Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Macron promet la sortie de confinement, mais ne donne aucune garantie

Avril 2020, par Info santé sécu social

14 AVRIL 2020 PAR ELLEN SALVI

Le président de la République a annoncé un confinement jusqu’au 11 mai et promis une « réouverture progressive » des établissements scolaires à compter de cette date. Il souhaite relancer la machine économique, mais ne donne aucun gage quant aux tests. Il assure même, contrairement aux scientifiques, que tester l’ensemble de la population « n’aurait aucun sens ».

Cette fois-ci, Emmanuel Macron a voulu l’énoncer clairement. « Je mesure pleinement l’effort que je vous demande durant les quatre semaines à venir », a-t-il déclaré lundi 13 avril au soir, après avoir annoncé que « le confinement le plus strict » – expression qu’il s’était refusé à prononcer lors de sa dernière allocution – serait prolongé jusqu’au lundi 11 mai. « C’est la condition pour ralentir encore davantage la propagation du virus, réussir à retrouver des places disponibles en réanimation et permettre à nos soignants de reconstituer leurs forces. »

Une condition rendue inéluctable par ce que le président de la République a lui-même qualifié de « failles » et d’« insuffisances », à commencer par l’absence de masques et de tests. « Comme vous, j’ai vu des ratés. Encore trop de lenteur, de procédures inutiles. Des faiblesses aussi de notre logistique. Nous en tirerons toutes les conséquences en temps voulu », a-t-il assuré, reconnaissant que l’État n’avait « pu distribuer autant de masques que nous l’aurions voulu pour nos soignants, pour les infirmières, les aides à domicile ».

Dans une telle situation, le confinement reste la seule mesure aujourd’hui possible, en complément des fameux « gestes barrières ». « Autrement dit, on fait peser sur la population la totalité des efforts de prévention », comme l’expliquait il y a quelques jours l’ancien directeur général de la santé William Dab dans Le Monde. Pour en finir, Emmanuel Macron a promis qu’à partir du 11 mai, l’État, « en lien avec les maires », permettrait « à chacun de se procurer un masque grand public pour les professions les plus exposées et pour certaines situations, comme dans les transports en commun ».

« Son usage pourra devenir systématique », a-t-il précisé, sans donner plus de détails sur les masques en question. De quoi parle-t-on exactement ? De masques FFP2 ou chirurgicaux qui manquent encore cruellement ? De masques dits « alternatifs » comme les masques en tissu pour lesquels il n’existe, selon la Société française des sciences de la stérilisation (SF2S) et la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), « pas de preuve scientifique » de leur efficacité ? Impossible de le savoir. Le chef de l’État continue de s’exprimer seul, depuis l’Élysée, sans journaliste pour le questionner.

Le président de la République ne s’est pas attardé non plus sur le sujet des tests dont il reconnaît pourtant qu’ils constituent une « arme privilégiée pour sortir au bon moment du confinement ». « Dans les prochaines semaines, nous allons continuer d’augmenter le nombre de tests chaque jour », a-t-il cependant promis, indiquant que « le 11 mai, nous serons en capacité de tester toute personne présentant des symptômes » et que « les personnes ayant le virus [pourraient] ainsi être mises en quarantaine, prises en charge ».

Cette déclaration est d’autant plus étonnante que le gouvernement répète depuis des semaines que la question du déconfinement vire au casse-tête en raison du grand nombre de personnes porteuses du virus de façon asymptomatique. Comment éviter une deuxième vague épidémique si, comme l’a dit Emmanuel Macron, « on ne va pas tester toutes les Françaises et les Français » parce que « cela n’aurait aucun sens » ? Là encore, il n’a apporté aucune réponse. Et couvert l’un des plus grands problèmes de la crise sanitaire sous une nouvelle énormité.

Car tous les scientifiques, qui ne sont pourtant pas d’accord sur bon nombre de sujets, se rejoignent sur celui-ci : le dépistage massif est la condition sine qua non d’une sortie de confinement. « Nous avons un message simple à tous les pays : testez, testez, testez les gens ! », lançait le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dès le 16 mars. Cette nécessité est rendue d’autant plus impérieuse par l’annonce de la « réouverture progressive des crèches, des écoles, des collèges, des lycées le 11 mai ». Comment imaginer renvoyer des millions d’enfants, potentiellement contagieux, dans les établissements scolaires ?

Autant de questions restées en suspens dans l’attente du « plan de l’après 11 mai » et des « détails d’organisation de notre vie quotidienne » que le gouvernement est sommé de présenter d’ici quinze jours. Un plan qui, de toute évidence, est loin d’être prêt. Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État fait des annonces en demandant à la machine administrative de se débrouiller avec. En pleine crise des « gilets jaunes », ses mesures en faveur du pouvoir d’achat, dégainées par surprise le 10 décembre 2018, avaient déjà entraîné une improvisation à tous les étages.

Lundi soir, l’opposition n’a pas tardé à pointer le flou de l’allocution présidentielle. « Ça devient très difficile de respecter l’unité d’action contre l’épidémie quand les consignes sont aussi confuses et que la stratégie semble rationnellement aussi hasardeuse », a commenté le chef de file de La France Insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon. « La logistique et l’intendance doivent suivre. Les mots ne suffiront plus », a également souligné le patron des Républicains (LR) Christian Jacob. « Il faut tester massivement, et notamment tous ceux qui travaillent, pas seulement ceux qui ont des symptômes ! », a jugé le vice-président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella.

Pour justifier la réouverture des établissements scolaires à compter du 11 mai, Emmanuel Macron a évoqué les « inégalités » que leur fermeture creuse. « Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents », a-t-il expliqué justement. Pour autant, cette réouverture a un autre objectif : celui de permettre aux parents de regagner le chemin du travail, afin de relancer la machine économique au plus tôt, comme le réclament certains.

« Le 11 mai, il s’agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services », a confirmé le président de la République dans la foulée. Il faut, pour cela, que les parents puissent être libérés de leurs enfants. Le problème ne se pose pas pour les étudiants de l’enseignement supérieur, qui ne reprendront pas les cours « physiquement » avant l’été. Les lieux rassemblant du public (« restaurants, cafés et hôtels, cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées ») resteront eux aussi fermés. Et les événements rassemblant du public seront interdits jusqu’à mi-juillet.

Les personnes vulnérables, elles, devront rester confinées au-delà du 11 mai. Le chef de l’État a tout de même pris note de la situation dramatique dans laquelle se trouvent les familles empêchées d’accompagner leurs anciens lorsque ceux-ci ont été contaminés par le Covid-19. « Je souhaite […] que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d’organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie afin de pouvoir leur dire adieu », a-t-il affirmé.

Indiquant que nous sommes, pour l’heure, « loin » de l’immunité collective, « c’est-à-dire ce moment où le virus arrête de lui-même sa circulation parce que suffisamment d’entre nous l’avons eu », Emmanuel Macron a expliqué qu’« aucune piste [n’était] négligée » en matière de vaccin et de traitement. Avant de souligner toutefois que « nous aurons plusieurs mois à vivre avec le virus ». Sans se départir du ton grandiloquent dont il tinte chacun de ses discours, il a de nouveau appelé de ses vœux un « moment de refondation » de l’Union européenne, alors que le dernier accord conclu par l’Eurogroupe est loin d’être suffisant.

Tout au long de son allocution, le président de la République a insisté sur la question des inégalités, allant même jusqu’à citer l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Parmi diverses mesures économiques, il a notamment annoncé le versement « sans délai » d’une « aide exceptionnelle aux familles les plus modestes avec des enfants […] et aux étudiants précaires ».

Sans pour autant se risquer à rentrer, là encore, dans le détail de l’après-pandémie, il a toutefois promis du changement. « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier », a-t-il dit, allant même jusqu’à rappeler « que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Une manière d’effacer d’un coût de baguette – et non d’argent – magique les politiques qu’il mène depuis le début de son quinquennat.

Après des jours de « politique spectacle », pour reprendre les mots du président de la fédération des Médecins de France Jean-Paul Hamon, ponctués par les images catastrophiques d’un bain de foule en Seine-Saint-Denis, une visite surprise au professeur Didier Raoult, ou encore des confidences de son entourage dans Le JDD sur le « discours churchillien » qu’il s’apprêtait à livrer, Emmanuel Macron a souhaité faire preuve d’« humilité ». Les enquêtes d’opinion, sur lesquels l’exécutif garde les yeux rivés, n’y sont pas pour rien. « Ils sont très inquiets par les derniers sondages qui disent qu’une grande majorité des Français pensent qu’ils ont menti », confiait récemment un membre de cabinet à Mediapart.

Délaissant le costume de « chef de guerre » qu’il avait tenté d’endosser au début de la crise, il a troqué sa formule initiale « nous sommes en guerre » par l’expression « temps de guerre », bien plus juste, comme l’explique l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau dans cet entretien. Le chef de l’État a tout de même conservé l’analogie pour conclure son propos. « Mes chers compatriotes, nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les jours heureux », a-t-il affirmé à la fin de son allocution, en référence au titre du programme du Conseil national de la résistance (CNR), adopté dans la clandestinité, le 15 mars 1944.