Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : les effets indésirables graves s’accumulent sur l’hydroxychloroquine

Avril 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : les effets indésirables graves s’accumulent sur l’hydroxychloroquine

Depuis le 27 mars, cinquante-quatre cas de troubles cardiaques, dont quatre mortels, ont été recensés en France chez des malades du Covid-19 prenant de l’hydroxychloroquine, dans certains cas associée à de l’azithromycine.

Par Sandrine Cabut
Publié le 9/04/2020

Depuis le 27 mars, cinquante-quatre cas de troubles cardiaques dont sept morts soudaines ou inexpliquées (trois de ces personnes ont pu être sauvées par choc électrique) relatifs à ces médicaments ont été analysés au centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Nice, chargé de la surveillance nationale des effets indésirables cardiaques des médicaments évalués dans l’infection au nouveau coronavirus.

Le nombre total de personnes qui ont reçu ce traitement en France n’est pas connu avec précision. A elle seule, l’équipe du professeur Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire de Marseille) a traité plus de mille patients.

« Les cas signalés au réseau des trente et un CRPV du territoire concernent des patients hospitalisés, âgés de 34 à 88 ans », indique le professeur Milou-Daniel Drici, responsable du CRPV de Nice. Le pharmacologue et cardiologue souligne d’emblée qu’il ne s’agit probablement que de la partie émergée de l’iceberg, 95 % des effets indésirables des médicaments n’étant en moyenne pas déclarés au système de pharmacovigilance.

Parmi ces cinquante-quatre dossiers concernant des patients prenant de l’hydroxychloroquine (combinée chez certains avec de l’azithromycine) dans le cas d’un Covid-19, dix correspondent à des troubles du rythme ventriculaire, qui ont été enregistrés à l’électrocardiogramme ou se sont traduits par des symptômes : malaise, perte de connaissance brève… Dans trente-six cas, il s’agissait d’une anomalie mesurée à l’électrocardiogramme ( « allongement de l’espace QT »). Celle-ci traduit un trouble de la conduction cardiaque (c’est-à-dire de la transmission de l’influx électrique), qui augmente le risque de syncope et de mort subite.

Troubles non inattendus

Les cas de mort subite recensés par le CRPV de Nice semblent en rapport avec la prise d’hydroxychloroquine seule ou associée à de l’azithromycine, sauf chez un malade, où un autre médicament connu pour allonger le QT pourrait être en cause.

S’agissant du dernier de ces cas de mort subite, survenu le 2 avril dans le Nord et signalé au CRPV de Nice le 8 avril, « la responsabilité de l’hydroxychloroquine ne fait aucun doute, affirme le professeur Drici, bien que le patient ait pu avoir un intervalle QT prolongé de manière congénitale ». Il s’agit, poursuit le responsable du CRPV de Nice, « d’un homme de 43 ans qui, dans les vingt-quatre premières heures du traitement par Plaquenil a fait des troubles du rythme ventriculaire, appelés torsades de pointes [TDP], enregistrés en direct à l’électrocardiogramme. C’est une signature de la toxicité de cette molécule. Un choc électrique externe a permis de le sauver ». Ce dossier fait l’objet d’une alerte spécifique à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Le CRPV de Nice a par ailleurs reçu huit dossiers d’allongement de l’intervalle QT chez des malades traités par Kaletra, une association de deux antiviraux également en cours de tests pour le Covid-19.

Pour les pharmacologues, les troubles cardiaques potentiellement induits par le Plaquenil, et potentialisés par l’association avec l’azithromycine, ne sont pas inattendus. Individuellement, mais plus encore lorsqu’elles sont associées, ces deux molécules peuvent allonger l’intervalle QT. Or, ce trouble de conduction prédispose à un TDP « qui peut être spontanément résolutif, être associé à une syncope, mais peut aussi évoluer vers un arrêt cardiaque et un décès par mort subite », détaille une note de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) du 31 mars sur les dangers potentiels du traitement par hydroxychloroquine et azithromycine.

« Les TDP sont un trouble du rythme extrêmement rare et pratiquement toujours dû à un médicament, précise le professeur Drici. Quand il s’agit de molécules comme des anticancéreux, cette possibilité d’effet indésirable doit être mentionnée sur la notice, mais le rapport bénéfice/risque reste positif. Dans le cas de l’hydroxychloroquine, le bénéfice n’est pas prouvé et le risque est avéré. La prescription ne devrait pas se faire en dehors d’essais cliniques. »

Jusqu’ici, dans le cadre habituel de prescription de l’hydroxychloroquine (principalement des maladies chroniques automimmunes comme le lupus et la polyarthrite rhumatoïde), les effets indésirables cardiaques n’avaient pas été si fréquents. « Sur la période 1975-avril 2020, soit quarante-cinq ans, 393 cas d’arythmies cardiaques tous azimuts, relatives à l’hydroxychloroquine ont été enregistrés au niveau mondial, dans la base de données Vigibase, et aucun cas de mort subite , indique le professeur Drici. En France, entre deux et trois cas sont déclarés par an avec l’hydroxychloroquine, et en moyenne un avec l’azithromycine . »

« Il faut garder son sang-froid »

Le spectre d’un accident cardiaque est l’une des raisons pour lesquelles les autorités de santé ont réservé le traitement hydroxychloroquine et azithromycine aux patients hospitalisés, souligne le professeur Christian Funck-Brentano (chef du service de pharmacologie médicale de La Pitié-Salpêtrière, AP-HP). D’autant que le risque peut être majoré par une hypokaliémie (faible taux de potassium dans le sang) fréquente chez les patients infectés par le SARS-CoV-2, et la prise d’autres médicaments.

« Aujourd’hui, même chez certains médecins, c’est comme si l’hydroxychloroquine était déjà une panacée et les risques tout à fait secondaires, alors que la situation est parfaitement inverse, regrette le professeur Drici. Il faut garder son sang-froid et ne pas oublier le principe d’Hippocrate dans son traité Epidémies [410 avant J.-C.] : primum non nocere, d’abord ne pas nuire. »

Pour Dominique Martin, le directeur général de l’ANSM, les données du CRPV de Nice confirment la toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine, notamment associée à l’azithromycine . « En attendant les résultats des nombreux essais cliniques en cours, il est légitime de réserver les prescriptions de ces produits au milieu hospitalier, dans le cadre d’un essai clinique ou du décret. L’utilisation en ville, et en automédication, est en revanche fortement déconseillée, le rapport bénéfice/risque est clairement plus défavorable que lors de l’utilisation à l’hôpital », estime M. Martin.

Dans un article prépublié sur MedRxiv, portant sur quatre-vingt-quatre patients atteints du Covid-19, traités par l’association hydroxychloroquine-azithromycine, des médecins américains indiquent qu’ils ont retrouvé chez 11 % d’entre eux un allongement majeur de l’intervalle QT (> 500 ms) exposant à des torsades de pointes.

Dans sa dernière vidéo, le professeur Didier Raoult se veut rassurant au regard de l’analyse de plus de mille cas traités, dont un résumé a été mis en ligne jeudi 9 avril sur le site de son institut, alors même que le président de la République, Emmanuel Macron, lui rendait visite. « Les choses sont très rassurantes sur ce traitement, sur lequel on n’a pas eu d’ennui cardiologique sur aucun des patients qu’on a traités, et sur lequel on a des résultats qui démontrent une efficacité plus grande que celle des autres séries que l’on a vues à ce jour. Donc tout va bien ! », y déclare-t-il.