Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Reporterre - « La métropolisation du monde est une cause de la pandémie »

Mars 2020, par Info santé sécu social

Le coronavirus s’est répandu extrêmement rapidement, de métropole en métropole, profitant des intenses flux mondiaux qui les relient. « L’une des causes principales de la pandémie est à trouver dans la métropolisation du monde », et dans la société coupée de la nature qu’elles ont construite, explique le géographe Guillaume Faburel.

Guillaume Faburel est professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et enseignant à Sciences Po Lyon, chercheur à l’UMR Triangle. Il est l’auteur de l’ouvrage Les métropoles barbares (Passager clandestin, rééd. 2019).

Reporterre — Le coronavirus est-il une crise sanitaire due à la métropolisation ?

Guillaume Faburel — Oui, en grande partie. Pour rappel, le foyer de la pandémie est Wuhan. Cette métropole de Chine a vu sa population croître de près de 30 % depuis 2000, pour atteindre onze millions d’habitants. Sa croissance est supérieure à celles de Pékin et de Shanghai. Elle est une plaque tournante du transport, avec des dizaines de lignes de chemin de fer, de routes et d’autoroutes et un port fluvial d’un million de containeurs.

La métropolisation des grandes villes et le néolibéralisme généralisé empêchent de casser la prolifération, comme pour les épidémies passées. La peste noire du bas Moyen Âge a mis près d’un an à affecter l’Europe, la grippe espagnole d’il y a un siècle a mis deux ans pour se généraliser. La densification extrême et les surpeuplements démesurés rendent les foyers difficilement maîtrisables, à moins de quelques atteintes aux libertés publiques.

Surtout, outre la promiscuité, la cause métropolitaine de la prolifération est à trouver dans notre soumission non moins croissante à des modes de vie uniformisés, rendus totalement dépendants des dispositifs technico-économiques et urbanistiques pour se nourrir et se divertir, pour tisser des liens ou simplement, en ces temps tragiques, pour respirer. Et nous sommes alors très rapidement désœuvré.e.s lorsqu’il s’agit d’arrêter de nous agiter en permanence. Que nous reste-t-il une fois qu’on a consenti à ces vies métropolitaines, à leur imaginaire de l’illimité par la consommation et à la frénésie par l’agitation des flux ? Nous soumettre à l’urgence sanitaire décrétée par l’État et aux conséquences du démantèlement des systèmes de soin.

Le foyer de la pandémie est Wuhan, métropole chinoise de onze millions d’habitants.
Donc, oui, l’une des causes principales de la pandémie est à trouver dans la métropolisation du monde, comme mythe de la surmodernité, comme mutation forcenée de nos vies, comme arrachement définitif de la nature.

Cette crise crée-t-elle une inversion ? Les métropoles deviennent hostiles et la campagne accueillante.

Je ne sais pas si cela conduit à une inversion. En tout cas, il semble bien y avoir une rupture dans la longue histoire des concentrations urbaines. Elles ont de tous temps été causées par des moments troublés — on se repliait derrière les remparts de la ville pour se protéger — lorsque départs et étalements étaient plutôt le fait de périodes de prospérité.

Cette crise, d’un côté, met à nu l’invivabilité écologique des méga machines métropolitaines pour celles et ceux, de plus en plus nombreux.ses — si l’on en juge les enquêtes récentes et ce sur tous les continents — n’ayant pas de passion véritable pour la promiscuité imposée. Les régions accueillant le plus de populations des grandes aires urbaines concentrent la grande majorité des cas recensés de Covid-19 (Île-de-France, Grand Est, Hauts-de-France, Auvergne Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-D’azur), à l’opposé du Centre Val-de-Loire, des Pays de la Loire ou encore de la Normandie. Dans les métropoles, on trouve certes quelques commodités fonctionnelles (seulement pour les plus nantis dans un nombre croissant de pays), mais on y construit de moins en moins des communautés de vie et donc des liens de solidarité, ce qui serait indéniablement l’une des solutions au problème du moment.

De l’autre côté, je ne sais pas si les campagnes sont accueillantes, je sais juste que des collectifs à taille humaine, loin des centralités métropolitaines et loin d’être fermés sur eux-mêmes, ont juste appris à faire de leur main — du pain comme du savon — à privilégier la qualité et l’intensité des liens avec les non-humains. Or, en ces temps de confinement imposé, les urbains cherchent ardemment des jardins ou rejoignent quelques logis éloignés et les semences libres font l’objet de commandes croissantes.

La ville est invivable pour ceux, de plus en plus nombreux, qui n’ont pas de passion pour la promiscuité imposée.

Que révèle cette fuite des urbains de leur vision de la campagne ?

La ruralité ne renvoie plus, loin s’en faut, aux seules campagnes agricoles historiques et aux seules identités des métiers de la terre. Ces cultures ont été assez largement disqualifiées. Les campagnes sont désormais le siège et le véhicule de trois autres grandes fonctions et visions, qui ont toutes en commun de partir des changements intenses de l’urbain dense — on peut s’y pauser (et pas seulement s’y reposer).

La première est celle, somme toute consumériste, du havre de paix pour actifs sur-stimulés, celle du ressourcement et de la détente par la résidence secondaire que les plus argentés ont rouverte depuis dix jours (et que la Norvège vient d’interdire).

La deuxième représentation est le fait d’autres groupes sociaux, a priori moins productifs : des étudiant.e.s qui profitent d’une ancienne maison familiale pour réviser en toute quiétude dans l’écrin de verdure aux retraités qui s’y sont installés, souvent dans les régions les plus ensoleillées.

Enfin, nous y trouvons de plus en plus des actifs qui ont récemment quitté le tumulte de la grande ville pour changer d’activité, donner sens à quelques convictions écologiques et s’efforcer par l’installation durable de participer à la vie locale. On y cherche un souffle, à refaire corps avec le vivant. Et cela n’est pas le seul fait de cadres surmenés, c’est aussi celui de précaires très solidaires. Car à ce jour, dans le rural, chacun peut se percevoir comme acteur, faire « de sa main » y compris les catégories populaires. Bref, recouvrer une puissance d’action, celle de pourvoir par soi-même à certains besoins vitaux, dont la citadinité métropolitaine a largement dépossédé.

A la campagne, on cherche un souffle, à refaire corps avec le vivant.

Les règles du confinement ne seraient-elles pas faites d’un point de vue urbain et de classe sociales aisées ?

Le confinement est bien un tropisme d’urbain, celui de la surdensité et de la promiscuité. Puisque ce sont le mouvement incessant, la sollicitation permanente, l’agitation continue qui sont la cause de la propagation rapide dans les mondes urbains marchands, alors il faut tout arrêter. Jacques a dit « ne bougez plus ». Mais pas tout le monde non plus, et pas trop longtemps tout de même, car il ne s’agirait pas que les rouages du capitalisme mondialisé viennent eux aussi à se gripper. Ces règles du confinement sont donc celles de la hiérarchie officielle des conduites attendues, des formes urbaines de vie imposées et, donc, des intérêts de la classe bourgeoise aux commandes.

En fait, le confinement est l’arme idéale d’une économie qui fait tout pour ne pas remettre en cause la croissance marchande. Elle se doit de le faire en interdisant, par l’assignation à résidence, certaines sensations et certains sentiments aux plus modestes, celles et ceux procurés par la marche extérieure ou encore par les tranquillités de la nature du jardin, l’impression de liberté suscitée grâce au dépaysement et à la lecture de plein air, de ressourcement à l’écoute du bruissement du vivant. Il ne faudrait pas que les pauvres et les subalternes aient totalement conscience des intérêts bien sentis de la saturation, de la suffocation et de l’asphyxie métropolitaines. Il ne faudrait pas qu’iels en viennent à vouloir se re-pauser, par une autonomie de pensée et d’action, voire à vouloir faire sécession.

Voilà pourquoi le confinement est la réponse économique et politique du moment face aux menaces que la pandémie fait peser sur les intérêts de l’emballement forcé de nos vies métropolisées. D’où d’ailleurs le rappel à l’ordre de collègues très citadins qui, non sans mépris, parlent de « clandestinité » dans les campagnes, critiquant la désobéissance périphérique des Gilets jaunes et des « Gaulois réfractaires » face au confinement [1].

En quoi le confinement révèle-t-il les inégalités dans les métropoles, et entre métropoles et périphéries ?

Dans ce monde métropolitain, point d’égalité, loin s’en faut. L’augmentation rapide des injustices est même sa signature première, et ce partout à travers le monde.
Le confinement révèle de manière criante l’existence de ces inégalités à l’intérieur des espaces métropolitains. Lorsque les cibles sociales des grandes politiques urbaines, soit entre 30 et 40 % des populations métropolitaines (élites internationales et nouvelles classes dirigeantes, classes dites créatives et petite bourgeoisie intellectuelle), se font fort de nous raconter par le menu, et surtout virtuellement, la performance professionnelle que constitue leur télétravail (au vert ou autour d’un verre), les ouvriers et les employés continuent de se déplacer pour aller travailler et pour livrer, tout comme l’ensemble des métiers du soin. Il faut bien que ces travailleurs-clés continuent de faire tourner l’infrastructure urbaine du capitalisme. Au péril de leur vie et de celle de leurs proches.

Contrairement aux télé-travailleurs, les ouvriers et les employés continuent à se déplacer pour aller travailler et pour livrer.
Par ailleurs, la surface du logement par personne était, en 2006, selon l’Observatoire des inégalités, de 29 m2 par ouvrier et de 38 m2 pour un cadre supérieur. Tout ceci sans compter les résidences secondaires. En fait, là où les activités urbaines extérieures plus ou moins imposées (travail et loisirs principalement) servaient de pondérateurs, le confinement rend chacun.e à l’évidence d’inégalités de traitement.

Comment faire pour qu’à l’avenir un nouveau virus n’ait pas un tel impact ?

Un autre virus ou tout évènement écologique « inattendu » de cette envergure ? De ce qui précède, il conviendrait selon moi de démondialiser la ville et, plus encore, de désurbaniser la terre. C’est le sous-titre des Métropoles barbares (Le passager clandestin, rééd. 2019). Ceci, en repensant d’abord totalement l’aménagement du territoire autour des petites villes et des campagnes, au lieu de la surconcentration dans les espaces métropolitains. À superficie comparable et à taille de population nationale identique, un réseau dense de petites et villes moyennes, c’est par exemple de 30 à 40 % de consommation énergétique en moins. Il y aurait donc quelques avantages sociaux et écologiques à déconcentrer.

Il faut repenser totalement l’aménagement du territoire autour des petites villes et des campagnes.
Toutefois, pour éviter de répandre toute infection, il faut être vigilant sur deux points.

En premier lieu, en orientant très différemment l’économie, qui très souvent singe dans les lieux périphériques les grandes politiques métropolitaines, avec les mêmes enseignes commerciales, zones d’activités, pavages au sol, mobiliers urbains, tiers lieux etc. Il y a bien une société écologique dé-densifiée à faire advenir, et donc des territoires décroissants à faire survenir.

Seconde vigilance, d’autres contaminations sont à craindre : il s’agirait de commencer à déconstruire des comportements métropolitains tels que la mobilité permanente et l’accélération sans fin des mouvements, le divertissement ininterrompu et le nomadisme généralisé, la connectivité continue et les corps prétendument augmentés. Bref, tous les comportements qui participent de toute prolifération, et plus largement aveuglent sur le trépas écologique de nos propres sociétés. La tâche est tout sauf simple si l’on en juge la force des intérêts économique et politique d’un tel régime passionnel (celui du sentiment d’éternité), que l’on retrouve (par contamination) également loin des grandes villes.

Dès lors, la seule possibilité de s’affranchir de cette démesure est de nourrir une pensée de la modération et de la limitation. S’il s’agit de tempérer les comportements à des fins de ménagement du vivant, de ralentir pour reprendre le souffle des existences, limiter ses besoins (et non pas ériger des frontières qui n’affecteront quasiment jamais les flux du commerce international) serait un moyen premier de se désaliéner en ne dépendant plus des dispositifs du biopouvoir technico-urbanistique et de ses injonctions affolées au confinement. Voilà qui serait une bonne infection… sociale et écologique, relationnelle et existentielle. Voilà en quoi le drame du moment est une opportunité historique. Sortir de l’autoroute métropolitaine et ainsi se détourner radicalement du mur écologique vers lequel elle nous conduit.

Selon Cornelius Castoriadis [2] :

« L’autonomie – la vraie liberté – est l’autolimitation nécessaire non seulement dans les règles de conduite intrasociale, mais dans les règles que nous adoptons dans notre conduite à l’égard de l’environnement »

Propos recueillis par Marie Astier