béguin•

Publié le 25/03/2020

Le retour à la vie normale va devoir attendre. Dans un avis consultatif rendu mardi 24 mars, le conseil scientifique sur le Covid-19 a estimé que le confinement mis en place le 17 mars pourrait durer « vraisemblablement au moins six semaines », soit jusqu’à fin avril. « Le confinement est actuellement la seule stratégie réellement opérationnelle, l’alternative d’une politique de dépistage à grande échelle et d’isolement des personnes détectées n’étant pas pour l’instant réalisable à l’échelle nationale », a fait valoir le groupe d’experts.

Cette préconisation n’a pour l’instant pas été reprise officiellement par le gouvernement, le ministre de la santé, Olivier Véran, estimant qu’il s’agissait d’une « estimation parmi d’autres ». La décision des autorités ne semble pourtant guère faire de doute. Lundi soir, le premier ministre, Edouard Philippe, avait averti que le confinement pouvait « durer encore quelques semaines ». Pour accompagner ses décisions, le gouvernement a annoncé mardi la création d’une seconde instance composé de douze experts, baptisée « comité analyse recherche expertise » (CARE), qui aura un rôle plus opérationnel.

Dans les hôpitaux, 1 100 morts ont été enregistrés depuis le début de l’épidémie, dont 240 au cours des dernières vingt-quatre heures, a annoncé mardi soir le directeur général de santé, Jérôme Salomon. Ce bilan ne concerne toutefois que les personnes admises à l’hôpital. Or, « on sait que les décès à l’hôpital ne représentent qu’une faible part de la mortalité », a reconnu M. Salomon, alors que l’inquiétude monte notamment sur la mortalité dans les Ehpad, où les décès se multiplient. Plus de 2 500 patients Covid-19 se trouvaient en réanimation mardi, soit 20 % de plus que la veille.

Huit jours après l’instauration du confinement, il s’agit désormais pour les pouvoirs publics de déterminer les conditions nécessaires pour le lever en toute sécurité. « Lorsque la circulation du virus sera contrôlée, lorsque les hôpitaux auront pu soigner les malades, alors la question (…) de la levée du confinement pourra être abordée », a annoncé Olivier Véran mardi. Pour éviter un « rebond » de l’épidémie à ce moment-là, la France pourrait se convertir à une politique de dépistage de masse et de confinement ciblé.

Deux types de tests menés à grande échelle

Jusqu’à présent jamais clairement présentée comme telle par les autorités sanitaires, l’idée est en train de s’imposer depuis la fin de semaine dernière, et la prise de position très nette en ce sens de Jean-François Delfraissy, le président du conseil scientifique sur le Covid-19. « L’objectif est clair : tester, tester, tester », a déclaré à son tour M. Véran lors des questions au gouvernement mardi, en rappelant que la France réalise actuellement « plus de 5 000 tests par jour », soit plus que la moyenne européenne selon lui. Le directeur général de la santé Jérôme Salomon a annoncé mardi soir que les capacités de tests de dépistage du Covid-19 allaient passer à 29 000 par jour en fin de semaine prochaine.

Dans les scénarios de sortie de crise tels qu’ils se dessinent aujourd’hui, deux types de tests seraient menés à grande échelle. Le premier est celui en vigueur aujourd’hui : il consiste à rechercher la présence du virus dans un échantillon biologique (un prélèvement nasal) grâce à une technique d’analyse génétique appelée « PCR ». Ces tests permettraient de dépister systématiquement tous les cas suspects et leur entourage, comme cela a été fait dans les premiers « clusters », en Haute-Savoie, dans le Haut-Rhin ou encore dans l’Oise.

« Cela nous permettra d’avoir un système plus ciblé et d’éviter que tout le monde soit confiné. Le confinement sera réservé aux malades et à leurs contacts », détaille le virologue Bruno Lina, membre du conseil scientifique. « Aujourd’hui, comme nous ne sommes pas en capacité de tester tout le monde, nous nous concentrons sur les plus importants : les soignants et les cas graves », rappelle le chercheur. Cependant, la marche est encore haute avant de pouvoir mettre en œuvre cette stratégie.

« Il faudrait passer de 5 000 tests par jour à au moins 50 000 d’ici la fin du confinement, ça va être un enjeu majeur », estime Lionel Barrand, le président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Son organisation a signé mardi avec de nombreux représentants des médecins hospitaliers et libéraux un communiqué alertant sur la pénurie de réactifs et d’écouvillons (les « cotons-tiges » permettant le prélèvement nasal) pour effectuer le test de dépistage du Covid-19. « C’est un appel au secours, explique Lionel Barrand. Jusqu’à présent le gouvernement n’avait pas mesuré l’importance du dépistage dans la stratégie d’éradication du virus. S’il avait dit il y a deux mois “dépêchez-vous de vous équiper”, on n’en serait pas là aujourd’hui. »

Evaluer le risque de « rebond »

Un second type de test, dit sérologique, pourrait être mis en œuvre. Il consiste à rechercher dans un échantillon sanguin les anticorps qui sont la signature d’une infection par le coronavirus. « Nous pourrons ainsi connaître la part de la population qui a été immunisée, et la taille de l’épidémie, avance Bruno Lina. Cela nous donnera aussi beaucoup d’informations sur les formes symptomatiques et peu symptomatiques. » En sortie de confinement, une telle étude permettra d’évaluer le risque de « rebond », c’est-à-dire une réémergence du virus, au sein d’une population insuffisamment immunisée.

Selon les scientifiques, une deuxième vague est très probable tant que 50 % à 60 % de la population n’a pas été infectée. « Il est primordial de déterminer le nombre de personnes ayant été exposées au virus là ou il a beaucoup circulé », souligne Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale de l’Institut Pasteur à Paris, en rappelant que le rôle des asymptomatiques dans la circulation du virus est l’une de grandes inconnues de l’épidémie.

Ces tests pourraient aussi être utilisés pour mettre en œuvre un confinement ciblé. « Une fois les contacts des malades identifiés, nous pourrons les tester pour savoir s’ils sont déjà immunisés. Dans ce cas, cela ne sert à rien de les isoler. Nous pourrons faire des tests pour dire individuellement à chacun : “Vous, vous êtes protégé, car vous avez déjà eu la maladie” ou bien, “vous, vous n’êtes pas protégé” », précise Bruno Lina. Pour être mis en œuvre, ces tests devront toutefois bénéficier d’un feu vert de la Haute Autorité de santé, qui étudie actuellement en urgence les données disponibles.

Cette stratégie de sortie de confinement pourrait s’appuyer sur une « stratégie numérique d’identification des contacts ». En Chine, où un tel système a été mis en place dans certaines régions, l’utilisateur dispose d’un code couleur fondé sur plusieurs critères, dont sa proximité géographique avec des malades, qui lui permet – ou non – de prendre les transports en commun ou de se rendre dans des magasins. L’opportunité de la mise en place d’un tel système devra être étudiée par le nouveau comité mis en place mardi.